28/03/22

Q&R : Les débuts de l’océanographe Babette Tchonang à la NASA

Babette-C. Tchonang
L'océanographe camerounaise Babette Christelle Tchonang. Crédit image: B.C. Tchonang

Lecture rapide

  • La scientifique fait de l’assimilation des données en vue du succès du futur satellite SWOT
  • Ce satellite produira des données accessibles pour chercheurs et décideurs, y compris ceux d’Afrique
  • Elle invite les pays et les jeunes africains à s’intéresser à la science des océans

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[DOUALA] Enfant d’une famille modeste qui avait toute la peine du monde à joindre les deux bouts, Babette Christelle Tchonang, a forcé le destin par sa foi, son optimisme et sa détermination pour se faire une place au sein de l’une des plus prestigieuses institutions de recherche au monde : la NASA (National Aeronautics and Space Administration) aux Etats-Unis.

Recrutée en octobre 2021 à la Jet Propulsion Laboratory de cette institution, elle a pris fonction le 7 février 2022 et travaille notamment sur le satellite SWOT (Surface Water Ocean Topography Mission[1]) dont le lancement est en préparation.

Elle a bien voulu raconter à SciDev.Net le quotidien de ses deux premiers mois de travail à son nouveau poste et sa contribution au succès du futur satellite.

Le 7 avril prochain, ça fera exactement deux mois depuis que vous avez pris fonction à la NASA. En quoi consiste votre travail ?

Mon travail, pour le moment, consiste surtout à faire l’analyse de données. Le satellite SWOT sera lancé en novembre et nous travaillons sur le site de validation et la calibration de ce satellite. En fait, quand on lance le satellite, on a trois mois où on prend les données, juste pour calibrer et valider afin de s’assurer qu’il est en train de prendre de vraies mesures. Nous avons un site appelé CALVAL (calibration and validation) où on a mis des instruments qui mesurent des données réelles. Le but aujourd’hui est de préparer l’arrivée des données de ce satellite.

“Ce qui a fait ma force est que je voulais réussir et je n’avais pas honte. Je n’avais rien à foutre des moqueries et de ce que les gens pensaient”

Babette Christelle Tchonang, NASA

Donc, ce que je fais au quotidien aujourd’hui, c’est d’assimiler ces observations réelles qu’on prend dans l’océan en ce moment-ci et d’assimiler aussi les observations synthétiques du satellite qui n’existent pas encore, afin de voir l’apport que pourra avoir ce satellite. Ce qui fait qu’à partir de novembre, on pourra mieux comparer les données réelles du satellite avec les données des observations que j’aurai analysées. Donc, aujourd’hui, je fais beaucoup d’informatique.

Qu’entendez-vous par assimilation des données ?

« Assimiler les données », ça veut dire que je prends ce que je sais être vrai, je le mets dans un modèle et je dis au modèle de tout faire pour tendre vers les données que j’ai introduites. L’assimilation de données est donc cet outil qui permet au modèle de se rapprocher au maximum de la réalité. Et pour cela, on a aussi besoin de données réelles qui sont bonnes.

Comment vous organisez-vous entre ce travail et votre rôle de mère et d’épouse ?

Je bénis Dieu pour mon mari. On s’est connus à mon arrivée au Bénin et on s’est mariés en 2019. A la naissance de notre enfant en 2020, il a gardé l’enfant comme le ferait une femme jusqu’à ce que le bébé aille à la crèche pendant qu’il faisait une formation de post-master. Il a gardé plus le bébé que moi parce que j’avais la thèse à finir. Quand j’ai été recrutée à la NASA, il a « claqué » son boulot en France et on est partis. Nous avions estimé que le bien-être de l’enfant était préférable que d’être séparés et de se faire beaucoup d’argent. En attendant qu’il ait un permis de travail aux Etats-Unis, il garde l’enfant pour le moment. Pour le reste, j’aime faire la cuisine et je le fais très tôt le matin et le soir, avant de dormir, je fais la vaisselle. Quand je ne peux pas, il le fait aussi.

Comment ces travaux que vous faites à la NASA peuvent-ils être profitables à l’Afrique ?

