27/04/22

La crise sanitaire a ébranlé l’agriculture dans toute sa chaîne de valeur

irrigation
Le confinement et la fermeture des frontières ont rendu difficile l'accès au matériel d'irrigation, impactant la production et les prix des aliments. Crédit image: IWMI Flickr Photos (CC BY-NC-ND 2.0)

Lecture rapide

  • Des exploitations agricoles n’ont pas pu acquérir des appareils ou entretenir leurs systèmes d’irrigation
  • Les alternatives trouvées pour contourner la rareté des intrants agricoles se sont révélées insuffisantes
  • La pandémie a surtout perturbé la chaîne d’approvisionnement, causant une inflation des prix des aliments

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Selon Claude Gnacadja, chercheur principal au Projet KAFACI (Culture maraîchères et valorisation des légumes) et responsable au laboratoire WAVE (West and Central african virus epidemiology), les mesures prises par les autorités sanitaires en réponse à la COVID-19 ont impacté le système d’approvisionnement en eau dans le secteur agricole sur le continent.

« Les producteurs ne pouvaient plus sortir pour aller dans leurs exploitations ; l’entretien du système d’irrigation a également été impacté. L’on a aussi été confronté à la rareté des équipements tels que les motopompes, les tuyaux d’irrigation devenus rares sur le marché du fait de la fermeture des frontières », dit-il.

« Par conséquent, les fermes étaient en difficulté et ne pouvaient pas acheter les pièces de rechange pour leurs machines ou leurs équipements d’irrigation », soutient Claude Gnacadja.

“Les mesures de confinement relatives à la COVID-19 ont eu un impact négatif sur les systèmes de production alimentaire, les moyens de subsistance et la croissance économique dans toute l’Afrique subsaharienne”

Agnes Kalibata, AGRA

A en croire cette source, les conséquences de cette situation ont été aggravées au cours de la saison sèche (entre mai et septembre) où les ressources hydrauliques se font généralement plus rares.

« J’ai eu beaucoup de mal avec la production en 2020 à cause de la COVID-19. En raison des restrictions et de toutes les mesures prises par le gouvernement, je n’avais pas pu renouveler mon matériel d’irrigation qui était en panne. J’ai dû trouver des solutions alternatives pour arroser mes cultures. Ce qui m’a causé un réel manque à gagner », témoigne Tite Tchuenté, agriculteur spécialisé dans la culture des agrumes à Nzamaligue, dans la province de l’Estuaire au Gabon.

Ainsi, analyse Claude Gnacadja, « les exploitants qui dépendaient essentiellement de ces systèmes d‘irrigation ont connu une plus grande difficulté pour produire. En conséquence, la disponibilité des produits alimentaires s’est vue affectée »

En outre, les producteurs agricoles ont été confrontés à des difficultés d’acquisition des intrants agricoles. Car, du fait de la fermeture des frontières, les petits exploitants, tout comme les grands, ont eu du mal à s’approvisionner.

« Les réserves en intrants étaient épuisées. Que ce soient les petits ou les grands producteurs, chacun a eu du mal à avoir des engrais. Mais les producteurs ont trouvé des moyens de contournement, bien qu’insuffisants, pour pallier les chocs occasionnés par les mesures de confinement », explique Tite Tchuenté.

En somme, la pandémie de la COVID-19 et les mesures gouvernementales mises en œuvre pour contenir sa propagation ont exacerbé les problèmes de pauvreté et d’inégalité qui étaient liés à d’autres chocs tels que le changement climatique et les conflits en Afrique subsaharienne.

« Les mesures de confinement relatives à la COVID-19 ont eu un impact négatif sur les systèmes de production alimentaire, les moyens de subsistance et la croissance économique dans toute l’Afrique subsaharienne », déclare Agnes Kalibata, présidente de l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA).

Elle ajoute : « Les mesures de confinement ont révélé la fragilité des systèmes alimentaires en Afrique, alors que l’offre et la demande alimentaires ont connu des difficultés sur tout le continent ».

Néanmoins l’AGRA souligne que même avant la pandémie, l’Afrique subsaharienne était déjà sous l’effet de multiples chocs qui comprenaient des extrêmes climatiques plus fréquents et plus intenses, des risques naturels, des chocs socio-économiques, des conflits armés et l’insécurité.

