09/12/22

La périlleuse opération de surveillance de la polio dans les zones de conflits

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Campagne de vaccination contre la polio à Maiduguri, État de Borno, Nigéria en 2019. Crédit image: Rotary International

Lecture rapide

  • Les services de santé doivent négocier avec les belligérants pour pouvoir accéder aux enfants à vacciner
  • Pour l’OMS, plus que le conflit en soi, c’est des raisons logistiques qui empêchent la vaccination
  • Une technologie d’imagerie satellitaire aide à contourner les contraintes imposées par les conflits

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Cet article a été produit avec le soutien de Global Health Strategies.

[DOUALA] En raison de leur accès difficile et de l’insécurité qui les caractérisent, les zones en conflits posent d’énormes défis aux acteurs de la surveillance et de l’éradication de la poliomyélite.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) et ses partenaires de l’Initiative mondiale pour l’éradication de la poliomyélite (IMEP) devant chaque fois trouver le moyen d’atteindre les enfants à vacciner.

« Il y a des stratégies spéciales qu’il faut adapter et elles dépendent de la situation individuelle de chaque zone de conflits. Par exemple la négociation de l’accès des agents vaccinateurs aux populations », fait savoir Oliver Rosenbauer, porte-parole du programme d’éradication de la poliomyélite à l’OMS à Genève.

Cet expert se souvient par exemple qu’en 2002 en Côte d’Ivoire lors du conflit qui opposait le gouvernement dans le sud et des groupes dans le nord, les négociations étaient plus ou moins aisées. Tout simplement parce qu’il n’y avait que deux groupes avec qui parlementer.

“Nous faisons appel aux sentiments des belligérants de vouloir protéger leurs enfants et soutenons que la santé est apolitique. Et nous avons constaté que des deux côtés d’un conflit, ils veulent protéger leurs enfants de la maladie et peut-être de la mort”

Carol Pandak, Rotary International

Ce n’était par contre pas le cas en Syrie où l’OMS a eu affaire à plusieurs groupes en conflit. Ce qui complique la tâche à ce niveau, c’est qu’il faut se mettre en relation avec chaque groupe.

« Chaque fois, il faut regarder la situation de façon spécifique non seulement dans le pays affecté mais aussi dans la sous-région pour trouver les meilleurs moyens d’accéder aux enfants, soit en nous déployant directement sur le terrain, soit en travaillant avec des organisations locales ou d’autres groupes qui maintiennent une présence dans ces zones. L’approche doit être flexible en tout cas », explique Oliver Rosenbauer.

SciDev.Net apprend que de telles négociations avec ces groupes en conflit peuvent se faire de façon directe quand cela est possible, par l’intermédiaire des ministères de la Santé des pays en conflit, du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), de l’Organisation des Nations unies (ONU) ou de toute autre organisation qui a de l’influence dans la zone concernée.

Dans tous les cas, « le contact avec les parties en conflit se fait par le biais d’intermédiaires et de négociateurs qui bénéficient de la confiance des deux côtés du conflit », indique Carol Pandak, directrice du programme PolioPlus chez Rotary International, un réseau mondial de décideurs qui travaillent pour améliorer les conditions de vie dans le monde à travers, entre autres, la lutte contre les maladies.

Au cours de ces négociations, les acteurs de la lutte contre la polio trouvent le moyen d’expliquer aux belligérants que le poliovirus sauvage ne se soigne pas et qu’il peut affecter tout le monde, y compris leurs propres enfants; d’où la nécessité d’arrêter la flambée en faisant vacciner tous les enfants.

« Nous faisons appel à leurs sentiments de vouloir protéger leurs enfants et soutenons que la santé est apolitique. Et nous avons constaté que des deux côtés d’un conflit, ils veulent protéger leurs enfants de la maladie et peut-être de la mort. », souligne Carol Pandak.

Ancrage communautaire

Chez Alima (The Alliance for International Medical Action), spécialisée dans l’action médicale auprès des couches vulnérables, on fait savoir qu’on arrive à travailler dans les zones de conflits en montrant aux acteurs la neutralité des opérations.

« Nous arrivons à nous déployer en faisant comprendre aux différents acteurs le caractère indépendant, neutre, impartial de notre intervention et en ayant un ancrage communautaire », précise Soma Bahonan, chef de mission d’Alima au Cameroun.

Dans ce pays d’Afrique centrale, cette ONG intervient dans les localités de Makary, Fotokol et Mada dans le Logone-et-Chari dans la région de l’Extrême-Nord du Cameroun où la secte Boko Haram attaque constamment les populations; mais aussi dans les régions du Sud-Ouest et Nord-Ouest en proie à la crise anglophone.

Campagne de vaccination contre la polio au Nigeria. Crédit photo: Rotary International.

Selon ces sources rencontrées par SciDev.Net, les groupes en conflits sont généralement réceptifs à cette approche et permettent que les agents de santé puissent vacciner les enfants, en établissant des accords de cessez-le-feu ou des journées sans conflit.

Pour ce faire les enfants quittent les zones d’insécurité pour se rendre aux points de contrôle sur les marchés et dans les camps de personnes déplacées.

Une fois sur le théâtre des opérations, la vaccination se fait de façon flexible et rapide. Là encore, les organisations s’adaptent aux réalités du terrain. Si les populations qu’elles ont en face n’ont pas été vaccinées depuis longtemps, elles étendent l’âge de la vaccination.

