04/03/21

L’Afrique et les vaccins contre la COVID-19 : Séparer la science de la fiction

Vacination Côte d'Ivoire
La ministre ivoirienne de la Culture et de la Francophonie, Raymonde Goudou Coffie se faisant vacciner contre le COVID-19 le 1er mars 2021 à Abidjan. Crédit image: SDN / Traoré Mamadou

Lecture rapide

  • La mise au point rapide de vaccins vient de ce que les études sur le coronavirus durent depuis 20 ans
  • Sans vaccin, les Africains vont favoriser la diffusion du virus et ralentir l’éradication de la maladie
  • Au-delà du rappel des gestes barrières, les autorités doivent aussi vulgariser l’information

Envoyer à un ami

Les coordonnées que vous indiquez sur cette page ne seront pas utilisées pour vous envoyer des emails non- sollicités et ne seront pas vendues à un tiers. Voir politique de confidentialité.

Dacquin Kasumba Muhandwa, professeur associé à la faculté de médecine de l’université de Kinshasa en République démocratique du Congo, décrypte la mise au point rapide de vaccins contre la COVID-19, l’un des arguments souvent utilisés en Afrique par les adversaires du vaccin. Il dit aussi pourquoi le faible nombre de cas graves ne doit pas justifier le rejet du vaccin sur le continent.

Une année seulement après la déclaration de la pandémie de la COVID-19, plusieurs pays ont déjà entamé leurs campagnes de vaccination contre la maladie.

Bien que le besoin de traitements thérapeutiques contre cette maladie reste important, la vaccination demeure le moyen le plus efficace et le moins dangereux.

Il sied donc d’améliorer la vulgarisation de la vaccination ainsi que l’importance des innovations technologiques subséquentes qui pourraient constituer un tremplin pour l’Afrique et le monde.

La vaccination et l’immunité acquise contre le SARS-CoV-2

L’immunité est un concept qui va bien au-delà de la quantité d’anticorps dans le sang à un moment donné de la convalescence.

L’immunité dite « acquise », du fait d’avoir été exposé au virus ou à une de ses composantes, découle de la reconnaissance des signatures moléculaires du virus.

“Il est nécessaire de mettre en relief l’importance pour les populations africaines d’accepter la vaccination contre la COVID-19”

Dacquin Kasumba Muhandwa, université de Kinshasa

Ces composantes sont également appelées molécules génératrices d’anticorps ou « antigènes ». Une fois la réponse immunitaire active du fait de l’infection ou du fait de l’exposition à un antigène, des cellules spécialisées se mobilisent pour la production d’anticorps capables de “neutraliser” le virus.

Plus tard, les anticorps ayant contribué à l’élimination du virus diminueront en quantité dans la circulation sanguine.

Fort heureusement, des cellules appelées cellules-mémoires se seront déjà, à ce moment-là, imprégnées de l’information nécessaire pour la production d’anticorps.

Et ces cellules mémoires persistent plus longtemps que les cellules productrices d’anticorps. Le patient conserve donc un niveau d’immunité important.

Ces cellules mémoires demeurent présentes, prêtes à rapidement induire une résurgence des anticorps en cas de réexposition ou de réinfection.

Même si des observations suggèrent la baisse d’anticorps neutralisants contre le SARS-Cov-2 dans le sang des personnes convalescentes, il n’y a rien de plus normal.

Lors de la vaccination, l’antigène va, de la même manière, induire une réponse immunitaire qui aboutira à la production d’anticorps neutralisants et d’une mémoire immunitaire contre le SARS-Cov-2.

Cette immunité acquise grâce au vaccin est normalement considérée active une dizaine de jours après la vaccination.

Il ne serait donc pas surprenant qu’un sujet vacciné présente des symptômes de la COVID-19 quelques jours après réception de la première dose du vaccin.

L’immunité dont il est question est donc un large concept passant par la production d’anticorps jusqu’à l’établissement de la mémoire immunitaire.

Cette immunité acquise issue de la vaccination constitue une étape indispensable à franchir si nous voulons arriver à éradiquer la COVID-19.

Le vaccin ARN messager (mARN), qu’est-ce que c’est ?

Les vaccins étaient, jusqu’à avant cette pandémie, développés à travers trois plateformes.

Dans la première approche, une séquence d’ADN[1] codant pour une protéine de l’agent infectieux (SARS-Cov-2 dans ce cas) est injectée à travers un vecteur servant de cargo pour la livraison de l’information dans les cellules.

Bien qu’il existe des variations dans le design des vecteurs, le matériel génétique permettant le développement de l’immunité demeure l’ADN.

La protéine, unité constitutrice de la structure du virus, décodée de cet ADN servira de source d’information (antigène) pour l’acquisition de l’immunité.

Dans la seconde approche, l’information est portée par la protéine du virus préalablement générée en laboratoire.

La troisième approche consiste en des vaccins basés sur des virus désactivés, qui, eux, sont constitués de l’agent infectieux détruit ou rendu inactif. Ces particules inactivées servent donc de source d’information pour l’acquisition de l’immunité.