(Rires)Le satellite SWOT ne va pas seulement mesurer l’eau et l’océan aux Etats-Unis ; mais, il va mesurer l’océan global et ses données seront accessibles. J’en profite pour indiquer qu’il y a des données qui sont disponibles pour tout le monde, y compris les Africains, et que l’on peut télécharger gratuitement. Si aujourd’hui au Cameroun par exemple, on n’utilise pas les vraies données en master, c’est simplement parce qu’on n’est pas informé.

Donc, les données de ce satellite seront disponibles pour tout le monde. D’ailleurs, la bonne nouvelle est qu’il y a une trace de ce satellite qui va passer dans le golfe de Guinée. Parce que ça pourra nous fournir d’énormes informations qu’on ne pouvait pas s’imaginer. Car, le but aujourd’hui est de contraindre les modèles à représenter le maximum de réalité possible.

Quelle peut être la contribution de l’océanographie au développement des pays africains ?

Nous dépendons de l’océan pour manger, pour respirer, bref, pour vivre. La terre est couverte à 70% de l’eau. L’océan joue un rôle de régulateur du climat. Pourquoi à l’équateur, on ne meurt pas de chaleur alors que le soleil y est plus puissant ? Et pourquoi on ne meurt pas de froid au niveau des pôles ? C’est parce que l’océan joue un rôle de régulateur.

Par exemple, dans l’océan atlantique, on a le courant appelé « Gulf Stream » qui prend les eaux chaudes à l’équateur et les transfère aux pôles. Ce qui réchauffe les pôles. Ensuite, il prend l’eau froide aux pôles et la transfère à équateur, ce qui réduit la chaleur à l’équateur. Ça veut dire que si l’océan cesse de fonctionner aujourd’hui, on meurt de froid au niveau des pôles et de chaleur au niveau de l’équateur. En outre, l’océan joue un rôle majeur pour pomper le gaz carbonique dans l’atmosphère ; sinon, on serait tous morts asphyxiés du fait de l’industrialisation et des rejets de gaz dans l’atmosphère.

Par ailleurs, l’essentiel du commerce se fait à travers la mer qui permet de transporter des marchandises en grande quantité. Et pour qu’un bateau aille en mer en toute sécurité, il a besoin de savoir son itinéraire, les conditions météorologiques sur cette route, les courants qu’il va rencontrer et leurs vitesses, les phénomènes océaniques potentiellement dangereux sur cette voie, et c’est l’océanographie qui lui fournit ces éléments. En plus, on a l’exploitation pétrolière en mer. Les entreprises pétrolières construisent leurs plateformes là où elles sont sûres que les conditions océaniques et météorologiques sont favorables. Et c’est l’océanographie qui fournit ces connaissances.

On a enfin l’érosion côtière. Un pays comme le Bénin a sa capitale économique, Cotonou, située en dessous du niveau de la mer. Ça veut dire que la ville est sujette à une inondation permanente. Mais, pourquoi cette inondation n’a pas lieu ? Parce que les Béninois ont fait des études de l’océan une priorité dans leur pays. C’est ainsi que dans les ports et les plages du Bénin, on peut apercevoir tout ce qu’ils ont installé pour lutter contre l’érosion côtière  et les inondations. Ils travaillent aussi beaucoup sur la mesure des paramètres pour pouvoir prédire ces événements. Donc, un pays comme le Cameroun, s’il veut voir Douala bien se porter dans 50 ans, s’il veut voir les populations vivre paisiblement dans 50 ans, doit prendre au sérieux l’océanographie. Il faut vraiment sensibiliser les jeunes à ce sujet.

Qu’est-ce qui vous a décidée à embrasser cette discipline ?

Comme j’avais beaucoup de difficultés pour financer mes études et comme j’avais cette envie de faire quelque chose dont je pouvais voir l’impact direct sur la société, l’un de mes enseignants à l’université de Dschang, le professeur Christian Sadem Kenfack, m’avait encouragée à postuler pour une bourse pour un master en océanographie ouverte au Bénin.

