15/11/21

Une découverte pourrait révolutionner la lutte antiacridienne

Locusts
Un essaim de criquets pèlerins Crédit image: [nivs] (CC BY-SA 2.0)

Lecture rapide

  • Entre les phases solitaire et grégaire, les criquets se séparent en deux groupes : mâles et femelles
  • Il est recommandé aux programmes de lutte de s’attaquer aux femelles susceptibles de se multiplier
  • En phase grégaire, un essaim de criquets peut dévorer 100 tonnes de végétation par jour

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[COTONOU] Des données nouvelles sur le comportement reproductif des criquets pèlerins vont désormais permettre aux services de surveillance des invasions acridiennes de mettre en place de nouvelles stratégies de lutte contre ce phénomène.

C’est ce que révèle une récente étude réalisée en Mauritanie et publiée dans la revue scientifique Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS).

D’après ses résultats, le mode reproductif des criquets pèlerins change entre la phase solitaire et la phase grégaire.

“Cette étude permet de comprendre le passage de la phase solitaire à la phase grégaire et permettra de mettre au point un mécanisme de lutte sans passer par l’utilisation des pesticides chimiques de synthèse”

Douro Kpindou, IITA-Bénin

Généralement, les criquets pèlerins se développent à l’état solitaire dans les milieux désertiques et semi-désertiques d’Afrique et d’Asie de l’ouest.

Mais grâce à une bonne reproduction, les populations de criquets pèlerins dans leurs habitats désertiques arrivent, pendant la phase solitaire, à atteindre un niveau de densité induisant un changement de comportement en leur sein.

Ces changements de comportements surviennent entre la phase solitaire et la phase grégaire.

Les observations effectuées dans le désert du Sahara à la suite de travaux antérieurs réalisés en laboratoire, ont permis aux chercheurs d’établir que les criquets pèlerins matures sexuellement forment, en phase grégaire, deux types de groupes selon leur sexe.

« Nous avons mis en évidence qu’à partir du moment où les femelles sont matures sexuellement, elles se séparent des groupes de mâles pour éviter d’être sous le harcèlement de ces derniers », explique Cyril Piou, écologue spécialiste des dynamiques de populations d’acridiens au CIRAD[1] et co-auteur de l’étude.Interrogé par SciDev.Net, Douro Kpindou, chercheur à l’Institut international d’agriculture tropicale (IITA-Bénin), trouve que « cette étude permet de comprendre le passage de la phase solitaire (moins dangereuse) à la phase grégaire (dangereuse) et permettra de mettre au point un mécanisme de perturbation (de lutte) sans passer par l’utilisation des pesticides chimiques de synthèse ».

Le chercheur souligne que lorsque les criquets ne sont pas maitrisés dans leur aire de reproduction, on assiste à une grégarisation puis à l’envol d’essaims d’adultes en quête de la nourriture.

Surveillance et prévention

Dans les pays de prédilection de ce phénomène notamment le Mali, le Niger, le Tchad, la Mauritanie, l’Algérie et le Maroc, il existe des unités de contrôle et de gestion des criquets pèlerins.

Ces structures assurent, avec l’aide de la FAO[2], la surveillance, la prévention et la lutte contre les criquets pèlerins à l’aide de pesticides qui peuvent être très nocifs pour l’environnement.

Dorénavant, même si comme le souligne Cyril Piou, le principe de gestion ne change pas complètement, les actions de lutte peuvent par contre cibler les groupes à majorité féminine, générateurs de multiples descendances.

« Le travail de gestion préventive consiste à trouver les habitats où les solitaires se multiplient et vont accéder à la phase grégaire pour que dès qu’il y a ces changements de comportement, on puisse faire des traitements préventifs à petite échelle et éviter que des groupes importants sortent de ces habitats désertiques et semi-désertiques », déclare Cyril Piou.

La lutte préventive repose sur la pulvérisation de pesticides. « Les femelles gravides sont la cible la plus importante de ces pulvérisations… En outre, si [ces dernières] peuvent être attirées artificiellement vers des sites prédéfinis en utilisant des phéromones, de nouvelles techniques de contrôle respectueuses de l’environnement pourraient être développées », recommande pour sa part l’étude.De son côté, Douro Kpindou propose suivant cette découverte sur le mode reproductif de l’espèce « l’utilisation de substances naturelles permettant de perturber le comportement reproductif du criquet pèlerin pour empêcher sa grégarisation dans les milieux de reproduction ».

Dans tous les cas, comme le soulignent Antoine Foucart, Pierre-Emmanuel Gay et Cyril Piou dans un article paru en juin dernier dans « Passion Entomologie », « c’est le maintien permanent des effectifs de l’insecte en-deçà du seuil de densité déclenchant la transformation phasaire qui permet d’éviter la formation d’essaims importants ».

Les criquets pèlerins occasionnent dans beaucoup de pays des dommages considérables sur la végétation naturelle, les pâturages et les cultures avec des conséquences sur l’agriculture, l’élevage et la sécurité alimentaire.

En Afrique de l’ouest, l’invasion acridienne de 2004-2005 avait par exemple dévasté des millions d’hectares de cultures dans une vingtaine de pays.

Antoine Foucart, Pierre-Emmanuel Gay et Cyril Piou, tous chercheurs au CIRAD, précisent « qu’un essaim de 1 km² compte 50 millions d’individus qui dévorent 100 tonnes de végétation chaque jour, soit autant que la nourriture de 1 500 vaches ».

Références

[1] Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement

[2] Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture