22/03/23

Q&R : Planifier l’exploitation de l’eau disponible dans le sous-sol du Sahel

Eau dans le Sahel
Sous le sol aride du Sahel couvent d'importantes quantités d'eau qu'il faut exploiter. Crédit image: klbz de Pixabay

Lecture rapide

  • Le Sahel possède de vastes réservoirs d’eaux souterraines
  • Ces eaux peuvent être exploitées par des puits à ciel ouvert ou des forages à motricité humaine
  • La science est un pilier fondamental dans la gestion de la crise de l'eau dans le Sahel

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[NDJAMENA] Géo-scientiste et hydrogéologue, Mahamat Nour Abdallah est enseignant-chercheur au département de géologie de la faculté des sciences exactes et appliquées de l’université de N’Djaména au Tchad. Il est bénéficiaire du programme « The African Research initiative for scientific excellence (ARISE) », soutenu par l’Union européenne et l’Union africaine.

Ses travaux de recherche sont principalement basés sur la compréhension du fonctionnement des eaux de surface et des eaux souterraines des aquifères sahéliens et transfrontaliers dans le bassin du lac Tchad.

Dans cet entretien accordé à SciDev.Net à la faveur de l’édition 2023 de la journée mondiale de l’eau qui se célèbre ce 22 mars, il analyse la problématique de l’eau dans le Sahel et propose des pistes pour éviter une catastrophe liée à un manque d’accès à l’eau.

Des études font état de la présence de l’eau dans le sous-sol du Sahel. Qu’en est-il exactement ?

Le Sahel, qui est l’une des régions les plus pauvres et les plus vulnérables du monde, possède de vastes réservoirs d’eau souterraine à des profondeurs variables. Ces réservoirs sont largement inexploités et pourraient constituer une source importante d’eau pour les populations locales et pour les activités économiques de la région, telles que l’agriculture, l’élevage et l’industrie.

“Une stratégie concrète pour exploiter cette ressource en eau serait de mettre en place un programme de forages d’eau équipés de pompes à main ou de systèmes solaires”

Mahamat Nour Abdallah, université de N’Djaména

Les résultats des études hydrogéologiques menées dans la région montrent que l’exploitation de ces réserves d’eau souterraine est viable et pourrait contribuer de manière significative à la sécurité hydrique de la région.

De plus, la gestion durable de ces ressources en eau souterraine pourrait aider à réduire la vulnérabilité des populations locales aux chocs climatiques et aux crises alimentaires récurrentes.

Dans quelle mesure cette eau peut-elle être exploitée en vue de sa consommation ?

Dans cette zone, la population dépend entièrement des eaux souterraines pour satisfaire ses besoins en eau potable. Les seuls moyens d’accéder à ces eaux sont l’exploitation de puits à ciel ouvert ou de forages à motricité humaine.

La nappe libre de l’aquifère quaternaire est la seule source d’eau permanente accessible à la population. Cette nappe couvre une superficie de plus de 500 000 km2 dans le bassin du lac Tchad, au centre de la cuvette tchadienne. Elle est séparée de l’aquifère Pliocène artésien sous-jacent par une couche argileuse épaisse.

L’enseignant-chercheur Mahamat Nour Abdallah dans un laboratoire. Crédit image : M. N. Abdallah.

L’exploitation de cette nappe est donc la solution la plus pertinente pour fournir de l’eau potable aux populations de la région. Une stratégie concrète pour exploiter cette ressource en eau serait de mettre en place un programme de forages d’eau équipés de pompes à main ou de systèmes solaires pour améliorer l’accès à l’eau potable dans les zones rurales.

Il serait également important de renforcer la gestion et la surveillance de la nappe afin de garantir une utilisation durable de cette ressource vitale.

Comment alors assurer cette gestion et cette surveillance de la nappe ?

La mise en œuvre des programmes est souvent entravée par une coordination insuffisante entre les différents acteurs impliqués dans le secteur de l’eau. De plus, la gestion des ressources en eau est complexe et nécessite une connaissance scientifique approfondie, ce qui peut également constituer un obstacle à la mise en place de politiques efficaces.

Grâce aux études scientifiques, il est possible d’estimer avec précision la vulnérabilité de la ressource en eau dans la région et de fournir des informations clés pour les gestionnaires de ressources en eau.

Par exemple, les études actuellement menées dans le cadre du programme ARISE sur les hydrosystèmes du bassin du lac Tchad permettent de mieux comprendre la vulnérabilité de la ressource en eau dans une région où l’accès, la potabilité et la durabilité de l’eau sont cruciaux.

En améliorant les informations hydrologiques disponibles dans la région, on peut garantir une meilleure connaissance de la situation réelle et de la dynamique des processus hydrogéologiques.

