28/01/22

Togo : La course contre la montre des villages côtiers menacés par l’érosion

Un puit d'eau abandonné par les habitants
Un puits abandonné par les habitants chassés par l'avancée de la mer. Crédit image: SDN/ C. Djadé.

Lecture rapide

  • La mer avance de 1,8 à 5 mètres par an, engloutissant au passage certaines infrastructures
  • La réalisation de certains barrages et du port de Lomé sont parmi les principales causes de ce fléau
  • La construction d’épis-puits permet de protéger le littoral ; mais cette solution ne fait pas l’unanimité

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[LOME, TOGO] L’érosion des côtes togolaises s’est accentuée ces dernières années au point que de nombreux villages construits le long du littoral sont menacés de disparition.

Kossi Agbavi, village situé à plus de 30 km de Lomé, la capitale, fait partie des villages les plus touchés. Ici, l’avancée de la mer est réelle. Selon une étude de la Mission d’observation du littoral ouest-africain (Moloa) réalisée en 2015, entre 1,8 et 5 mètres de perte du littoral sont enregistrés par an.

Conséquence : la localité risque d’être complètement rayée de la carte d’ici les vingt prochaines années, si aucune action de protection n’est faite.

Depuis la construction du complexe hydroélectrique d’Akosombo, au Ghana (à l’ouest du Togo), et celle du Port autonome de Lomé (PAL) en 1963, plus de 500 m linéaires de terre ont été engloutis par la mer dans l’agglomération, dont nombre de villages de pêcheurs, de routes et d’infrastructures, apprend-on dans ce même document.

“Le barrage d’Akosombo a entraîné une diminution du transit des dépôts sédimentaires de 35 %, affectant tout le littoral depuis le Ghana jusqu’au Nigéria”

Agoro Sebabe, Agence nationale de gestion de l’environnement (ANGE)

Plusieurs infrastructures socio-économiques ont d’ores et déjà été emportées dont les deux maisons royales. Le deuxième cimetière a été lui aussi envahi par les eaux ; obligeant les familles à exhumer leurs corps pour les enterrer ailleurs.

« Aujourd’hui, les populations sont devenues en grande majorité des locataires. Elles sont obligées par la mer d’abandonner leurs habitations pour trouver des locations alors même qu’elles ont perdu leurs activités génératrices revenus », déplore Amétépé Gninivi Amédjé, membre du comité de développement du village.

Sur la côte, c’est une dizaine de localités qui sont aujourd’hui menacées de disparition au regard des prévisions alarmistes présentées par le pays dans sa communication en 2015 devant la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques.

Ces prévisions indiquent une hausse du niveau de la mer entre 0,10 et 0,17 m à l’horizon 2025, 0,19 et 0,34 m à l’horizon 2050, 0,29 et 0,55 m à l’horizon 2075 et 0,33 et 0,75 m à l’horizon 2100.

Analyse causale de l’érosion côtière sur la côte togolaise. Source : CGILE

L’érosion côtière est définie comme le recul du rivage du fait des vagues et de la diminution des sédiments le long du littoral. Au Togo, elle agit sur la partie est du port autonome de Lomé jusqu’à la frontière avec le Bénin.

Les géographes incluent les 50 km de côtes togolaises dans le géosystème côtier allant de l’embouchure du fleuve Volta au Ghana jusqu’à celle du fleuve Mono au Bénin.

Selon Agoro Sebabe, directeur des évaluations et de l’intégration environnementale à l’Agence nationale de gestion de l’environnement (ANGE) au Togo, le phénomène d’érosion observé sur le littoral, s’inscrit dans un contexte mondial de recul des plages et couvre les côtes du golfe de Guinée.

Les affres de l’érosion derrière les habitations à côté de Pure plage à Lomé. Crédit : SDN/C. Djade.

Son accélération et son ampleur actuelles sont imputables à des actions perturbatrices de l’homme sur le système de communication des eaux continentales et marines, ajoute cet expert.

En effet, jusqu’en 1960, souligne-t-il, l’équilibre morpho-dynamique qui est l’ensemble des rapports entre les forces d’une part et les mouvements et formes de la côte d’autre part était raisonnable.

De fait, dit-il, l’érosion causée par la dérive longitudinale des sédiments à la côte est compensée par les sédiments du fleuve Volta au Ghana et, à un moindre degré, ceux du fleuve Mono au Bénin.

Vue lointaine des restes de la route nationale N2 (Lomé-Aného) engloutie par la mer. Crédit : SDN/C. Djade

Malheureusement, cet équilibre s’est trouvé modifié d’abord en 1961 par la construction du barrage d’Akosombo au Ghana, puis en 1964 par la construction du port de Lomé et enfin en 1987 par celle du barrage de Nangbéto sur le Mono.

« Le barrage d’Akosombo a entraîné une diminution du transit des dépôts sédimentaires de 35 %, affectant tout le littoral depuis le Ghana jusqu’au Nigéria », explique Agoro Sebabe.

