15/02/23

Le contexte sanitaire entrave la vaccination et l’éradication de la polio en Afrique

Préparation d'une campagne de vaccination contre la polio au Nigeria en 2019
Les équipes de vaccination contre la polio se sont souvent retrouvées dans l'impossibilité de se déployer pendant la COVID-19. Crédit image: Rotary International.

Lecture rapide

  • Des millions d’enfants n’ont pas reçu de doses de vaccin à cause de la pandémie de la COVID-19
  • La désinformation a contribué à renforcer l’hésitation vaccinale dans les communautés en Afrique
  • Pour y faire face, des spécialistes appellent à renforcer la communication et la vaccination de routine

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Cet article a été produit avec le soutien de Global Health Strategies.

[YAOUNDE] Les stratégies de lutte contre la COVID-19, basées sur les gestes-barrières, les confinements, les couvre-feux, etc., adoptées dès 2020 par les pays à travers le monde ont eu un impact sur les programmes de santé telles que la vaccination de routine contre la poliomyélite et même la rougeole.

Environ 7,7 millions d’enfants n’ont pas reçu la première dose vitale des vaccins contre la diphtérie-tétanos-coqueluche, la rougeole et la polio en 2020, indique l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans une note publiée en 2021.

Cette hausse de près de 10 % de la proportion des vaccinations manquées en Afrique par rapport à l’année précédente a été causée par les perturbations des services de santé dues à la pandémie, précise l’OMS.

“En mars 2020, quand la pandémie due à la COVID-19 a été officiellement déclarée, toutes les prestations de services ont été suspendues dans les pays, notamment les campagnes antipolio et la lutte contre les autres maladies évitables par la vaccination”

Modjirom Ndoutabe, OMS Afrique

« En mars 2020, quand la pandémie due à la COVID-19 a été officiellement déclarée, toutes les prestations de services ont été suspendues dans les pays, notamment les campagnes antipolio et la lutte contre les autres maladies évitables par la vaccination (rougeole, fièvre jaune…) », explique à SciDev.Net Modjirom Ndoutabe, coordonnateur du Programme de lutte contre la poliomyélite au bureau régional de l’OMS pour l’Afrique.

« Pour ce qui concerne spécifiquement la polio, les pays ont continué à isoler le virus soit chez les enfants cibles, soit dans l’environnement. Dans ces pays doublement touchés par la COVID-19 et les épidémies de polio, nous avons constaté que les ripostes vaccinales ont été très lentes à être exécutées en 2020 et 2021, ce qui a permis au virus de circuler intensément en région africaine », ajoute-t-il.

Phobie

Au Cameroun par exemple, la période de pandémie a été marquée par une recrudescence d’épidémies de rougeole et de poliomyélite.

« Les épidémies de rougeole ont été légion, passant de 44 districts de santé en épidémie en 2019 à 80 en 2020 », indique Shalom Tchokfe Ndoula, le secrétaire permanent du Programme élargi de vaccination (PEV) au Cameroun.

Toutefois, précise ce dernier, « les mesures de réponse mises en place ont permis de réduire ce nombre de districts en épidémie à 31 en 2021, mais il a encore augmenté en 2022 où l’année s’achève avec environ 60 districts de santé touchés par une épidémie de rougeole ».

Pour ce qui est de la poliomyélite, « le pays est passé de 4 cas de poliovirus dérivé en 2019 à 16 cas en 2020. En 2021, 6 cas de poliovirus dérivé ont été notifiés contre deux en 2022. Ces cas de poliovirus dérivé sont le signe d’une immunité insuffisante au sein des communautés », souligne Shalom Tchokfe Ndoula.

La situation a été quasi identique au Sénégal où les couvertures vaccinales ont été « arrêtées avec les mesures qui ont été mises en place, surtout le semi-confinement et la fermeture des écoles,  entrainant une baisse de la fréquentation des structures sanitaires », déclare Ousseynou Badiane, coordonnateur du Programme élargi de vaccination dans ce pays d’Afrique de l’Ouest.

« Il faut ajouter que le personnel de santé était pratiquement occupé dans la lutte contre la COVID-19 au point que les autres programmes ont été négligés », ajoute-t-il.

En Guinée, « il y avait cette phobie qui hantait certaines populations des communautés. En analysant les données de vaccination de la période de la COVID-19 par rapport à celles de la période de 2018 ou de 2019, on s’est rendu compte qu’il y a une légère baisse de la couverture vaccinale », affirme Mamadou Dian Bah, chef du service planification et mobilisation au Programme élargi de vaccination en Guinée.

Fake news

De même, les rumeurs et les « fake news » sur la vaccination contre la COVID-19 ont poussé de nombreuses familles à se détourner de la vaccination.

Il est important de souligner qu’en 2020, en raison des mesures-barrières liées à la COVID 19, les activités de vaccination de masse avaient été suspendues dans le but d’arrêter la progression de la pandémie, relève Shalom Tchokfe Ndoula.

« Par la suite, les diverses campagnes de vaccination qui ont été menées ont connu des difficultés inhabituelles, notamment les refus dans les communautés du fait de la désinformation sur la vaccination », confie l’expert des questions de santé.

Le secrétaire permanent du PEV du Cameroun explique que les campagnes de vaccination qui, par le passé, enregistraient des performances « satisfaisantes », ont eu des résultats assez mitigés ces dernières années.

« Les principaux obstacles étant les rumeurs telles que l’inoculation de la COVID-19 à travers la vaccination, la vaccination cachée des enfants contre la COVID-19, l’inoculation de substances néfastes aux populations, la stérilisation des enfants… », affirme-t-il.

