10/02/23

Q&R : Mieux comprendre l’intrusion de l’eau de mer dans les nappes côtières

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Mawulolo Yomo Crédit image: M. Yomo

Lecture rapide

  • La chercheuse Mawulolo Yomo étudie l’impact de l’eau de mer sur les ressources en eau au niveau des côtes
  • Ses travaux devraient aider à prendre des décisions éclairées sur la gestion des ressources en eau
  • Elle ambitionne d’ouvrir une académie pour encourager davantage de jeunes filles à étudier les sciences

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[LOME] Mawulolo Yomo est une jeune chercheuse togolaise curieuse et passionnée des sciences. Elle travaille sur la dynamique de l’intrusion de l’eau de mer dans le bassin sédimentaire côtier du Togo.

Elle figure parmi les 20 lauréates du Prix Jeunes Talents d’Afrique subsaharienne 2022, décerné par la Fondation L’Oréal et l’UNESCO pour les Femmes et la Science.

Elle est actuellement doctorante au sein du programme changements climatiques et les ressources en eau du Centre ouest-africain de service scientifique sur les changements climatiques et l’utilisation adaptée des terres (WASCAL), hébergé par l’université d’Abomey Calavi au Bénin.

“Ce sont les femmes qui utilisent les ressources naturelles pour assurer le bien-être de leurs familles. Ainsi, leur implication en science leur permettra de mieux comprendre ces ressources, faisant d’elles de meilleures actrices pour assurer la gestion durable de ces ressources”

Mawulolo Yomo

A l’occasion de la Journée internationale des femmes et des filles de science qui se célèbre le 11 février, Mawulolo Yomo partage avec SciDev.Net sa passion pour la recherche scientifique, l’intérêt de ses travaux, ses projets pour la recherche scientifique et sa vision de la promotion de la femme dans les sciences.

Vous avez effectué des travaux sur la dynamique de l’intrusion de l’eau de mer dans le bassin sédimentaire côtier du Togo. De quoi s’agit-il concrètement ? 

L’ensemble du Golfe du Guinée est sujet à un envahissement progressif des eaux de mer dans les nappes côtières, avec des teneurs élevées en sel observées dans les nappes superficielles du bassin sédimentaire côtier du Togo, réduisant ainsi la disponibilité de l’eau.

L’impact plausible signalé des facteurs climatiques et non climatiques sur l’ampleur de ce phénomène a déclenché cette étude. Ainsi, étudier la dynamique de l’intrusion de l’eau de mer dans le bassin sédimentaire côtier du Togo consiste à évaluer l’étendue de l’intrusion et suivre son évolution dans le temps et dans l’espace.

Quel est l’intérêt de cette étude qui a fait de vous l’une des lauréates du Prix Jeunes Talents Afrique subsaharienne 2022, décerné par la Fondation Oréal et l’UNESCO ?

Mon projet contribue à résoudre des enjeux globaux et locaux. L’étude s’inscrit dans le cadre de la gestion durable des ressources en eau et contribue à l’effort global pour relier les changements climatiques à la qualité des eaux souterraines en Afrique de l’Ouest.

Elle contribue aussi à la compréhension des interactions entre les facteurs non-climatiques et climatiques en ce qui concerne les futures ressources en eau souterraine.

En outre, ce projet contribue à la réalisation de plusieurs Objectifs de développement durable (ODD), parmi lesquels l’ODD 3 (bonne santé et bien-être) et l’ODD 6 (eau potable et assainissement).

En quoi peut-elle contribuer au développement du Togo ?

Jusqu’ici, l’estimation de la disponibilité des ressources en eau et la définition des conditions d’exploitation des nappes dans le bassin en question se sont focalisées sur la quantité de la ressource en considérant uniquement les prélèvements.

Les résultats de cette étude apporteront l’aspect qualité dans l’estimation de la disponibilité de ces ressources en considérant les facteurs climatiques et non-climatiques (l’occupation et l’utilisation des sols et les prélèvements), représentant la pièce manquante du puzzle.

De plus, cette étude apportera des informations pour une prise de décision proactive dans la gestion des ressources en eau, en tenant compte des scénarios futurs.

Enfin, elle offre un outil de suivi du phénomène d’intrusion saline dans le temps et dans l’espace pour une gestion durable de la ressource.

Comment est née votre passion pour la recherche en sciences de la vie et de l’environnement ?

