01/02/22

Coupe d’Afrique de football, potentiel foyer de propagation de la COVID-19

Spectateurs CAN 2
Les supporters lors d'un match de la CAN 2022 au stade de Japoma à Douala. Crédit image: H.V. Njiele

Lecture rapide

  • Le protocole fixé pour réduire les risques de contamination lors des matches n’est pas suivi à la lettre
  • Des joueurs testés négatifs au début de la compétition se sont révélés positifs par la suite
  • Si on pense que le tournoi ne sera pas un cluster, des enquêtes de séroprévalence sont requises

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[DOUALA, CAMEROUN] La Coupe d’Afrique des Nations de football (CAN) qui se dispute jusqu’au 6 février prochain charrie des appréhensions quant à sa capacité à accélérer la propagation de la COVID-19 au Cameroun, le pays qui abrite la compétition, et dans les autres pays qui y prennent part.

En particulier depuis que les images des tribunes vides aux premières journées de la compétition ont entraîné la suppression (quoique non officielle) du pass vaccinal anti-COVID-19 qui figure, avec la présentation d’un test négatif, parmi les conditions d’accès aux stades pour les spectateurs.

Aimé Bonny, cardiologue et enseignant à la faculté de médecine et des sciences pharmaceutiques de l’université de Douala au Cameroun, fonde ses appréhensions sur un précédent bien connu.

“Au regard de l’expérience des pays étrangers, notamment l’Italie qui avait connu une explosion de la propagation lors de la première vague à la suite d’un match de football, il y a lieu de craindre une montée en flèche au Cameroun et éventuellement ailleurs”

Aimé Bonny, Faculté de médecine, Douala

« Au regard de l’expérience des pays étrangers, notamment l’Italie qui avait connu une explosion de la propagation lors de la première vague à la suite d’un match de football, il y a lieu de craindre une montée en flèche au Cameroun et éventuellement ailleurs », dit-il.

A en croire ses explications, la foule est un facteur favorisant les clusters[1] de contamination virale. Ainsi, dit-il, plus la densité de personnes contaminées est importante, plus la concentration des postillons viraux est forte et le risque de contamination grand.

« C’est la base rationnelle de l’instauration d’un nombre maximal de spectateurs dans les tribunes. Ceci, afin de permettre une certaine distanciation des spectateurs », ajoute-t-il.Pour cette compétition, le protocole de la Confédération africaine de football (CAF) avait justement fixé un taux de remplissage maximum des stades de 80% pour les matches du pays hôte et de 60% pour les matches des autres nations participantes.

Si à aucun moment les stades n’ont fait le plein d’œuf jusque-là, l’on observe chaque fois une forte proximité des spectateurs dans les tribunes et dans les fans-zones, montrant que les mesures de distanciation sociale ne sont pas toujours respectées à l’intérieur comme à l’extérieur des stades.

« L’absence de distanciation sociale dans un foule non testée et qui regorge forcément des cas positifs, criant à gorge déployée avec pour effet mécanique la projection de postillons, fait le lit de la multiplication des contaminations », explique Aimé Bonny.

Enjeu politique

Francioli Koro, professeur au département de biochimie de la faculté des sciences de l’université de Douala, indique que « si le protocole fixé par la CAF est respecté, ça réduira de manière drastique le nombre de cas potentiels de contamination lors des matches et la CAN n’impactera pas trop la propagation de la COVID-19, surtout que les pays africains n’ont pas eu à ce jour la même situation épidémiologique que les pays du nord ».

Seulement, ce dernier s’inquiète de certaines images qui ont été diffusées à la télévision montrant une distribution gratuite des billets d’accès aux stades aux passants dans les rues pour les inciter à se rendre en grand nombre dans les stades. « Cela pourrait être très grave », dit-il.

Pour Aimé Bonny « la priorité de santé publique a été balayée par l’enjeu politique. Le gouvernement ne peut supporter l’échec populaire de sa CAN ».

Mais l’épidémiologiste Yap Boum II, représentant pour l’Afrique d’Epicentre (la section de Médecins sans frontières consacrée à la recherche médicale), se veut plutôt rassurant.

Selon ses explications, on se situe déjà autour de 95 000 personnes vaccinées en plus et à plus de 150 000 tests réalisés en deux semaines autour de la compétition avec un taux de positivité de l’ordre de 1,4%. « Ce qui est loin des 25% enregistrés à la fin du mois de décembre 2021 et nous rassure sur le fait que cette compétition a priori ne sera pas un cluster ».

Il fait savoir que « les personnes arrivant au stade suffisamment tôt se font dépister. Par contre, pour celles qui arrivent en masse à la dernière minute, il était impossible de dépister tout le monde », relève Yap Boum II.

Dans les rangs des équipes qualifiées, la compétition a révélé que certains joueurs testés négatifs à leur arrivée au Cameroun se sont révélés positifs à un moment donné de leur séjour sur le sol camerounais.

Le cas le plus célèbre est celui de l’équipe des Comores qui a vu un certain nombre de ses principaux joueurs, dont tous ses gardiens de buts, disqualifiés pour son match des huitièmes de finale contre le Cameroun parce qu’ils ont été testés positifs.

Pour les chercheurs, il se peut que des personnes réussissent à sortir du cadre circonscrit pour s’exposer aux risques de contamination. Peut-être y a-t-il des joueurs qui vont en boîte de nuit ou dans d’autres milieux sans respecter le protocole. Peut-être aussi détenaient-t-ils de faux tests comme il y en a en circulation un peu partout, supputent les spécialistes.

Patrimoine génétique et immunitaire

Dans tous les cas, analyse Francioli Koro Koro, « cela peut entraîner une contamination, mais aussi introduire un variant de la COVID-19 dans un pays où il n’existait pas avant la compétition”.

Pour ce dernier, ce n’est pas parce que les Africains ne font pas beaucoup de formes graves de la maladie qu’il ne pourrait pas y avoir de variants qui puissent s’adapter à eux.

« Si un variant survient et s’adapte aux Africains, j’ai bien peur qu’on se retrouve dans la situation que l’Europe avait prédite depuis le début de cette pandémie en Afrique. Et la CAN pourrait être une passerelle pour ces formes », dit-il.

Francioli Koro Koro insiste sur le fait que « une forme qui n’est pas dangereuse pour le Cameroun peut l’être pour le Maroc ou pour un autre pays et vice-versa ; parce que nous n’avons pas le même patrimoine génétique ou immunitaire… ».Pour suivre l’évolution, Yap Boum II fait savoir qu’il a été mis en place un système qui permet de séquencer quelques échantillons positifs afin de déterminer les variants en circulation.

« On va en outre faire des enquêtes de séroprévalence suite à cet évènement et on verra comment les personnes ont été exposées et cela nous permettra d’ajuster nos stratégies de vaccination », souligne le chercheur.

Si les experts s’attendaient déjà à ce qu’il y ait une certaine hausse du nombre de cas de contaminations vers le mois de mars avec le retour des pluies, ils espèrent que la CAN n’ait pas favorisé l’apparition de variants pouvant provoquer une avalanche de formes graves de la COVID-19 que les systèmes de santé en Afrique auraient du mal à gérer.

Références

[1] Foyer de contamination.