27/01/21

Il est «peu probable» que la nouvelle crise acridienne atteigne l’Afrique de l’Ouest

desert locusts
De nouveaux essaims de criquets attaquent l'Afrique de l'Est. Crédit image: Niv Singer/CC BY-SA 2.0

Lecture rapide

  • Des essaims de criquets immatures se répandent en Afrique de l'Est
  • Du fait de leur taille et de la riposte, la probabilité qu’ils atteignent l’Afrique de l’ouest et du centre est faible
  • Un nouvel outil d'intelligence artificielle peut prédire leurs aires de reproduction et de migration

Envoyer à un ami

Les coordonnées que vous indiquez sur cette page ne seront pas utilisées pour vous envoyer des emails non- sollicités et ne seront pas vendues à un tiers. Voir politique de confidentialité.

Des essaims de criquets pèlerins immatures migrent de l’est de l’Éthiopie et du centre de la Somalie vers le sud de l’Éthiopie et le nord du Kenya, menaçant les économies régionales fragiles, selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).

Cependant il est très peu probable que cette migration atteigne les pays d’Afrique de l’ouest et du centre. C’est du moins ce qu’indique Sergio Innocente, conseiller régional de la FAO en matière d’alerte et d’action précoces, de préparation et d’intervention.

Il s’explique en disant que l’invasion acridienne que nous vivons en Afrique de l’est en cette année 2021 diffère de celle de 2020 sur quelques aspects.

Ainsi, « Les essaims qui envahissent le Kenya et les régions méridionales de l’Éthiopie sont beaucoup plus petits en taille et en densité par rapport à ceux de 2020, bien que l’extension de l’invasion soit très similaire », dit-il.

“La probabilité que la recrudescence se développe et envahisse les régions du centre et de l’ouest de l’Afrique existe toujours ; mais est très faible. Aucune projection actuelle n’indique que cela pourrait se produire au cours du premier trimestre de 2021”

Sergio Innocente, FAO

L’expert de la FAO ajoute que « la capacité de surveillance, dans toute la région, est bien supérieure à celle de 2020 », précisant qu’environ 260 équipes de surveillance au sol pour plus de 3 800 agents gouvernementaux sont actuellement dépêchées sur le terrain dans les 10 pays touchés.

Selon ses explications, ces agents sont dotés d’un équipement et une logistique « adéquats » et soutenus par des avions et ils ont à leur disposition un stock de pesticides suffisant pour mener des opérations pour tout le premier trimestre de cette année.

Aussi, martèle Sergio Innocente, « La probabilité que la recrudescence se développe et envahisse les régions du centre et de l’ouest de l’Afrique existe toujours ; mais est très faible. Aucune projection actuelle n’indique que cela pourrait se produire au cours du premier trimestre de 2021 ».

A l’en croire, « ce scénario avait été évité en 2020 grâce à une intensification massive des opérations de contrôle ciblées au Kenya, en Éthiopie et en Somalie ; ce qui avait considérablement réduit la population de criquets et empêché une migration majeure vers le Soudan, empêchant ainsi l’invasion des régions du centre et de l’ouest de l’Afrique ».Selon le rapport de la FAO couvrant la période de janvier à juillet 2020, un très petit essaim de criquets est capable de manger une quantité de nourriture en une journée pour environ 35 000 personnes. « Un essaim typique peut être composé de 150 millions de criquets par kilomètre carré et peut parcourir, transporté par le vent, jusqu’à 150 km en une journée».

« Les essaims pourraient continuer vers le centre du Kenya et peut-être quelques essaims pourraient atteindre la région équatoriale dans l’extrême sud-est du Soudan du Sud ainsi [que] dans l’est de l’Ouganda », explique Keith Cressman, responsable des prévisions à la FAO.

Les essaims actuels sont susceptibles de se concentrer dans les zones de végétation naturelle du nord du Kenya et du sud de l’Éthiopie, mais ils pourraient se propager plus loin dans la région de l’Afrique de l’Est, déjà sous le choc de la pandémie de la COVID-19.