J’ai toujours été fascinée par les sciences depuis mon enfance. Mon intérêt était plus porté sur la compréhension de l’environnement dans lequel nous vivons, le fonctionnement de l’être humain, ainsi que les interactions entre les deux systèmes. Ceci explique mon orientation vers une branche scientifique.

De plus, au cours de mon parcours scolaire, en particulier au collège, j’ai réalisé que le ratio femmes/hommes professeurs des matières scientifiques était très déséquilibré. Ainsi, j’ai compris que c’est un défi à relever et que nous, les femmes, avons besoin d’embrasser davantage les sciences.

Néanmoins, ma carrière dans les sciences de l’eau est née plus tard de mon désir de contribuer aux efforts d’adaptation des communautés aux changements climatiques au travers de la sécurité en eau, considérée comme l’un des maillons centraux dans les efforts pour assurer la sécurité humaine.

Dans vos différents travaux de recherches, avez-vous fait face à des problèmes particuliers ; surtout du fait que vous soyez une femme ?

Ma carrière nécessite parfois des travaux de terrain demandant de la force physique, à l’exemple des levés géophysiques.

Néanmoins, il est très important de souligner l’aide des membres de mon équipe, essentiellement des hommes, pour en arriver là. Il faut aussi admettre en tant que la seule femme de mon équipe de géophysique que j’ai quelquefois droit à des quolibets comme : « Allez, trouve-toi un homme qui t’épousera et s’occupera de toi ».

Ce n’est pas facile, et c’est quelquefois intimidant, mais pour moi, il est clair que ma vision va au-delà du confort ou de la satisfaction individuelle. J’avoue que le mariage et la famille sont très importants et font partie de mes plans ; néanmoins je ne crois pas que cela soit un frein pour les jeunes femmes qui veulent contribuer au développement de leurs communautés par leurs travaux de recherche scientifique.

Vous avez indiqué à l’annonce des résultats du jury, que vous êtes inspirée et encouragée par différents mentors féminins. Que vous ont-elles dit concrètement et comment cela vous a impactée ?

Mon premier mentor et modèle est ma mère. Bien qu’elle n’ait pas fait de longues études et n’eût pas assez de moyens financiers, sa diligence par rapport à ses propres objectifs, ses investissements dans mes études, sa confiance en moi dans le choix de mes branches et ses mots d’encouragement m’ont donné la force, le courage et la détermination d’aller aussi loin.Le deuxième n’est autre que mon premier superviseur qui est une femme. Elle a toujours utilisé l’approche du défi pour m’amener à aimer plus la science et à m’y attacher. De plus, elle m’a toujours amenée à avoir confiance en moi-même et au travail que je fais.

Enfin, mon troisième mentor est mon directeur de thèse actuel qui a pris l’initiative de m’amener au niveau doctoral à la fin de mon programme de master. Elle a toujours vu des talents et aptitudes en moi dont moi-même je n’étais pas consciente.

Pour vous, quel est l’intérêt de soutenir les femmes dans la recherche scientifique en Afrique ?

Soutenir les femmes dans la recherche scientifique, c’est les accompagner afin de briser le « plafond de verre » pour combler le fossé qui s’est créé jusqu’à présent, mais aussi faire de ces femmes des actrices du développement.

De plus, je crois que les hommes et les femmes participent au développement de nos nations. Par conséquent, une chance équitable doit être donnée aux deux groupes, car il n’y a pas de genre pour les sciences. Finalement, il y a ce dicton qui dit : « Quand tu éduques une femme, tu éduques une nation ».

Par exemple, à l’insu de la majorité, les femmes sont au cœur de la plupart de nos familles, représentant le plus petit groupe d’une nation, car ce sont elles qui utilisent les ressources naturelles pour assurer le bien-être de leurs familles. Ainsi, leur implication en science leur permettra de mieux comprendre ces ressources faisant d’elles de meilleures actrices pour assurer la gestion durable de ces ressources.

Quels sont vos projets ?

Mon plus grand projet est de mettre en place un institut qui non seulement sera impliqué dans la recherche en matière d’évaluation de la vulnérabilité, des risques et impacts associés aux changements climatiques et aux ressources en eau.

Mais aussi susciter l’intérêt d’un plus grand nombre de jeunes filles pour les sciences au travers d’une académie et une mobilisation des fonds pour accompagner leur éducation, sans oublier d’accompagner le développement au niveau communautaire avec un focus sur les ressources naturelles et écosystémiques, y compris les ressources en eau.