“Cette jeune population, si elle n’est pas immunisée contre la COVID-19, pourrait continuer à favoriser la propagation du virus et ainsi ralentir l’éradication de la maladie”

Dacquin Kasumba Muhandwa, université de Kinshasa

La pandémie de la COVID-19 a permis l’avènement d’une nouvelle plateforme basée sur l’ARN[2] messager (mARN). L’ARN messager est un message émis par l’ADN.

Une fois décodé, ce message permet la production de la protéine encodée dans le message. Il constitue l’étape transitoire entre l’ADN et la protéine tout en offrant l’avantage d’être plus facilement produit en laboratoire.

Des recherches pour l’utilisation du mARN comme plateforme vaccinale sont entreprises depuis deux décennies.

Aujourd’hui, deux des vaccins déjà approuvés et administrés contre le SARS-Cov-2 sont des vaccins mARN. Dans ces deux vaccins, une molécule de mARN comportant le « message » pour la production de la protéine est mise à profit.

Cette protéine une fois produite va servir de base à nos cellules pour le développement d’une immunité.

Cette approche de vaccination basée sur le mARN, a l’avantage de ne pas nécessiter des mesures de biosécurité exorbitantes comme c’est le cas pour les autres plateformes.

Ceci constitue donc un avantage sur les coûts et le temps liés à la recherche et au développement tout en facilitant la flexibilité associée à l’expression de n’importe quel antigène.

Il faut également noter que les molécules de mARN sont les seules porteuses d’information génétiques qui n’interagissent pas avec l’ADN du génome.

Mais comment expliquer que les chercheurs ont réussi aussi rapidement à développer des vaccins efficaces contre la COVID-19 pendant que d’autres maladies infectieuses attendent encore ?

Pourquoi un vaccin aussi rapidement contre le SARS-Cov-2 ?

Depuis la première épidémie de coronavirus en 2002, la communauté scientifique étudie cette famille de virus.

Sur la base des deux souches de coronavirus connues avant la pandémie de 2019, la recherche a permis plusieurs découvertes sur cette famille de virus.

Ces découvertes ont accéléré le développement d’un vaccin une fois la pandémie déclarée.

De plus, grâce à l’application de la technologie vaccinale basée sur le mARN, technologie déjà très avancée au début de la pandémie, les connaissances sur les coronavirus ont pu rapidement être mises à profit pour le développement et les tests de ces vaccins.

Entre autres, les virus ayant des types de matériel génétique similaires aux coronavirus sont réputés pour leur forte capacité à muter.

Cette capacité favorise donc des mutations saisonnières. Ces mutations, qui sont en fait des erreurs de copie du matériel génétique, peuvent également arriver à la suite des multiples cycles de transmission et de réplication.

Elles peuvent, dans certains cas, augmenter les chances du virus à échapper au système immunitaire. Des exemples connus de ce type de virus incluent, entre autres, le virus de la grippe aussi connu sous le nom d’influenza et le virus de l’immunodéficience humaine (VIH).

A notre avantage, le SARS-Cov-2 exhiberait une capacité moins élevée à acquérir de telles mutations sur le domaine le plus essentiel de sa protéine S, l’antigène exploité dans la vaccination.

La capacité à générer en laboratoire, grâce aux recherches sur les coronavirus, une copie stabilisée, dans la conformation la plus appropriée, de cette protéine, étape toujours pas franchie pour les d’autres agents infectieux, a permis le développement rapide des premiers vaccins mARN.

Evidemment, d’un virus à un autre on a affaire à des systèmes complètement différents avec des niveaux de complexité variés.Cette complexité est encore plus évidente dans un contexte infectieux plus général (virus, bactéries, parasites, et autres pathogènes).

Si l’innovation des vaccins mARN faisait ses preuves contre la COVID-19, cette technologie pourrait donc réduire de manière significative la durée de développement d’autres vaccins et réduire les coûts y associés.

Avec plusieurs candidats vaccins maintenant disponibles, il est important pour les Nations africaines de faire le choix sur la base de critères stricts et informés.

Les vaccins contre le virus SARS-CoV-2, quelles options pour l’Afrique ?

A ce jour, les vaccins à l’ARN messager BNT162b2 de Pfizer/BioNTech et mRNA-1273 développés par ModernaTX sont les plus demandés. Ceci est probablement dû à la grande quantité de données disponibles sur leur efficacité.

Ces vaccins ont individuellement été testés en laboratoire et en clinique dans plusieurs pays et ont démontré leur efficacité à protéger contre la COVID-19.

Il y a également d’autres vaccins plus traditionnels. L’un des plus avancés et déjà disponible dans certains pays est le vaccin AZD1222 de AstraZeneca/Oxford basée sur la plateforme de l’ADN et dont l’efficacité a également été démontrée.

Une autre option de vaccin basé sur la technologie de l’ADN est le vaccin Gam-COVID-Vac (Sputnik V), développé par le gouvernement Russe, ayant également démontré son efficacité à induire une réponse immunitaire et protéger contre la COVID-19 dans des études cliniques réalisées en Russie.

