04/10/23

Q&R : Hugo Duminil-Copin, les secrets du succès en maths

Hugo conference
Hugo Duminil-Copin; "Il faut imaginer en quelque sorte la recherche comme une chaîne humaine de chercheurs". Crédit image: Heidelberg Laureate Forum Foundation

Lecture rapide

  • L’étude des transitions de phase permet de mieux comprendre les propriétés de plusieurs matériaux
  • L’intérêt pratique des maths est indirect ; la recherche étant une chaîne de chercheurs et de chercheuses
  • Les jeunes doivent s’intéresser aux mathématiques sans en avoir peur

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[HEIDELBERG] Le mathématicien français Hugo Duminil-Copin, 38 ans, lauréat de la médaille Fields en 2022 (la plus prestigieuse distinction en mathématiques), était l’une des attractions de la 10e édition du Heidelbert Laureate Forum (HLF), tenue du 24 au 29 septembre 2023 à Heidelbert (Allemagne).

Ce forum de haut niveau, rassemble chaque année de jeunes chercheurs en mathématiques et en informatique, autour des plus grands esprits des deux disciplines.

“Ce n’est pas parce que vous prendrez plus de temps à apprendre quelque chose en mathématiques que vous le saurez moins bien après”

Hugo Duminil-Copin

Entre conférences, panels et ateliers sur le nouveau campus de l’université d’Heidelberg, SciDev.Net a rencontré Hugo Duminil-Copin qui a bien voulu partager sa passion pour les mathématiques..

De nos jours, beaucoup de jeunes élèves et étudiants développent une certaine peur des mathématiques. Comment peuvent-ils la surmonter ?

Il ne faut pas avoir peur. C’est la première chose. Tous les jeunes qui m’écoutent, pensez à vos petits frères, vos petites sœurs, vos nièces etc. Regardez, tout petits enfants, quand ils apprennent à compter par exemple, ils se trompent tout le temps. Ils n’y arrivent pas du premier coup. Ils essayent, ils réessayent et sont fiers de parvenir à compter jusqu’à trois, alors que pour vous, compter jusqu’à trois, c’est super facile.

C’est la même chose pour toutes les mathématiques en fait. On apprend en se trompant, on apprend en essayant et un jour, on ne sait pas tout à fait pourquoi mais à force de répéter, à force d’essayer, une chose qui semblait impossible devient complètement évident. Et ça, ce sera vrai pour toutes les mathématiques.

Alors, n’ayez pas peur. Trompez-vous, continuer à essayer. N’écoutez pas les gens qui vous disent que vous n’êtes pas fait pour les maths parce que telle personne a appris à compter plus vite que vous…

Moi j’ai appris à marcher à un an et demi. C’est très tard mais je marche normalement. Je marche comme tout le monde. C’est la même chose pour vous. Ce n’est pas parce que vous prendrez plus de temps à apprendre quelque chose en mathématiques que vous le saurez moins bien après.

Donc, laissez-vous le temps, vous finirez par y arriver et vous allez voir que, en plus, quand on y arrive après avoir essayé longtemps, on a de la fierté parce qu’on a mérité de savoir cette chose-là. Et la fierté, c’est une des plus belles émotions à ressentir. Elle va vous aider à apprendre. Donc, laissez-vous le temps, faites des erreurs, ce n’est pas grave et vous y arriverez.

Quel est votre domaine de prédilection en mathématiques ?

Moi j’étudie les changements de phase, c’est à dire les changements brusques de la matière. Par exemple, quand vous prenez de l’eau et que vous l’élevez à 100°, elle devient de la vapeur. C’est un changement de la matière, c’est un changement de phase.

Autre exemple, quand vous prenez n’importe quel aimant et vous le chauffez à une certaine température, il arrête d’être un aimant. Comme un effet magique, la température a un impact sur l’aimantation des objets.

Ce sont ces changements de phase que j’essaie d’expliquer mathématiquement. Il y en a un autre par exemple, c’est la porosité des matériaux. Est-ce que de l’eau ou un gaz passera à travers un matériau poreux comme une pierre ponce ou du charbon. Ça aussi, j’essaie de l’expliquer à l’aide des mathématiques.

Quels sont précisément les travaux qui vous ont valu la Médaille Fields en 2022 ?

En gros, c’est une caricature mathématique de ce qui se passe dans un aimant qu’on appelle le modèle d’Ising (du nom du physicien allemand Ernst Ising – NDLR). Ce modèle était très bien compris quand on regarde des dimensions une et deux ; c’est-à-dire quand on prend un aimant linéaire ou un aimant planaire.

Mais on ne comprenait pas très bien ce qui se passait pour les éléments tridimensionnels ; ce qui est gênant car les aimants par définition sont plutôt des objets tridimensionnels. En fait, à l’aide de travaux communs avec un grand nombre de personnes, on est parvenus à expliquer qu’en particulier, il y a une transition de phase en dimension trois pour les modèles d’Ising qui est continue ; c’est une des propriétés premières qu’on essaie de démontrer lorsqu’on tente d’étudier une transition de phase.

Donc on l’a démontré et c’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai reçu cette médaille Fields ; parce qu’en fait, pour y arriver, on a dû démontrer toute une théorie mathématique sous-jacente qui est très utile à plein d’autres choses.

Justement, quel peut être l’apport d’une telle démonstration pour le développement ?

L’intérêt pratique des mathématiques est très indirect. Il faut imaginer en quelque sorte la recherche comme une chaîne humaine de chercheurs et de chercheuses. Les mathématiciens vont créer des théorèmes, des démonstrations qui vont être utiles à des chercheurs par exemple en physique théorique, qui vont expliquer des phénomènes de façon théorique. Eux-mêmes, leurs recherches vont être utiles à des physiciens appliqués, etc.

Donc c’est une longue chaîne humaine qui fait que les mathématiques se retrouvent appliquées à la fin par exemple en écologie, en étude du climat, en météorologie et autres.

La percolation qui est la théorie de la porosité qui essaie d’expliquer les matériaux poreux, a par exemple des liens avec les phénomènes climatiques. On essaie de comprendre les phénomènes, les dépressions, peut-être même les ouragans. Mais puisque c’est une très longue chaîne de personnes, moi je suis très loin de l’application. C’est très difficile pour moi de vous dire comment ma recherche peut être appliquée ou non, mais c’est aussi la beauté de la chose. C’est que c’est une expérience collective.

Avez-vous d’autres exemples?

J’ajouterai celui des travaux en physique statistique qui est le domaine général dans lequel je travaille et qui consiste à essayer d’expliquer les phénomènes physiques à l’aide de ce qu’on appelle la théorie des probabilités (théorie du hasard). Ces travaux en physique statistique trouvent de plus en plus d’applications lorsqu’on étudie par exemple le climat, la désertification et autres…

Je ne peux pas modéliser par exemple les courants océaniques dans l’Atlantique. Je ne peux pas les reproduire à l’expérience dans un laboratoire. Donc dans la modélisation et l’étude de ces phénomènes, la physique statistique devient de plus en plus utile. Je pense qu’il va y avoir de plus en plus d’applications des mathématiques, en particulier de la physique statistique, à des sujets concrets comme les changements climatiques, les études océanographiques, les études de la pollution, etc.

Là, moi je suis un peu hors de ma zone de compétence. Je suis peut-être parmi les premiers de cette longue chaîne de personnes mais je pense qu’il faudrait poser la question aux autres personnes de la chaîne suivant leurs domaines spécifiques.