08/03/22

Faire du cancer du col de l’utérus une priorité de santé publique

Teen girls 2
La lutte contre le cancer du col de l'utérus commence par la prévention à travers la vaccination des jeunes filles. Crédit image: 10b travelling / Carsten ten Brink (CC BY-NC-ND 2.0). Cette image a été rognée.

Lecture rapide

  • Plus de 76 000 femmes meurent chaque année en Afrique des suites du cancer du col de l’utérus
  • Vaccin et dépistage sont efficaces contre cette maladie, mais, ils sont peu courus sur le continent
  • Les acteurs de la lutte contre cette maladie doivent trouver de nouvelles stratégies de sensibilisation

Envoyer à un ami

Les coordonnées que vous indiquez sur cette page ne seront pas utilisées pour vous envoyer des emails non- sollicités et ne seront pas vendues à un tiers. Voir politique de confidentialité.

Fatma Guenoune, présidente de la Ligue sénégalaise contre le cancer et Ousseynou Badiane, coordonnateur du Programme élargi de vaccination au Sénégal appellent les gouvernements africains et les organisations internationales à mettre en œuvre des stratégies plus efficaces pour combattre la réticence au vaccin contre le cancer du col de l’utérus.

Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), le cancer du col de l’utérus est le deuxième type de cancer le plus fréquent chez les femmes en Afrique, représentant 22% de tous les cancers féminins. Selon les estimations actuelles, chaque année, 117 316 femmes africaines se voient diagnostiquer un cancer du col de l’utérus et 76 745 femmes meurent de cette maladie.

De plus, parmi les vingt pays du monde où le cancer du col de l’utérus était le plus répandu en 2018, dix-neuf se trouvaient en Afrique. Ces chiffres sont stupéfiants pour une maladie qui est non seulement guérissable – si elle est détectée suffisamment tôt – mais aussi évitable grâce à l’utilisation de vaccins. Cela soulève la question suivante : pourquoi ne traitons-nous pas cette maladie comme une urgence de santé publique ?

La grande majorité des cancers du col de l’utérus (plus de 95%) sont dus au papillomavirus humain (HPV). De grands progrès ont été accomplis pour promouvoir le vaccin contre le HPV et l’intégrer dans les calendriers vaccinaux des deux sexes.

“Des soins adaptés aux différentes cultures et des actions de proximité menées par les agents de santé communautaires sont l’un des principaux moyens de sensibiliser à cette maladie. Ils peuvent briser les mythes et encourager l’adoption du vaccin”

Fatma Guenoune et Ousseynou Badiane

Pourtant, une certaine stigmatisation continue de peser sur le vaccin, car l’infection par le HPV est avant tout une maladie sexuellement transmissible et, par conséquent, le faible accès à la prévention, au dépistage et au traitement contribue à 90% de ces décès.

À l’occasion de la Journée internationale des femmes, nous devons nous engager à faire davantage pour briser la stigmatisation associée au cancer du col de l’utérus et nous assurer que toutes les jeunes filles africaines reçoivent le vaccin contre le HPV.

L’une des meilleures façons de combattre cette stigmatisation est de souligner que l’infection par le HPV a un lien bien établi avec divers cancers, qu’elle est évitable et qu’une prévention primaire est nécessaire pour réduire son incidence.Nous devons également permettre aux femmes d’accéder au dépistage et aux traitements nécessaires pour guérir les lésions précancéreuses et le cancer du col de l’utérus.

Les défis sont cependant nombreux : manque de sensibilisation, mythes sociaux, réticence à l’acceptation du vaccin et stigmatisation associée aux maladies sexuellement transmissibles. Ils nécessitent tous des réponses spécifiques.

Des soins adaptés aux différentes cultures et des actions de proximité menées par les agents de santé communautaires sont l’un des principaux moyens de sensibiliser à cette maladie. Ils peuvent briser les mythes et encourager l’adoption du vaccin.

L’accès aux centres de dépistage et le fait de rendre abordable des traitements sont deux autres facteurs qui doivent compléter les efforts de sensibilisation dans nos sociétés.

Vaccins

Le vaccin contre le HPV est unique parmi les vaccins, car il peut prévenir le cancer, et celui du col de l’utérus en particulier. Des études récentes au Royaume-Uni ont montré que le vaccin contre le HPV a réduit de près de 90% les cas de cancer du col de l’utérus.

Cependant, la pandémie de la COVID-19 a été un désastre pour la vaccination de routine et celle contre le HPV en Afrique. On estime qu’au moins 24 millions d’enfants et d’adolescents vivant dans 21 pays à faible revenu soutenus par GAVI ont risqué de ne pas recevoir des vaccins vitaux en raison du report des campagnes et de l’introduction tardive de nouveaux vaccins.[1]

Les fermetures d’écoles au début de la pandémie ont gravement perturbé les campagnes de vaccination contre le HPV et limité le nombre de jeunes filles qui ont eu accès aux vaccins. Cela est d’autant plus problématique que les vaccins contre le HPV sont plus efficaces lorsqu’ils sont administrés avant toute exposition au virus, c’est-à-dire avant le début de toute activité sexuelle.

Il est donc impératif que toutes les jeunes filles âgées de 9 à 13 ans aient accès au vaccin contre le HPV et que des campagnes de vaccination soient maintenues pour assurer la bonne santé des jeunes femmes.

Environ 90% des cancers du col de l’utérus surviennent dans des pays à revenu faible ou intermédiaire (PRFI) qui ne disposent pas de programmes organisés de dépistage et de vaccination contre le HPV. La mortalité y est 18 fois plus élevée que dans les pays développés.[2]

C’est pourquoi, en 2018, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a lancé un appel mondial à l’action pour éliminer le cancer du col de l’utérus, et en 2020, elle a adopté la Stratégie mondiale pour l’élimination du cancer du col de l’utérus.