Tous ces vaccins précités nécessitent deux doses pour une protection optimale. En Janvier 2021, la firme Johnson & Johnson présentait son vaccin à l’ADN à dose unique. Le premier de ce genre depuis le début de la pandémie. Ce vaccin, appelé Ad26.COV2.S, testé sur trois continents a en effet démontré une efficacité à prévenir la maladie.

Bien évidemment, Il y a d’autres vaccins, basés sur l’ADN ou les protéines, encore en phase expérimentale ou de développement dans plusieurs pays comme le Japon, la Canada, les Etats-Unis, la Corée du Sud, la France, pour ne citer que ceux-là.

La plateforme vaccinale des virus désactivés n’est pas restée orpheline. Le vaccin CoronaVac, de la firme chinoise Sinovac, est basé sur cette approche.

Bien que les données sur ce vaccin soient rassurantes et encourageantes, les évidences sur son efficacité à protéger contre le virus SARS-Cov-2 et ainsi prévenir la COVID-19 demeurent très attendues du grand public.

Bien que le vaccin russe Sputnik V reçoive moins d’attention de la part des médias occidentaux, il intéresse plusieurs pays en développement ou à faible revenu en Afrique, en Amérique latine et en Asie du sud-est.

Cela grâce à son coût (prix par dose) moins élevé, mais aussi grâce à sa stabilité à température de stockage entre 2°C et 8°C.

Cette propriété faciliterait son transport et son stockage dans les pays moins équipés. Les vaccins CoronaVac, AZD1222, et Ad26.COV2.S offrent également cet avantage lié à la température de stockage.

La pandémie suscite donc la compétition à travers le monde pour le développement de vaccins et de traitements.

Plusieurs pays s’attellent donc à développer des vaccins et/ou à obtenir des doses des vaccins contre la COVID-19.

En Afrique, le choix des vaccins à déployer dans les pays du continent devra considérer, en plus de la tolérance et de l’efficacité du vaccin, la capacité de déployer et administrer ces vaccins en considérant les infrastructures disponibles. Considérant les difficultés liées à l’acquisition et au déploiement des vaccins en Afrique, il est nécessaire de mettre en relief l’importance pour les populations africaines d’accepter la vaccination contre la COVID-19.

La COVID-19 et ses vaccins : un tremplin pour les nations Africaines ?

À côté des mesures sanitaires, il convient de noter l’importance de construire une immunité collective qui permettra l’éradication de la pandémie.

La vaccination qui a fait ses preuves contre plusieurs autres maladies infectieuses demeure le meilleur moyen pour arriver à cette fin.

“En Afrique, le choix des vaccins à déployer dans les pays du continent devra considérer, en plus de la tolérance et de l’efficacité du vaccin, la capacité de déployer et administrer ces vaccins en considérant les infrastructures disponibles”

Dacquin Kasumba Muhandwa, université de Kinshasa

Mais pour cela, le vaccin doit être à la disposition de toutes les couches sociales et tous les peuples du monde de manière équitable et sans discrimination. Fort malheureusement, l’Afrique reste encore à la traîne.

En fait, la population africaine est majoritairement jeune. Ce profil démographique est souvent mis en avant pour, entre autres, justifier la proportion relativement moins élevée des cas graves de maladie et de décès due à la COVID-19 en Afrique.

Bien que cette catégorie démographique ne soit pas complètement épargnée, elle est souvent asymptomatique ou moins susceptible de développer des complications.

Cette jeune population, si elle n’est pas immunisée contre la COVID-19, pourrait continuer à favoriser la propagation du virus et ainsi ralentir l’éradication de la maladie.

Il convient donc de rapidement trouver la meilleure approche pour conscientiser les populations africaines sur leurs rôles majeurs dans cette campagne contre la COVID-19.

Une entreprise visant à conscientiser les populations africaines vivant en milieux urbains et ruraux de leur rôle dans la lutte contre les maladies servirait également de fondation pour les réformes sanitaires sur le continent.

Les efforts des experts ne devraient pas simplement se limiter à rappeler l’importance des gestes barrières mais également à vulgariser l’information et la connaissance. Ceci permettrait d’éduquer les différentes couches de la population à mieux appréhender leurs rôles individuels et collectifs.

Cette approche transformerait cette population africaine, dynamique et jeune, en acteur de premier plan dans la lutte contre cette pandémie et d’autres maladies sur le continent.

Le manque d’initiative de la part des experts quant à engager leurs populations dans un dialogue horizontal ne rend pas la tâche moins difficile. La responsabilité est donc partagée.

Autant nous aimerions voir nos populations africaines s’engager davantage dans les efforts contre la COVID-19, autant nous devrions améliorer la qualité de notre engagement dans ces efforts.

Il ne suffit pas de dire à nos populations ce qu’elles devraient faire, mais plutôt lui faire comprendre l’importance de son action et les conséquences de son inaction.

Si le sage du village ne donne pas des enseignements aux jeunes, l’idiot du village le fera avec plaisir !

Références

[1] Acide désoxyribonucléique

[2] Acide ribonucléique