13/05/22

Près de deux millions d’enfants au bord de la famine au Tchad

Malnutrition
Près de deux millions d'enfants sont exposés à la malnutrition au Tchad Crédit image: EU Civil Protection and Humanitarian Aid (CC BY-NC-ND 2.0.)

Lecture rapide

  • 17 provinces sur 23 sont dans une situation nutritionnelle préoccupante
  • Près de deux millions d’enfants âgés de 6 à 59 mois sont sous la menace de la malnutrition
  • Les autorités appellent à agir afin d’éviter une insécurité alimentaire dans le pays

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[NDJAMENA] Le Tchad est menacé par la famine. L’alerte a été donnée par le Programme alimentaire mondial (PAM) au début de l’année 2022 et confirmée quelques semaines plus tard par le Conseil militaire de transition qui dirige le pays.

Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA) estime que  17 provinces sur 23 sont dans une situation nutritionnelle préoccupante.

La partie ouest du pays, composée des provinces du Barh-El Gazal, du Lac, du Kanem et du Hadjer-Lamis, est visiblement sous la menace de la famine et ses conséquences, souligne l’ONG Action contre la faim.

“Nous devons agir ensemble, agir avec les politiques, agir avec les transformateurs, agir avec les distributeurs, agir avec les petits producteurs”

Kamougué née Déné-Assoum, ministre du Développement agricole

Selon les données du Cadre harmonisé de novembre 2021, rapportées par Action contre la faim, « environ 409 003 personnes seront en insécurité alimentaire aiguë sévère (phase 3 et plus) et nécessiteront une assistance alimentaire d’urgence dans les provinces du Barh-El Gazal (59 234), du Kanem (151 183) et du Lac (198 586).

Ceci représente 26% de la population totale de ces trois provinces et 23,55% de la population nationale en phase 3 et plus. Pour les ménages vivant dans cette partie du Tchad, la période de soudure s’annonce précoce et très insupportable.

Plusieurs facteurs expliquent cette situation fragile. « On a les problèmes de changement climatique avec une faible pluviométrie et la répartition des pluies dans le temps et dans l’espace est très limitée. Ce qui affecte sévèrement les ménages surtout ceux qui pratiquent l’agriculture », explique Edgar Wabyona, chef de la section « Recherche, suivi et évaluation de la sécurité alimentaire » au PAM.Il cite également la pandémie de la COVID-19 qui est venue fragiliser davantage les populations déjà confrontées à l’insécurité alimentaire ; sans oublier les problèmes de conflits dans certaines provinces qui empêchent la pratique de l’agriculture et l’accès aux marchés.

S’agissant des effets du changement climatique, une enquête réalisée par le Fonds des Nations-Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et le Système d’information sur la sécurité alimentaire et d’alerte précoce du Tchad (SISAAP), entre le 29 novembre et le 14 décembre 2021, relève que dans huit provinces, 79% des cultivateurs interrogés déclarent avoir enregistré une diminution de leur production.

Ils avancent comme explication la difficulté d’accès à l’eau, en raison de la baisse des précipitations. « Dans la province du Lac, les cultivateurs qui se récoltaient quatre à cinq tonnes par hectare se retrouvent aujourd’hui avec une tonne par hectare », témoigne le vice-président du cadre de concertation des producteurs ruraux du Tchad, Brahim Wolly Kaila.

Stratégies d’adaptation

Une situation qui se ressent à Ndjamena et dans d’autres grandes villes du pays où les prix des céréales augmentent de façon inattendue. A Ndjamena par exemple, le sac de maïs qui coûtait entre 25 000 FCFA et 27 000 FCFA sur le marché se vend actuellement à 30 000 FCFA, et le sac de riz de 100kg qui se vendait à 45 000 FCFA se vend depuis quelques semaines à 60 000 FCFA.

Pour faire face à la situation, certaines familles sont contraintes de s’endetter pour survivre et d’autres sont obligées de limiter leur consommation de nourriture.

« Au début, on diminue la fréquence des repas, on mange les nourritures qu’on ne préfère pas. Et après, ces ménages commencent à avoir des stratégies d’adaptation plus sévères. Il y a l’endettement pour être en mesure d’acheter la nourriture sur le marché, la vente d’actifs, la migration vers les autres provinces, la vente d’animaux… », explique Edgar Wabyona.

Ce qui n’est pas sans conséquences sur la santé des personnes vulnérables telles que les femmes enceintes et les enfants. OCHA Tchad estime que 1 668 150 enfants âgés de 6 à 59 mois souffriront de malnutrition aiguë durant l’année 2022 parmi lesquels 334 649 cas sévères.

Le PAM envisage d’assister un million de personnes cette année. Mais la situation est sans précédent, rappelle le chef de la section « Recherche, suivi et évaluation de la sécurité alimentaire » au PAM.

« Les besoins sont très élevés mais les ressources disponibles pour assister les ménages vulnérables sont au plus bas. Nous sommes forcés de faire le choix entre nourrir les ménages qui ont faim et donner la nourriture à ceux qui sont affamés », déplore ce dernier.« Nous devons agir ensemble, agir avec les politiques, agir avec les transformateurs, agir avec les distributeurs, agir avec les petits producteurs », appelait Kamougué née Déné-Assoum, la ministre du Développement agricole lors de l’édition 2021 de la journée mondiale de l’alimentation en octobre dernier.

OCHA Tchad a déjà exprimé un besoin de 511 millions de dollars pour répondre à cette insécurité alimentaire et d’autres chocs.

Mais au-delà de l’aide que peuvent apporter les ONG, Djimadoum Kimassoum, spécialiste en sécurité sanitaire des aliments, souhaite qu’il y ait une prise de conscience générale de la population avec des changements de comportement. Ce qui doit l’amener à être plus productive pour limiter le risque de la famine.

Il y a également une nécessité pour le gouvernement « de vulgariser les secteurs primaires (agriculture, élevage et pêche) qui sont les poumons de notre survie », ajoute-t-il.

Au lieu d’assister les producteurs ruraux avec des moyens financiers comme le font les ONG, Djimadoum Kimassoum pense qu’il faut « répondre aux urgences de manière pertinente » et propose la multiplication des formations sur les nouvelles techniques de culture adaptées aux défis actuels.