Selon un rapport de l’Organisation mondiale de la santé publié le 19 janvier, l’Éthiopie arrive au huitième rang dans la région africaine de l’OMS pour les nouveaux cas de COVID-19, avec 2 980 cas enregistrés la semaine précédente.

Biopesticides

Un rapport de la FAO publié hier met en garde en disant que s’il pleut dans les semaines à venir, les essaims pourraient se propager à la recherche de conditions qui les aideraient à mûrir et à pondre des œufs.

Keith Cressman explique qu’au Moyen-Orient, une reproduction est en cours le long des deux côtés de la mer Rouge, principalement sur la côte de l’Arabie saoudite où une masse de larves se déplaçant comme une unité est présente le long d’un tronçon de 1000 kilomètres.

Il ajoute que les mesures de contrôle comprennent des pulvérisations aériennes et terrestres à l’aide de biopesticides, précisant qu’il y a deux douzaines d’avions effectuant des opérations aériennes de prospection et de contrôle en Éthiopie, en Somalie et au Kenya.

« Jusqu’à présent, plus de 1,5 million d’hectares ont été traités dans la grande corne de l’Afrique et au Yémen. Cela a permis d’économiser 2,7 tonnes métriques de production végétale, ce qui équivaut à 800 millions de dollars américains, assez pour nourrir 18 millions de personnes pendant un an », dit Cressman.

« Plus de 1,2 million de ménages, dont plus de 20 millions de personnes, ont reçu de l’aide pour sauvegarder les moyens de subsistance dans la région dans le cadre d’une intervention estimée à 1 milliard de dollars.»

Stephen Lekipasharan, un pasteur du comté semi-aride d’Isiolo au Kenya, affirme que l’attaque acridienne de 2020 a presque anéanti son bétail et l’a chassé du seul endroit qu’il appelle chez lui.

« Ils ont dévoré la moindre végétation verte sur leur passage, laissant derrière eux une terre désolée », explique-t-il à SciDev.Net. « Nous avons dû nous échapper dans le comté voisin de Laikipia avec nos animaux pour sauver nos vies. »

Intelligence artificielle

Pour Sergio Innocente, si la probabilité d’une invasion dans les régions de l’Afrique de l’ouest et du centre venait à augmenter, « les actions immédiates possibles pourraient consister à actualiser les formations pour les opérateurs de contrôle et le personnel de surveillance, augmenter la surveillance afin de détecter rapidement les essaims envahissants, et pré-organiser toute la logistique pour l’opération de contrôle, y compris les moyens de contrôle et les pesticides ».

Keith Cressman estime que des approches de contrôle plus intelligentes et plus durables sont nécessaires face à une résurgence acridienne imminente et à grande échelle au moment où le financement commence à tarir en pleine pandémie de la COVID-19.

Une solution potentielle pourrait être un outil basé sur l’intelligence artificielle appelé Kuzi qui utilise des données satellitaires, des données de capteurs au sol, l’observation météorologique au sol et l’apprentissage automatique pour prédire les aires de reproduction, d’occurrence et de migration du criquet pèlerin, selon John Oroko, l’un des les cerveaux de l’application Kuzi et PDG de Selina Wamuci, la société kenyane qui l’a développée.

L’appareil utilise un modèle d’apprentissage automatique conçu pour obtenir des données satellitaires sur l’humidité du sol, le vent, l’humidité, la température de surface, ainsi que les données de capteurs de sol et l’indice de végétation – tous des facteurs qui affectent la reproduction, la formation d’essaims et le mouvement des criquets.

Les communautés locales peuvent également recevoir des messages-textes sur leur téléphone portable sous forme d’alertes lorsque les criquets sont susceptibles d’attaquer les champs dans leurs régions, y compris le fourrage pour le bétail, afin qu’ils puissent se préparer longtemps à l’avance, ajoute John Oroko.

Ambrose Ngetich, responsable de la lutte antiacridienne à Isiolo, au Kenya, déclare que les efforts de lutte contre les criquets doivent être intensifiés pour éviter les conflits.

« Dans une région pastorale comme Isiolo, une invasion acridienne n’est pas seulement un problème économique, c’est aussi un problème de sécurité ; car la perte de pâturages due au criquet peut conduire à de graves conflits sur les ressources », dit-il.