20/04/23

Q&R : Souvenirs de la première FIV en Afrique centrale

Capture Gwet Bell 1
Dr Ernestine Gwét-Bell Crédit image: SDN / A. Tchouakak

Lecture rapide

  • Le premier bébé né en Afrique centrale d’une fécondation in vitro a vu le jour en avril 1998
  • Avec 8 millions de bébés depuis 1978, la FIV ne peut permettre à tous les couples d’avoir des enfants
  • Les problèmes d’infertilité des couples doivent dès lors être gérés depuis la base

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[DOUALA] Il y a exactement 25 ans, en avril 1998, naissait à Douala au Cameroun le tout premier bébé issu de la fécondation in vitro (FIV) en Afrique centrale.

Membre de l’équipe de médecins qui réalisa cet exploit, la gynécologue camerounaise Ernestine Gwét-Bell est l’une des pionnières et demeure l’une des références de la procréation médicalement assistée (PMA) dans la sous-région.

Elle a accepté de recevoir SciDev.Net dans ses bureaux de la Clinique Odysée qu’elle dirige à Douala et où elle continue de réaliser la PMA entre autres; question de revisiter cette importante avancée scientifique dont elle est l’un des acteurs majeurs.

Qu’est-ce que ça vous fait de savoir des années après que vous êtes l’une des pionnières de la fécondation in vitro en Afrique subsaharienne ?

La FIV fait partie des techniques d’assistance médicale à la procréation (AMP). Les recherches sur ces techniques ont commencé sur les animaux avant de passer aux humains. Chez les humains les techniques ont commencé par les inséminations artificielles et ensuite la FIV. Le premier bébé né par FIV, Louise Brown, voit le jour en Angleterre le 25 juillet 1978. Ce bébé est né pendant que j’étais une jeune étudiante en médecine à l’université Paris-Descartes.

“Il faut connaître et sensibiliser sur les causes de l’infertilité ; faire des préventions et des traitements adaptés et précoces afin d’éviter les complications qui vont conduire aux FIV”

Ernestine Gwét-Bell, clinique Odyssée

Des événements se sont enchaînés pour moi qui étais déjà très intéressée par les questions de naissance. En plus de la gynécologie-obstétrique j’ai fait des spécialisations dans le traitement des stérilités, dans la chirurgie et bien sûr en AMP.

Il était naturel que je fasse partie de la première équipe camerounaise à pratiquer ces techniques. Je n’en tire pas une gloire personnelle; le bonheur pour moi était surtout le succès d’une équipe du secteur privé.

Qu’est-ce qui vous a poussée à l’époque à faire partie de cette équipe sachant que ce n’était pas une pratique commune dans les hôpitaux ?

Le terrain était vierge et les besoins immenses. Une grande partie de ma clientèle souffrait de troubles d’infertilité. Les couples bénéficiaient de traitements courants et les choses bloquaient au niveau des besoins en FIV.

On était obligé d’envoyer les couples à l’étranger. Très peu d’entre eux étaient capables de faire les déplacements. Il fallait donc apporter la technique chez nous. Les hôpitaux ne la pratiquaient pas. Ils avaient d’autres priorités de santé publique.

Comment vous vous êtes préparés à le faire sur les plans psychologique, émotionnel et professionnel ?

En 1997, le besoin de pratiquer la FIV s’est imposé. Les rencontres et les voyages ont permis de constituer une équipe dans l’intention de créer un centre de PMA à Douala. Le centre avait deux sites. Nous étions 6 collègues : 2 biologistes et 4 gynécologues entraînés par un biologiste français.

Le premier bébé, Tommy, a été conçu dans notre première série. Ce fut quelque chose de magique. L’émotion reste intacte. Ensuite il a fallu préparer des communications scientifiques et les présenter au Cameroun et en Afrique.

Des formations s’en sont suivies, avec la création de sociétés scientifiques dont le Groupe interafricain d’étude, de recherche et d’application sur la fertilité (GIERAF).

Cette société, créée à Lomé au Togo, nous a permis une internationalisation en Afrique. Par elle, il a été possible de former des gynécologues, des biologistes, des psychologues et le personnel infirmier. Elle nous permet aussi de faire des sensibilisations et du counselings auprès des populations.

Qu’est-ce qui a été le plus difficile dans cette innovation ?

Tout a été difficile au départ : trouver les moyens, vaincre les doutes des autres, gérer les échecs et expliquer les techniques avec leurs taux de succès et les coûts des traitements totalement pris en charge par les couples…

Est-ce qu’il vous arrive souvent de prendre des nouvelles des couples pour qui vous avez réalisé la FIV ?

Oui nous avons des nouvelles de nombreuses familles mais nous n’en faisons pas une obsession car nous pensons que ces parents doivent jouir de leur bonheur comme tous les parents sans stigmatisation. Ce sont donc ces parents qui envoient des nouvelles.

Oui nous avons des nouvelles de nombreuses familles mais nous n’en faisons pas une obsession car nous pensons que ces parents doivent jouir de leur bonheur comme tous les parents sans stigmatisation. Ce sont donc ces parents qui envoient des nouvelles.