« L’ouvrage qui alimente le Ghana, le Togo et le Bénin en énergie hydroélectrique comporte un grand lac dans lequel 95% des matériaux solides transportés et la totalité des sables sont piégés », ajoute l’expert.

Des sacs remplis de sables enfouis dans le sol pour empêcher la mer d’avancer. Crédit : SDN/C. Djade

Parallèlement, poursuit Agoro Sebabe, la construction du port autonome de Lomé en 1964 a provoqué un ensablement progressif et une sédimentation sur son côté ouest tandis que l’est s’est trouvé exposé à l’érosion.

Au final, le recul observé depuis 1967 est variable suivant les segments de la côte. Le trait de côte qui est la limite entre la terre et la mer a reculé de près de 250 m dans la zone immédiate à l’est du port. Ailleurs, entre les villages côtiers Kpogan et Gbodjomé, elle est plus accentuée.

Pièges à sable

Pour faire face au phénomène, les populations affectées ont initié des actions. Les premières initiatives ont consisté en la construction de barrières faites de sacs remplis de sable ou constituées de pierres renforcées avec du métal.

Mais actuellement à Gbodjomé, un village côtier, la communauté regroupée au sein du collectif « Sauvons le littoral du Togo » construit des ouvrages dénommés « épis-puits ».

Des digues construites à l’aide de fer et de cailloux pour protéger la côte. Crédit : SDN/C. Djade.

Fabriqués manuellement à l’aide du béton et du ciment, ces ouvrages d’une hauteur de 6 à 8 mètres en forme de puits sont construits les uns à côté des autres sur la côte.

Ils forment ainsi une barrière qui empêche les vagues échouées sur la plage de repartir avec du sable. Ce qui permet de récupérer dans ces puits le peu de sable avec lequel ces eaux arrivent à la plage.

D’après le sexagénaire Simon Akouété vivant à Gbodjomé, ces ouvrages constituent des pièges à sable qui protègent leurs maisons. « Comme ils retiennent le sable et empêchent les vagues de ronger la côte, alors ils nous permettent de lutter contre l’érosion et de gagner de l’espace », explique-t-il.

« Avant, la mer avançait à une vitesse vertigineuse et la fosse qui est en train d’être fermée était très béante », explique l’intéressé devant l’un de ces épis-puits.

Cependant, l’universitaire et géomorphologue Blim Adoté Blivi préconise la méthode de renflouement des fosses à la place de la construction des épis pour stabiliser la côte.

« La solution adéquate pouvant permettre de résorber cette crise d’érosion côtière au Togo est de recharger les plages; cela veut dire qu’il faut aller chercher du sable en haute mer et venir faire de la compensation », confie ce dernier qui est par ailleurs chercheur au Centre de gestion intégrée du littoral et de l’environnement (CGILE) à Lomé.

Sauf que, souligne le chercheur, cette technique coûtera 500 millions de FCFA pour 200 mètres de côte soit plus de 125 milliards de FCFA pour les 50 km du littoral togolais.

En attendant l’éventuelle mise en œuvre d’un tel procédé, le Togo continue de privilégier la technique des épis-puits qui se multiplient avec l’aide des partenaires.

Déjà, en 2010, le programme national d’investissement pour l’environnement et les ressources naturelles (Pniern) a financé la protection du littoral d’Aného à hauteur de trois milliards F CFA par la construction de neuf épis-puits sur 3 500 mètres linéaires de côte afin de sécuriser six quartiers d’Aného contre l’érosion côtière. Le même projet a permis de stabiliser 500 m sur les berges de l’embouchure du Lac-Togo.

La solution privilégiée actuellement est celle des épis-puits. Crédit : SDN/C. Djade.

En 2012, à la faveur du projet d’extension du port autonome de Lomé, un épi de 250 m de long a été installé à l’extrémité de l’infrastructure portuaire pour accélérer l’accumulation du sable à l’ouest.

Dans le cadre du projet de réhabilitation de la route Lomé-Cotonou, il se construit un total de 28 épis de 80 à 120 m sur 13 km dans les zones d’enjeux importants et un rechargement en sable.

Ces aménagements devraient permettre de diminuer l’impact de l’aléa côtier (érosion et inondation) en stabilisant le trait de côte entre le village de Gbétsogbé et Gbodjomé.Outre ces initiatives, le Programme de gestion du littoral ouest-africain (WACA[1]), financé par la Banque mondiale au profit de six pays, va permettre au pays de réaliser sept nouveaux épis, réhabiliter six anciens épis et un ancien brise-lame pour protéger un total de 18 km de côte.

De même, les berges de la lagune et du lac Togo seront stabilisées et 23 km du chenal Gbaga seront curés et ses écosystèmes associés restaurés. Les travaux qui se déroulent d’Agbodrafo à Aného (deux régions maritimes) sont prévus pour être lancés cette année.

Références

[1] West Africa Coastal Areas Program