Cela peut fournir des informations et des caractéristiques importantes sur la capacité de renouvellement des processus hydrogéologiques de manière efficace, rapide et économique. Ce qui est essentiel pour les gestionnaires des ressources en eaux souterraines pour assurer la durabilité de cette ressource socio-économique très importante pour l’ensemble de la région d’Afrique centrale.

Comment voyez-vous l’avenir du lac Tchad dont la superficie se rétrécit d’année en année ?

Selon les données les plus récentes, la superficie du lac Tchad connaît une augmentation. Bien qu’au cours du XXe siècle, le bassin du lac Tchad ait connu plusieurs phases de chute drastique de la pluviométrie, comme l’ensemble de la bande sahélienne, la fluctuation du lac Tchad est directement liée à l’afflux des rivières qui varie en fonction des précipitations annuelles sur le bassin.

La superficie du lac est donc fortement variable. Elle est passée de 25 000 km2 dans les années 1960, à seulement 2500 km2 au milieu des années 1980 pendant les grandes sécheresses qu’a connues la région.

En dépit des défis climatiques, économiques et sécuritaires auxquels il est confronté, le lac Tchad a démontré sa résilience et sa capacité à se régénérer, offrant ainsi des perspectives encourageantes pour sa sauvegarde.

Pourrait-on assister à une guerre de l’eau dans le Sahel ?

Il est difficile de prédire avec certitude l’avenir, mais il est vrai que la rareté de l’eau peut entraîner des tensions et des conflits. Dans le Sahel où l’eau est déjà une ressource rare et précieuse, les conflits liés à l’eau pourraient potentiellement se produire si les ressources hydriques continuent de diminuer en raison du changement climatique et de la croissance démographique.

Il est important de souligner que des solutions peuvent être trouvées si les décideurs politiques, les communautés locales et les scientifiques collaborent.

Il est crucial de mettre en place une gestion durable des ressources en eau, en particulier pour le lac Tchad, afin de prévenir les conflits futurs et garantir l’accès à l’eau potable pour les populations locales.

Toutefois, si aucune action n’est entreprise rapidement, le risque de conflits pour l’eau pourrait augmenter, entraînant des conséquences désastreuses pour la sécurité alimentaire, l’environnement et la paix dans la région.

Pensez-vous que résoudre la crise de l’eau dans le Sahel pourrait aider à lutter contre le problème de radicalisation dans cette région ?

Bien sûr que oui. La gestion durable de ces ressources en eau souterraine pourrait aider à réduire la vulnérabilité des populations locales aux chocs climatiques et aux crises alimentaires récurrentes.

Par conséquent, il est essentiel que les décideurs politiques et économiques prennent en compte ces ressources en eau souterraine dans leur planification et leur gestion du développement de la région.

Comment la science peut-elle contribuer à la résolution de la crise de l’eau dans le Sahel ?

La science est un pilier fondamental dans la gestion de la crise de l’eau dans le Sahel. Grâce aux études scientifiques, il est possible d’estimer avec précision la vulnérabilité de la ressource en eau dans la région et de fournir des informations clés pour les gestionnaires de ressources en eau.

Les données scientifiques sur l’hydrologie offrent une compréhension approfondie de la situation réelle et de la dynamique des processus hydrogéologiques, permettant ainsi d’assurer la durabilité à long terme de cette ressource vitale pour la région.

En prenant en compte les enjeux socio-économiques et en limitant les risques de conflits liés à l’eau, cette contribution scientifique peut aider les États à définir des actions concertées et durables pour une gestion efficace de la ressource en eau dans la région.

En somme, la science est essentielle pour une gestion durable et équitable des ressources en eau dans le Sahel, et peut prendre de multiples formes pour contribuer à la résolution de cette crise.

Qu’attendez-vous des États de la région à ce sujet ?

Nous attendons des États du Sahel qu’ils mettent la question de l’eau au centre de leurs priorités. En effet, la région est particulièrement vulnérable aux changements globaux en raison de la pauvreté de la population, de l’instabilité politique et des crises multiples.

Il est donc crucial que les États prennent des mesures pour assurer une gestion concertée de l’utilisation de l’eau, en favorisant la bonne gouvernance et une politique de gestion durable des ressources en eau.

Cela implique notamment la mise en place d’une politique de gestion concertée sur l’utilisation des eaux des aquifères transfrontaliers, qui sont cruciaux pour la région.En somme, les États doivent prendre conscience de l’importance de la question de l’eau dans le Sahel et mettre en œuvre des mesures concrètes pour garantir une gestion durable et équitable des ressources en eau dans la région.

En fin de compte, la question de l’eau dans le Sahel doit être abordée de manière collective et inclusive, en impliquant toutes les parties prenantes, y compris les communautés locales, les organisations de la société civile et les partenaires au développement.

Avec une volonté politique forte, une meilleure gouvernance et une gestion durable des ressources en eau, la région du Sahel peut relever les défis de la rareté de l’eau et construire un avenir plus résilient et prospère pour ses habitants.