27/10/22

Nous ne pouvons pas vaincre le changement climatique sans écouter les femmes

Women and children try to shelter from the hot noon sun in Kapua, Turkana County, northwest Kenya, in 2017. Repeated failed rains this year have left the area facing a devastating drought crisis.
Femmes et enfants cherchent à s’abriter du soleil brûlant de midi à Kapua, dans le district de Turkana, dans le nord-ouest du Kenya, en 2017. La région est confrontée à une crise catastrophique en raison de la sécheresse suite à l’absence répétée des pluies cette année. Crédit image: Russell Watkins/DFID, (CC BY 2.0). This image has been cropped.

Lecture rapide

  • Le leadership dans le domaine du changement climatique «devrait revenir aux femmes»
  • Il faudrait une refonte des systèmes alimentaires pour «éviter les erreurs des pays du Nord»
  • Les subventions pour pertes et dommages sont cruciales pour l’Afrique

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[NAIROBI] Cela fait des décennies que l’on souligne l’importance de la représentation des femmes et des jeunes dans les négociations sur le changement climatique, tandis que les preuves scientifiques continuent de montrer qu’ils sont les plus vulnérables face à ses impacts.

Et pourtant, selon Wanjiru Kamau-Rutenberg, les décideurs des pays du Sud ne prêtent toujours pas suffisamment attention à la jeunesse et au genre.

La directrice exécutive de l’initiative philanthropique Schmidt Futures et fondatrice de l’incubateur de leadership pour les femmes et les jeunes filles, Akili Dada, a entamé sa carrière avec un poste de maîtresse assistante en politique à l’université de San Francisco.

«Le moment est venu pour les économies développées des pays du nord de verser de l’argent à leurs homologues des pays du sud pour avoir emprunté une voie de développement non durable. Les économies développées doivent payer pour leurs actes.»

Wanjiru Kamau-Rutenberg, directrice exécutive à Schmidt Futures et fondatrice d’ Akili Dada

A l’approche des négociations sur le changement climatique de la COP27, Wanjiru Kamau-Rutenberg confie à SciDev.Net que la qualité de la représentation des femmes doit être améliorée.

Ouvrir des portes

« Au début de ma carrière, en tant qu’enseignante d’université, une de mes priorités était de renforcer les capacités et de libérer les talents» dit-elle.

Elle a par la suite été nommée directrice de Femmes africaines en recherche et développement agricole (AWARD), une organisation basée à Nairobi. Elle y a dirigé des activités visant à développer les capacités des chercheurs en agronomie focalisés sur la recherche sensible au genre et l’innovation en agriculture et dans les systèmes agricoles.

Wanjiru Kamau-Rutenberg (au centre). Copyright: Shawn C. (CC BY-NC 2.0)

«Cela fait sept ans que je travaille dans le domaine de la politique scientifique» poursuit Wanjiru Kamau-Rutenberg, actuellement basée à New York où elle est en train de concevoir et développer une initiative focalisée sur les femmes leaders noires.

«Lorsque j’ai été nommée directrice de AWARD, j’ai initié le one planet fellowship dont le but est de former les scientifiques africains dont les recherches en agronomie aideront les petits exploitants du continent à s’adapter au changement climatique. Cette bourse vise à établir un réseau solide et intergénérationnel de chercheurs africains et européens pour réaliser des études en Afrique qui déboucheront sur de nouvelles technologies et des innovations destinées à aider les petits exploitants à s’adapter au changement climatique.»

Malgré ses efforts et les appels de plus en plus pressants à travers le monde pour exiger que les femmes aient voix au chapitre lors des dialogues mondiaux sur le changement climatique, elle note que la représentation des femmes au niveau des leaders reste faible.

«Combien parmi les auteurs du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) sont des femmes ? Très peu … et c’est encore pire en Afrique» explique Wanjiru Kamau-Rutenberg. Celle que l’administration Obama a désignée Championne du changement de la Maison Blanche en 2012 ajoute que :

«Quand on s’aperçoit que ces voix ne sont pas au rendez-vous … cela signifie que l’on exclut la moitié de la population du monde de la recherche et qu’on se prive de la moitié des idées disponibles. Des études ont montré que les pays où les femmes ont un statut socio-politique plus élevé ont des émissions de carbone inférieures de 12%. Si nous nous privons de la moitié des idées, alors nous n’atteindrons pas notre but de combattre le changement climatique.»