Par exemple, au lieu de vacciner uniquement les enfants de moins de 5 ans comme le veut le principe, même les enfants de moins de 15 ans reçoivent leur dose de vaccin.

Cette exception s’applique aussi à la surveillance. Des personnes un peu plus âgées sont testées au même titre que celles qui ne présentent pas de signes de la maladie. L’objectif ici étant de voir comment le virus pourrait agir.

Refus

Toutefois, il est arrivé que les acteurs de la lutte contre le poliovirus sauvage se heurtent au refus catégorique de certains acteurs d’un conflit. En effet, s’ils ne contestent pas la qualité et les bienfaits du vaccin, ils soupçonnent cependant les acteurs investis dans cette lutte, d’être de mèche avec leur ennemi qui est souvent le gouvernement.

C’était notamment le cas en 2016 avec le conflit dans le Borno au nord-est du Nigeria où face au refus de coopérer des belligérants, les organisations se sont adaptées.

« Il y avait beaucoup de mouvements de militaires et la situation changeait d’une semaine à une autre. Donc, on ne pouvait faire des vaccinations que quand les gens sortaient de la zone », se souvient Oliver Rosenbauer, dans un entretien avec SciDev.Net.

Preparation d’une campagne de vaccination contre la polio au Nigeria en 2019. Crédit photo : Rotary International

Ce dernier martèle que ce n’est très souvent pas le conflit en lui-même qui empêche la vaccination dans ces zones en crise, mais davantage des raisons managériales, logistiques et administratives.

Il évoque notamment le mouvement permanent de la population qui fuit les hostilités. De multiples déplacements qui rendent difficile la quête des enfants à vacciner.

A cela s’ajoute le fait que les agents de santé n’arrivent plus à maitriser la taille de la population et sont confus sur le nombre de vaccins nécessaires ou sur la quantité de chaine de chambre froide à mobiliser pour leur conservation. Idem pour le nombre de bénévoles à déployer sur le terrain…

Imagerie satellitaire

Pour essayer de palier ces difficultés, il a été développé une technologie dénommée Système d’information géographique (SIG) qui utilise l’imagerie satellitaire pour estimer la taille et la localisation de la population dans les endroits inaccessibles, et pour suivre les progrès de la surveillance.

Cette technologie permet de faire une cartographie qui peut identifier et indiquer où se trouvent les villages et les enfants qui n’ont pas encore été atteints par la vaccination.

De plus, ces cartes permettent de lire la distance et la proximité avec un placement réaliste pour s’assurer que tous les établissements et hameaux sont visités par les équipes de vaccination, et que le nombre approprié d’équipes est déployé.

Mais avant d’être déployés sur le terrain, les vaccinateurs sont équipés de téléphones avec un logiciel de suivi et une liste finale des groupements.

« Ces équipes de vaccination utilisent des dispositifs de repérage sur le terrain. Les téléphones collectent des relevés de géolocalisation via le GPS. Ces données sont ensuite traitées dans le laboratoire du SIG pour avoir un rapport d’analyse détaillé des résultats de suivi pour chaque règlement. Ces résultats permettent d’identifier facilement les groupes qui ont été atteints et ceux qui doivent être réexaminés », explique Carol Pandak.

Aux dires de cette dernière, cette technologie a déjà permis de cartographier de nombreuses îles du lac Tchad et de voyager pendant des heures en canoë pour atteindre pour la première fois des centaines de villages et y administrer des vaccins.

Adversités

Pour autant, malgré toutes ces précautions, les risques demeurent. Car, les bénévoles travaillant dans les zones en conflit en Afrique font face à de nombreuses adversités. A en croire l’OMS, certains sont souvent victimes de banditisme et d’autres pris au milieu des conflits.

Le climat et la nature sont parfois un frein à leur déploiement. Au Niger par exemple, il peut faire jusqu’à 50 degrés de température et malgré cela, les bénévoles doivent marcher pendant des heures par jour, pour aller chercher les enfants à vacciner…

Pour l’heure, les acteurs de la lutte contre la poliomyélite s’accordent à dire que l’éradication et la surveillance de la polio en zone de conflit nécessitent des améliorations.

Carol Pandak pense par exemple qu’il faut à l’avenir mieux adapter les interventions pour atteindre les enfants et déterminer quels services sont nécessaires dans la zone de conflit.Par ailleurs, il serait important, dit-elle, que l’IMEP « maintienne des relations avec les différentes parties en conflit afin de s’assurer que le travail n’est pas interrompu ou du moins perturbé ».

Elle s’appuie sur l’exemple de l’Afghanistan lorsqu’il y a eu une transition au sein du gouvernement. « Le programme travaillait avec des éléments antigouvernementaux et a pu maintenir des relations après le changement de régime », dit-elle.

Oliver Rosenbauer de l’OMS insiste toutefois sur le fait qu’il n’y a aucun endroit dans le monde où c’est le conflit qui a empêché l’éradication de la polio.

En plus des appuis opérationnels, il souhaite avoir les soutiens politiques de différents niveaux pour voir le maximum d’enfants sauvés des paralysies qui découlent de cette maladie.

Cet article a bénéficié du soutien de Global Health Strategies (GHS), une organisation qui utilise la communication et le plaidoyer pour aider à provoquer des changements profonds dans les domaines de la santé et du développement à travers le monde.