17/06/22

RDC : Mystère sur les causes de la mort soudaine de poissons dans le lac Kivu

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Des échantillons de poissons morts recueillis par la population. Crédit image: P. Masilya.

Lecture rapide

  • Du 3 au 5 juin, des centaines de poissons ont été retrouvés morts et flottant sur le lac Kivu
  • L’asphyxie est la cause le plus probable de ce phénomène qui se produit ainsi pour la troisième fois
  • Les chercheurs préconisent la mise en place d’une base des données de la météorologie du lac

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[BUKAVU, RDC] Des centaines de poissons morts ont été retrouvés flottant sur le lac Kivu, précisément dans la baie de Kabuno située dans le territoire de Kalehe, province du Sud-Kivu en République démocratique du Congo (RDC).

Plusieurs hypothèses ont été avancées par les chercheurs pour tenter d’expliquer ce phénomène survenu entre le 3 et le 5 juin 2022.

La première est liée à une intoxication due à des plantes ichtyotoxiques (plantes qui renferment des toxines pouvant tuer les poissons) ou à des polluants qui pourraient provenir de la rivière.

Mais, pour Pascal Masilya, professeur au département de biologie de l’Institut supérieur pédagogique de Bukavu (ISP) et spécialiste en limnologie (science des eaux stagnantes) et en gestion de la pêche, les plantes ichtyotoxiques ne sont pas à l’origine de cette forte mortalité des poissons car leurs effets n’auraient pas pu durer trois jours.

“Si on avait une base des données de la météorologie des différentes baies, on pouvait faire des prédictions et alerter la population sur ce qui va arriver”

Pascal Masilya, Institut supérieur pédagogique de Bukavu (ISP), RDC

Et s’il s’agissait d’un polluant en provenance de la rivière, poursuit-il, il y aurait eu aussi des poissons morts dans la rivière, ce qui n’était pas le cas.

La présence du gaz méthane dans l’eau a également été écartée parmi les causes de ce phénomène. Georges Alungo, chercheur à l’Unité d’enseignement et de recherche en hydrobiologie appliquée de l’ISP, souligne que les concentrations en gaz commencent à de très faibles profondeurs dans la baie de Kabuno.

« Quand on parle de concentration en gaz, il y a tous les autres gaz moins le gaz méthane. Le gaz méthane y est mais en très faible quantité. Les gens pensent que la mortalité des poissons serait liée au gaz méthane, mais c’est faux parce que les faibles concentrations qu’on a là-bas ne peuvent pas causer la mortalité des poissons », explique-t-il.Abondant dans le même sens, Pascal Masilya relève que le gaz méthane et le gaz carbonique (Co2) sont dissous dans l’eau et, en étant dissous dans l’eau, c’est difficile qu’ils provoquent la mortalité des poissons.

« Pour qu’il y ait mortalité des poissons, il faut que le gaz soit à saturation et s’il est à saturation, il va s’échapper à la surface. C’est ce qu’on appelle “éruption limnique”. Or, cela ne s’est jamais produit sur le lac Kivu. On ne peut pas penser que ce phénomène soit lié au gaz méthane ou le Co2, parce que si ça avait été le cas, même les humains allaient en pâtir », soutient l’enseignant de biologie.

Dès lors, la cause probable du phénomène observé dans la baie de Kabuno pourrait être un manque d’oxygène, à en croire les chercheurs.

Des poissons morts flottant sur le lac Kivu entre le 3 et le 5 juin. Crédit : P. Masilya.

Selon leurs explications, l’endroit où les poissons ont été retrouvés morts regorge de nombreuses matières organiques en décomposition.

« En profondeur on a une privation en oxygène parce que la décomposition de la matière organique consomme de l’oxygène. Vers trois mètres de profondeur, on a des eaux dépourvues d’oxygène et à la surface nous avons de l’eau qui a de l’oxygène. Il suffit qu’il y ait mélange pour avoir une forte dilution de oxygène et cela peut provoquer des mortalités », argumente Pascal Masilya.

Chute brutale d’oxygène

D’autres informations données par les chercheurs révèlent que quelques jours avant la survenue de ce phénomène, une forte pluie s’est abattue dans la localité et de fortes vagues ainsi que des vents très violents ont été enregistrés. Les eaux du lac sont également devenues noires.

« Il y a eu un retournement des couches qui étaient en profondeur qui sont montées à la surface. Ce qui a provoqué une certaine dilution en concentration d’oxygène. Les poissons ont été surpris et cette chute brutale d’oxygène a provoqué cette mortalité », conclut l’enseignant du département de biologie de l’ISP.

Une équipe de chercheurs sur le lac Kivu pour étudier le phénomène. crédit : P. Masilya.

Même si les scientifiques estiment que la consommation des poissons retrouvés morts ne pourrait pas avoir de conséquences sur la santé des populations, l’administrateur du territoire de Kalehe, Dede Mwanmba, a pris la décision de suspendre les activités de pêche dans cette partie du lac en attendant l’aboutissement des enquêtes.

Une décision “regrettable” selon les pêcheurs locaux. « C’est une perte énorme pour nous, car nous dépendons de la pêche pour subvenir aux besoins de nos familles », déplore un pêcheur.

« Au moment de l’ouverture de la pêche, nous capturons des poissons en très grande quantité et cela nous aide. Aujourd’hui il n’y a plus des poissons », ajoute-t-il.Ce n’est pas la première fois que ce phénomène se produit. En 2009 et en 2016, des poissons (en faible quantité) avaient été retrouvés morts dans cette partie de la RDC. Malheureusement, précise Pascal Masilya, à l’époque, aucune étude sur ces phénomènes n’avait été faite.

« Ce qui vient de se passer, c’était des relations entre les effets météorologiques et les effets limnologiques. Si on avait une base des données de la météorologie des différentes baies, on pouvait faire des prédictions et alerter la population sur ce qui va arriver », analyse-t-il.

Pour Georges Alungo, il y a une nécessité de poursuivre les études sur une longue durée pour être en mesure d’identifier les véritables causes de ces phénomènes.