Ils peuvent aussi en donner quand ils reviennent pour d’autres FIV ou pour porter des embryons congelés. Nos résultats sont déclarés de façon anonyme dans les 2 Registres internationaux : ICMART[1] aux USA et ANARA[2] en Afrique du Sud.

Avez-vous des nouvelles de Tommy, votre premier bébé ?

Tommy ne fait pas exception à notre respect. C’est déjà un jeune homme de 25 ans dont les parents étaient du milieu médical. Je ne peux pas en dire plus.

Après une FIV, une femme peut-elle accoucher normalement ?

Oui cela est possible. Ce n’est pas rare. On programme certains FIV et la femme arrive enceinte. Il peut arriver qu’elle ait des trompes bouchées mais pas complètement. Et quand on lance le processus de la FIV, elle tombe enceinte naturellement.

Est-il possible de déterminer le sexe d’un enfant lors d’une FIV?

Toutes les médecines de procréation ne sont pas faites pour choisir le sexe des enfants, sauf si on est en face d’une maladie héréditaire liée au sexe. A ce moment, on peut faire une recherche des gênes dans des centres très spécialisés. Ce n’est pas autorisé et même sur le plan éthique, il n’est pas bon de choisir le sexe d’un enfant.

Quel est l’apport de la PMA et de la FIV dans un environnement comme le Cameroun et l’Afrique en général?

Je dois avouer que nous avons été bien reconnus. Nous avons participé à de nombreuses rencontres scientifiques où nous avons été acclamés. Sur le plan individuel, dès 2001, j’ai créé un centre complet de PMA à la Clinique Odyssée. Tout ce travail a permis la création d’autres centres de PMA au Cameroun et en Afrique.

Sur la base de votre expérience, peut-on dire qu’il y a plus de problèmes de fertilité hier qu’aujourd’hui ou vice versa ?

Les problèmes d’infertilité des couples restent préoccupants. Les problèmes doivent être gérés depuis la base. Il faut connaître et sensibiliser sur les causes, faire des préventions et des traitements adaptés et précoces afin d’éviter les complications qui vont conduire aux FIV.

Les FIV ne suffiront jamais pour permettre à tous les couples d’avoir des enfants. Depuis 1978, année de la première naissance par FIV, on compte seulement 8 millions de bébés qui sont nés par FIV dans le monde. Ce n’est pas énorme. Ces chiffres viennent des registres internationaux.

Quelles sont les véritables causes des infertilités en Afrique ?

Au cours de mon mandat comme deuxième président du GIERAF, nous avons fait une étude sur les causes des infertilités dans neuf pays d’Afrique. La première cause que nous avons trouvée c’est les trompes bouchées et le seul traitement se trouve être la FIV.

La deuxième cause c’est les fibromes. Ce sont des boules qui envahissent l’utérus. Encore appelés myomes, on les retrouve uniquement en Afrique. Et la 3ème cause, c’est l’endométriose qui concerne toutes les femmes du monde mais qui reste une maladie mal connue. L’endométriose est particulière parce qu’elle reste mal connue, est très douloureuse et mal traitée, une triple peine.

Chez les hommes, on a du mauvais sperme, l’azoospermie et l’oligospermie.

Généralement ce sont les maladies sexuellement transmissibles, notamment la chlamydia, qui sont la source première de ces problèmes d’infertilité. D’où la nécessité d’avoir une vie rangée et de faire des bilans ensemble quand un couple aspire à avoir un bébé.

Qu’est-ce qui a emmené la jeune femme que vous étiez à l’époque à choisir comme spécialité la gynécologie-obstétrique?

En fait, je voulais faire cette spécialisation depuis ma tendre jeunesse. Je ne savais pas exactement où cela pouvait m’emmener. J’ai assisté, à l’âge de7 ans, à un accouchement réalisé par ma mère qui était sage-femme dans un hôpital missionnaire. J’en ai été impressionnée. J’ai pensé tout le temps ensuite que j’en ferai ma voie. Le reste a été beaucoup de détermination, de travail et de sacrifices.

Comment arrivez-vous à concilier vos activités professionnelles avec votre vie de mère et d’épouse ?

J’ai souvent eu à répondre à cette question… C’est une question de passion et d’organisation. On disait que les femmes étaient pénalisées parce qu’elles faisaient des enfants. Mais les enfants ne sont pas un handicap. Dans mon parcours, j’ai fait mes enfants très jeune. Je suis mère de trois enfants avec six petits-enfants que j’adore. Je profite de ma famille.

Côté professionnel je suis une perfectionniste et j’essaie de tirer toutes les personnes qui travaillent avec moi. Je suis à l’aise à travailler avec les équipes que ce soit sur le plan professionnel ou social car je suis engagée dans plusieurs activités sociales et humanitaires.

Je dirais aux jeunes filles de se battre pour être au sommet de la pyramide. Elles doivent savoir que c’est leur chemin, leur combat. Au-delà de tout, il faut croire en Dieu ou en un être supérieur à nous.

Références

[1] International Committee for Monitoring Assisted Reproductive Technologies

[2] African Network and Registry for Assisted Reproductive Technology