Dépistage systématique

L’Organisation recommande les objectifs dits 90-70-90 : c’est à dire tous les pays devraient veiller à ce que 90% des filles soient entièrement vaccinées contre le HPV avant l’âge de 15 ans, que 70% des femmes soient dépistées au moyen d’un test de haute performance avant l’âge de 35 ans et à nouveau avant l’âge de 45 ans, que 90% des femmes atteintes d’un précancer soient traitées et que 90% des femmes atteintes d’un cancer invasif soient prises en charge.

Selon l’OMS, le dépistage systématique du cancer du col de l’utérus et son traitement précoce peuvent prévenir jusqu’à 80% des cancers du col de l’utérus si les anomalies du col sont identifiées à des stades où elles peuvent être facilement traitées.

C’est pourquoi il est vivement recommandé de dépister le plus grand nombre possible de femmes âgées de 30 à 49 ans. Le cancer du col de l’utérus est l’un des très rares types de cancers pour lesquels un stade précancéreux dure de nombreuses années.

En effet, la fenêtre d’opportunité de 10 à 20 ans entre le stade précancéreux et le cancer offre une grande opportunité de dépister, détecter et traiter le stade précancéreux, évitant ainsi sa progression vers un cancer invasif.

Meilleures pratiques

Les efforts déployés pour protéger les femmes du cancer du col de l’utérus sont très différents sur le continent. Les meilleures pratiques doivent être partagées et ces efforts doivent être renforcés si l’Afrique veut atteindre son objectif, à savoir éliminer définitivement cette maladie.

Le Sénégal a introduit son programme national de vaccination contre le HPV en 2018, mais en 2021, le pays était encore à la traîne avec son programme national de dépistage. En 2019, les registres de dépistage du pays indiquaient que moins d’une femme sur 10 avait subi un dépistage du cancer du col de l’utérus au cours des 5 années précédentes.

En Afrique du Sud, le gouvernement a mis en place un programme national de vaccination contre le HPV, un programme de dépistage et des directives sur la gestion du cancer du col de l’utérus. Les statistiques montrent que de 2014 à 2019, 4 femmes sur 10 ont été dépistées pour le cancer du col de l’utérus.De son côté, le Rwanda a adopté l’approche consistant à intégrer le programme de vaccination contre le HPV dans les programmes scolaires. Le pays fait preuve d’un engagement politique fort sur la question en impliquant différents ministères et acteurs du secteur privé contribuant à une forte prise en charge du vaccin.

Entre 2011 et 2019, le Rwanda a atteint une couverture de 90% du groupe cible. Plus d’un million de filles ont été entièrement vaccinées. Le gouvernement a également veillé à disposer d’une chaîne d’approvisionnement solide pour les vaccins vitaux et il a travaillé en partenariat avec des dirigeants et des influenceurs locaux qui ont contribué à la sensibilisation au niveau communautaire.

En outre, le pays a adopté une approche multisectorielle pour évaluer l’intérêt de réduire les coûts opérationnels de la distribution des vaccins afin de toucher davantage de jeunes filles.

Le cancer du col de l’utérus est un fardeau majeur pour les systèmes de santé fragiles de l’Afrique et représente également une contrainte sanitaire et financière inutile pour de trop nombreuses femmes africaines.

“Nous leur demandons de prendre position en ce jour pour les femmes – pour combler les lacunes qui entravent la distribution des vaccins et à mettre en œuvre de toute urgence des politiques en faveur d’un dépistage et d’un traitement accessibles à toutes les femmes”

Fatma Guenoune et Ousseynou Badiane

Il est temps que les gouvernements donnent la priorité à la vaccination contre le HPV en tant que service de santé publique afin de réduire le nombre de vies perdues à cause de cette maladie évitable.

Les organisations internationales de santé publique, les gouvernements et les acteurs du secteur de la santé, en particulier ici en Afrique, devront s’engager à mettre en œuvre des stratégies visant à faire bénéficier davantage aux jeunes filles le vaccin contre le HPV et à dépister régulièrement le virus du HPV chez les femmes.

Nous appelons les chefs d’État et de gouvernement africains, en cette Journée internationale des femmes, à adopter le thème de cette année : ” Briser les préjugés “. Nous devons fournir des soins de santé équitables et inclusifs aux femmes et aux jeunes filles afin de les protéger des ravages du cancer du col de l’utérus.

Nous leur demandons de prendre position en ce jour pour les femmes – pour combler les lacunes qui entravent la distribution des vaccins et à mettre en œuvre de toute urgence des politiques en faveur d’un dépistage et d’un traitement accessibles à toutes les femmes.

Ensemble, nous pouvons mettre fin à ces souffrances inutiles causées par un cancer que l’on peut à la fois prévenir et guérir, s’il est détecté suffisamment tôt.

Références

[1] World Health Organization. At least 80 Million Children Under One At Risk of Diseases such as Diphtheria, Measles and Polio as COVID-19 Disrupts Routine Vaccination Efforts, Warn Gavi, WHO and UNICEF. https://www.who.int/news/item/22-05-2020-at-least-80-million-children-under-one-at-risk-of-diseases-such-as-diphtheria-measles-and-polio-as-covid-19-disrupts-routine-vaccination-efforts-warn-gavi-who-and-unicef  May 22, 2020. Accessed February 21, 2022.

[2]   Cohen PA, Jhingran A, Oaknin A, Denny L. Cervical cancer. Lancet 2019. https:// doi.org/10.1016/S0140-6736(18)32470-X.