Après ma licence en physique de la matière condensée à l’université de Dschang en 2014, je suis allée à l’université de Yaoundé I m’inscrire en première année de master en physique de l’environnement, atmosphère, climat et télédétection. J’ai donc posé ma candidature pour faire ma deuxième année de master en océanographie physique et applications là-bas et j’ai été sélectionnée. Une fois là-bas, il fallait travailler dur parce que c’était la première fois que j’arrivais en océanographie. A la fin, j’étais major de ma promotion.

Que vous avait dit concrètement le professeur Christian Sadem Kenfack pour vous convaincre ?

Déjà, comme j’étais très brave à l’université, j’avais beaucoup de contacts avec mes professeurs. Peut-être parce qu’ils voulaient aussi connaître l’étudiant qui avait 19,5/20. Quant au professeur Sadem Kenfack, il m’impressionnait parce qu’il était très jeune et il avait un doctorat en matières condensées et il préparait un autre doctorat. Je me suis rapprochée davantage de lui et il m’a parlé de ce master en océanographie en me disant : « si tu veux faire ce master, tu dois avoir au moins 16/20 ».Donc, depuis le niveau 2, quand je travaillais en matières condensées, j’avais déjà en tête le projet d’aller faire l’océanographie. Et l’obstacle était d’avoir les 16/20 de moyenne. Quand je suis arrivée à Yaoundé, mes camarades étaient surpris de voir que je parlais toujours d’océan lors des cours d’atmosphère. A la fin, j’avais eu 16,43/20 et j’ai pu postuler à ce master. C’est tellement passionnant que je ne pense pas que j’aurais fait autre chose.

Comment faites-vous ensuite pour vous retrouver au Centre national d’études spatiales (CNES) en France ?

Etant au Bénin, j’ai postulé pour une bourse en Allemagne en océanographie d’observation. J’ai aussi été sélectionnée et j’ai commencé en 2016 à l’Institut Alfred Wegener ce post-master qui venait compléter ce que j’avais déjà appris. Ce post-master m’a beaucoup aidée puisqu’il m’a permis d’avoir trois bourses pour ma thèse de doctorat : une en Afrique du Sud, une autre en Allemagne et la dernière en France. Bien que celles de l’Allemagne et de l’Afrique du Sud fussent vraiment dans le domaine que j’avais embrassé, j’ai écouté mon cœur et j’ai choisi celle de la France qui était avec le CNES. C’était de la simulation de données ; mais, je sentais que c’était là où je devais aller. Et j’y ai d’ailleurs vu la main de Dieu. Car, nous étions deux présélectionnées : une Française qui venait en première position et moi ensuite. Mais, la Française s’est désistée et le poste m’est revenu.

J’ai donc commencé ma thèse en France en novembre 2017 et elle s’est très bien déroulée. (Sourire) C’est d’ailleurs pendant cette thèse que je me suis mariée et que j’ai eu mon enfant. Mais, tout cela n’a rien empêché. J’avais un directeur, Pierre-Yves Le Traon, qui est comme mon papa aujourd’hui, qui m’a beaucoup accompagnée et à qui je dis encore merci.

“Je dirais aux jeunes filles africaines que leur valeur ne dépend pas de ce que les hommes disent d’elles, mais de ce que Dieu a mis en elles”

Babette Christelle Tchonang, NASA

En thèse, j’ai travaillé sur le satellite SWOT mis en place par la NASA, le CNES qui m’employait, et d’autres partenaires. Mon rôle était de voir la plus-value que pouvait apporter SWOT par rapport à trois autres satellites qui ont existé : Jason 3, Sentinelle 3A et Sentinelle 3B. Comme SWOT n’avait pas encore été lancé, j’introduisais des données pour faire des simulations. Et je faisais donc des comparaisons pour voir ce que sera SWOT par rapport à ces trois satellites. A la fin, nous avons pu montrer que globalement, SWOT pouvait faire 40% plus que ce que les trois satellites ont fait jusqu’ici. Nous avons ainsi publié deux papiers qui étaient les tout premiers sur SWOT venant de France.

J’ai soutenu ma thèse le 20 juillet 2021. Et le soir de ma soutenance, j’avais déjà une offre postdoctorale au Canada sous la main et mon directeur m’a donné un contrat de quatre mois dans le laboratoire pour faire un post-doc sur les données altimétriques.