“Le Cameroun est passé de 4 cas de poliovirus dérivé en 2019 à 16 cas en 2020. En 2021, 6 cas de poliovirus dérivé ont été notifiés contre deux en 2022. Ces cas de poliovirus dérivé sont le signe d’une immunité insuffisante au sein des communautés”

Shalom Tchokfe Ndoula, PEV Cameroun

A en croire Ousseynou Badiane, tous les programmes de vaccination ont souffert de ces fake news qui ont entrainé une hésitation ou une réticence des populations à se faire vacciner contre les autres maladies.

« Quand on a débuté la vaccination anti-COVID-19, il y a beaucoup de personnes qui ne voulaient pas se faire vacciner contre les autres gènes, notamment infantiles », confie le coordonnateur du Programme élargi de vaccination du Sénégal.

Selon ses explications, ces personnes disaient que c’était une manière masquée d’inoculer le vaccin anti-COVID-19 aux enfants, et que ces vaccins anti-COVID-19 sont dangereux…

Pour mieux illustrer cette difficulté rencontrée sur le terrain, Ousseynou Badiane révèle que pendant cette période, trois campagnes de vaccination contre la fièvre jaune, l’épidémie de polio dérivée et une campagne sélective contre la rougeole ont été organisées.

« Il faut noter que ces fake news ont quand même eu un impact, même si ce n’était pas très grand, sur ces campagnes parce qu’on a enregistré beaucoup de cas de refus durant ces campagnes-là », soutient-il.


Toutefois, même en pleine vague de pandémie, l’OMS a tenu à renforcer « la communication interpersonnelle pour encourager les parents à faire vacciner leurs enfants contre la polio et la rougeole », déclare Modjirom Ndoutabe.

C’est d’ailleurs cette stratégie de communication qui a permis à la Guinée d’atténuer l’impact de la COVID-19 sur la vaccination de routine et de maintenir la couverture vaccinale « à un niveau acceptable », précise Mamadou Dian Bah.

Ousseynou Badiane souligne pour sa part que le PEV au Sénégal a pris « des mesures correctrices » pour atténuer l’impact de la pandémie sur le système de santé.

« Ce qui nous a permis de relever un peu les couvertures vaccinales et les mettre à des niveaux satisfaisants », dit-il.

Pour relancer le plan d’éradication de la polio, les experts préconisent une intensification de la vaccination de routine. Crédit photo : OMS Afrique.

Afin d’assurer la continuité de la vaccination en contexte de COVID-19, les autorités sanitaires camerounaises ont élaboré des directives permettant « au personnel de santé de savoir comment continuer les services de vaccination tout en se protégeant et en protégeant les autres contre la COVID-19. Mais des informations leur étaient aussi données sur comment communiquer avec les parents », confie Shalom Tchokfe Ndoula.

D’autres stratégies telles que des campagnes motorisées ont été organisées dans les zones urbaines « pour sensibiliser les populations sur les bienfaits de la vaccination et les risques que courent les enfants qui ne sont pas vaccinés », précise ce dernier.

Il poursuit en relevant que des stratégies avancées ont été mises en place au sein des communautés sous-vaccinées pour rapprocher davantage l’offre de vaccination des populations.

« Ces stratégies avancées ont été organisées en porte-à-porte partout où le besoin se faisait ressentir. Des activités de vaccinations intensifiées ont aussi été organisées dans certaines régions et districts du pays pour rattraper les enfants qui ont manqué leurs doses de vaccin », conclut-il.

Sensibilisation

En 2022, l’OMS a mis en œuvre des plans de riposte « ce qui a permis à une dizaine de pays d’arrêter la circulation de tous les types de poliovirus », renseigne Modjirom Ndoutabe.

Cependant, il existe toujours un risque de propagation de ces maladies infectieuses surtout si les virus circulent dans des zones où des enfants ne sont pas vaccinés.

Pour le coordonnateur du Programme de lutte contre la poliomyélite au Bureau régional de l’OMS pour l’Afrique, le renforcement de la communication est important pour permettre aux parents d’adhérer aux différentes initiatives d’éradication ou de contrôle des maladies évitables par la vaccination.

« La vaccination de routine doit être renforcée par la mise en œuvre de mini-campagnes multi-antigènes intégrés », recommande-t-il.Une position partagée par Ousseynou Badiane. « On était presque à la phase finale d’éradication de la poliomyélite ; on s’acheminait vers l’élimination de la rougeole… C’est grâce à la vaccination qu’on a eu ces acquis. Pour éviter que ces maladies reviennent, il faut mettre un accent sur la vaccination de routine », soutient-il.

Shalom Tchokfe Ndoula pense pour sa part que la sensibilisation constante des populations sur les bienfaits de la vaccination, en donnant la bonne information et en leur faisant connaitre le calendrier vaccinal en vigueur pour les enfants de 0 à 23 mois, pourrait contribuer à l’éradication de la polio et de la rougeole.

Il préconise l’adaptation de l’offre de services à la communauté dans laquelle on se trouve et en fonction des habitudes locales des populations.

Par exemple, dit-il, « les services de santé devront s’adapter aux habitudes de la communauté, quitte à offrir les services de vaccination aux heures de permanence pour donner les chances à tous les enfants de recevoir leurs doses de vaccin ».

Cet article a bénéficié du soutien de Global Health Strategies (GHS), une organisation qui utilise la communication et le plaidoyer pour aider à provoquer des changements profonds dans les domaines de la santé et du développement à travers le monde.