Les mesures de confinement ont aggravé les difficultés des systèmes de production alimentaire vulnérables qui avaient soit bloqué, soit inversé les progrès de la région pour surmonter l’insécurité alimentaire et nutritionnelle ainsi que les défis en matière d’emplois, de revenus et de durabilité environnementale, explique Agnes Kalibata.

Production céréalière résiliente

Toutefois, un récent rapport de la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) montre que la saison de production agricole 2020 en Afrique centrale et australe n’a pas été significativement affectée par la COVID-19 en raison du calendrier du cycle agricole.

« À l’échelle mondiale, les estimations disponibles indiquent que la production céréalière globale et en Afrique subsaharienne est restée résiliente en 2020 et 2021, affichant une croissance positive modeste », indique Kisan Gunjal, consultant principal et spécialiste de l’analyse de la sécurité alimentaire au bureau régional de la FAO pour l’Afrique.

Un constat qui rejoint l’expérience de plusieurs agriculteurs au Gabon qui affirment ne pas avoir eu des difficultés à s’approvisionner en eau à cause de la crise sanitaire. C’est le cas de Norbert Mendom, producteur agricole dans la province du Woleu-Ntem.

« Nous avons de l’eau naturellement au Gabon et je n’ai pas eu de problème à avoir de l’eau. Car, je travaille au rythme des saisons. Je sème quand il pleut et pendant la saison sèche, je me repose puis je prépare les plantations pour la saison des pluies. Ce sont beaucoup plus les agriculteurs qui font de l’irrigation qui ont été impactés », dit-il.

Cet avis est également partagé par Biendi Maganga Moussavou, ministre gabonais en charge de l’Agriculture jusqu’en mars 2022. Interrogé par SciDev.Net au mois de février 2022, il avait affirmé que le secteur de l’Agriculture n’avait pas été impacté par les difficultés d’approvisionnement en eau durant la pandémie.Kisan Gunjal précise que la crise sanitaire a surtout entraîné de graves perturbations dans la chaîne d’approvisionnement.

Ce qui, d’après ses explications, a eu des effets néfastes sur le secteur de la transformation des aliments, l’emploi dans le secteur agricole et alimentaire, la commercialisation des produits agricoles et alimentaires, les prix des denrées alimentaires, les revenus agricoles, l’importation et l’exportation de produits agricoles.

En effet, les restrictions mises en place dans toute la région, en particulier au début de la pandémie en 2020, ont eu un impact négatif sur les liens entre les agriculteurs, les intermédiaires, les grossistes, les transformateurs et les détaillants, entraînant une flambée des prix des denrées alimentaires, selon les données disponibles.

En Afrique de l’Est par exemple, les prix du maïs ont augmenté de 6 et 14 % en avril 2020 selon le récent rapport de la FAO.

En Afrique centrale et de l’Ouest, les prix ont augmenté jusqu’à 12% dans des endroits comme la République démocratique du Congo (RDC) et le Cameroun, selon un rapport intitulé « Evaluation de l’impact de la pandémie de la COVID-19 sur l’agriculture, la sécurité alimentaire et la nutrition en Afrique ».Au regard des estimations récentes, ces tendances ont plongé de plus en plus de populations vulnérables plus profondément dans la faim et la pauvreté.

La FAO estime qu’il y avait 811 millions de personnes souffrant de la faim dans le monde en 2021, dont 135 millions de cas dus à la COVID-19.

Le rapport mondial 2021 des Nations Unies sur les crises alimentaires indique que l’Afrique est restée le continent le plus touché par les crises alimentaires en 2020, représentant 63 % du nombre total de personnes dans le monde en crise ou pire, contre 54 % en 2019.

L’Afrique centrale et australe a été la plus durement touchée avec 40,2 millions de personnes en crise alimentaire, ce qui s’explique en partie par les impacts économiques de la COVID-19.

À l’avenir, suggère Agnes Kalibata, il est urgent de garantir des politiques cohérentes qui répondent aux multiples défis complexes rencontrés dans les systèmes alimentaires africains.

« Ceci est particulièrement critique chez les petits exploitants agricoles, les femmes et les jeunes qui ont un accès limité aux ressources productives et qui sont souvent exclus », dit-elle.