Et que s’est-il finalement passé pour que vous vous retrouviez plutôt à la NASA aux Etats-Unis ?

Quand mes papiers sont publiés, je constate que parmi les relecteurs, il y a un monsieur de la NASA. Une voix intérieure me demande d’écrire à ce monsieur pour lui dire que je recherche un post-doc pour voir s’il peut m’aider. Il me répond à l’instant même et me demande de lui envoyer mon CV pour qu’il voie s’il y a un poste à la NASA qui correspond à mon profil. Je l’ai fait et le lendemain, il m’a répondu en disant qu’il y avait un poste qui correspond à mon CV et qui sera ouvert bientôt. Mon cœur a fait un bond. Quelques temps plus tard, il m’a envoyé le lien pour postuler. J’ai postulé, et au terme du processus de sélection qui était très rude, il s’est écoulé un long moment si bien que je n’y croyais plus. Et le 20 octobre 2021, jour de mon anniversaire, j’ai reçu un e-mail disant que j’avais été retenue pour le poste à la NASA où j’ai commencé le travail le 7 février.

Quels sont les principaux défis que vous avez dû relever tout au long de votre parcours ?

Mes parents n’avaient pas les moyens pour me payer l’école. La plupart du temps à l’école primaire, je recopiais les cours chez mes camarades quand ils revenaient de l’école, et je rentrais étudier à la maison. Un jour, alors que j’étais au cours élémentaire 2e année (CE2), alors que je portais des chaussures ramassées au dépôt d’ordures, j’avais prié avec ma Bible sur ma poitrine en disant que je souhaitais être première de ma classe, même comme je n’allais pas en classe tous les jours. Et au moment de la remise des bulletins, je suis arrivée première avec 10 de moyenne. Cela m’avait surprise parce que je n’arrivais pas à comprendre que personne n’ait pu avoir plus de 10 de moyenne. Mais, c’est en ce moment que j’avais commencé à comprendre que le Seigneur m’écoutait. Je m’en souviens comme si c’était hier.

Bref, c’était très difficile et il fallait tout le temps aller quémander auprès des gens, attendre souvent longtemps après la rentrée scolaire avant de commencer l’école. Au secondaire, c’était encore plus difficile. En plus d’avoir des difficultés financières, on avait de la peine à manger. Je n’avais pas d’amis. Heureusement, dès la classe de terminale, le petit frère de ma mère a commencé à payer mes études. Et il l’a fait jusqu’à la licence.Arrivée en master, j’ai beaucoup souffert. J’étais tout le temps malade et les médecins disaient que je n’avais rien et que j’étais juste angoissée. Mais, si mon oncle paternel chez qui je vivais m’avait tout donné, j’aurais croisé les bras et certainement, je ne serais pas allée au Bénin. Au Bénin justement, j’étais malade tout le temps ; on pensait que c’était le paludisme et j’étais régulièrement sous perfusion. Et quand je suis arrivée en Allemagne, les médecins ont constaté que j’avais une grave carence en fer.

Mais ce qui a fait ma force est que je voulais réussir et je n’avais pas honte. Je n’avais rien à foutre des moqueries et de ce que les gens pensaient.

Et quels enseignements en tirez-vous ?

Je dirais aux jeunes filles africaines que leur valeur ne dépend pas de ce que les Hommes disent d’elles, mais de ce que Dieu a mis en elles. Chaque femme a une destinée qui doit s’accomplir. Le mariage ou l’accouchement ne sont pas la finalité pour une femme. Je conseille aux femmes de rêver grand et de ne pas se limiter à ce que les hommes peuvent leur donner.

Aux hommes aussi, je dirais que quand une femme est bien accompagnée, elle peut faire des merveilles. Je veux aussi inviter les hommes à ne pas voir en leurs femmes leurs rivales ou leurs concurrentes. Nous ne sommes pas sur un ring avec nos maris. Nous sommes là pour le bien-être de la famille. Donc que les hommes encouragent leurs femmes, les motivent et les soutiennent.

Références

[1] Mission de topographie des eaux de la surface des océans.