Environ un tiers des 239 auteurs du dernier rapport du groupe de travail du GIEC sur l’atténuation de l’impact du changement climatique étaient des femmes, dont seulement trois du continent africain (Fatima Denton de l’Institut des ressources naturelles en Afrique, une unité de l’Université des Nations Unies basée au Ghana, Chioma Daisy Onyige-Ebeniro de l’Université de Port Harcourt au Nigeria, et Sasha Naidoo du Conseil pour la recherche scientifique et industrielle en Afrique du Sud).

«Aujourd’hui, des vies sont en jeu dans les pays du Sud et à travers le monde en raison du changement climatique. Il y a des gens qui meurent de faim dans la corne de l’Afrique», poursuit Wanjiru Kamau-Rutenberg dans un entretien avec SciDev.Net.

Elle précise que « nous assistons à une augmentation des cas d’inondations en Allemagne et du nombre d’ouragans aux Etats-Unis. La COVID-19 a permis aux dirigeants mondiaux de voir plus clair. Elle nous a appris que le monde est vraiment petit avec un degré d’interconnexion élevé. Si nous ignorons une partie du monde, nous sommes perdants.»

Pour Wanjiru Kamau-Rutenberg, «les changements au niveau des tendances météorologiques et des conditions climatiques sont une réalité partout, nous sommes tous concernés.»

Unir les forces

A l’approche de la COP27, Wanjiru Kamau-Rutenberg se trouve au centre des efforts menés pour mettre un place une campagne de sept ans conduite par des femmes et des jeunes avec l’objectif de rassembler les organisations qui cherchent à réduire les émissions et à combattre le changement climatique.

Elle développe ce réseau au niveau mondial. Elle s’est entretenue avec SciDev.Net alors qu’elle était en déplacement. Il est 15 heures à Genève lorsque nous nous connectons via Zoom, quelques heures seulement après son arrivée de New York et avant qu’elle n’entame une série de réunions.

En plus de ses activités autour de ce réseau, Wanjiru Kamau-Rutenberg fait partie du Panel Malabo Montpellier, un groupe d’experts indépendants qui aide les gouvernements africains à identifier et mettre en œuvre des politiques visant à avoir un effet transformatif sur l’agriculture ainsi que la nourriture et la sécurité alimentaire.

Elle affirme que les méthodes de production des aliments employées aujourd’hui ne sont pas durables du moment qu’elles contribuent au changement climatique.

«La façon dont nous produisons notre nourriture demeure un gros problème. Nous ne devrions pas avoir recours aux anciennes méthodes de production des aliments qui ne sont pas durables, répétant les erreurs des économies des pays du Nord.»

Alors que les dirigeants, les mondes de la science et de l’entreprise, et la société civile se préparent pour le sommet de la COP27, Wanjiru Kamau-Rutenberg estime qu’il est important que les négociations soient marquées par une évolution des conceptions au niveau du financement de l’adaptation au changement climatique ainsi qu’au niveau de la question controversée du dédommagement des pays en développement pour les pertes irréversibles et les dommages subis.

«Il ne faut pas que nous laissions encore une fois l’Afrique prendre le chemin de l’endettement» déclare-t-elle.

Elle ajoute que «le moment est venu pour les économies développées des pays du nord de verser de l’argent à leurs homologues des pays du sud pour avoir emprunté une voie de développement non durable. Les économies développées doivent payer pour leurs actes».

«Il faut vraiment que nous prenions l’adaptation au sérieux à travers de véritables financements. A l’approche de la COP27, nous ne pouvons pas répéter les mêmes phrases comme quoi l’Afrique est vulnérable face au changement climatique ou que la sécurité alimentaire est menacée, car cela on le sait déjà. Le financement de l’adaptation en Afrique est la solution pratique dont on a besoin à la COP27.»

Cet article fait partie de notre dossier sur «La COP de la crise pour l’Afrique»

La version originale de cet article a été produite par l’édition mondiale de SciDev.Net.