29/02/24

Q&R : Ces plantes qui éliminent le moustique vecteur du paludisme

Prisca Paré
Prisca Paré dans son laboratoire. Crédit image: SDN / A. A. Nabaloum

Lecture rapide

  • Les propriétés de certaines plantes leur permettent d’attirer les moustiques, puis de les tuer
  • D’autres espèces végétales peuvent aider à restaurer la vulnérabilité des moustiques aux insecticides
  • Cultiver ces plantes autour des habitations pourrait aider à réduire la transmission du paludisme

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[OUAGADOUGOU] Prisca Paré a soutenu le 23 décembre 2023 à l’université Joseph Ki-Zerbo (Burkina Faso) une thèse de doctorat en entomologie médicale sur le rôle des plantes dans la transmission du paludisme.

A travers ses travaux de recherche, elle a démontré que certaines espèces végétales sont capables d’appâter, puis de tuer les moustiques vecteurs du paludisme, réduisant ainsi la propagation de la maladie.

Dans cet entretien qu’elle a bien voulu accorder à SciDev.Net, cette scientifique burkinabè décrit la consistance de ses travaux et indique comment ils peuvent être mis à contribution pour mener la lutte contre cette maladie qui continue d’endeuiller des milliers des familles chaque année en Afrique.

Quels sont les travaux qui font l’objet de votre thèse ?

J’ai obtenu mon doctorat sous la direction des professeurs Olivier Gnankiné  et Roch Dabiré. Durant quatre ans, cinq activités ont pu être réalisées. La première activité consistait à évaluer l’effet de 31 espèces de plantes sur la survie des moustiques. La survie ou encore la longévité des moustiques vecteurs est un paramètre important dans l’épidémiologie du paludisme et la transmission de la maladie. Arriver à contrôler ce paramètre pourrait jouer un rôle important dans la lutte contre le paludisme.

“Notre étude apporte la preuve que les plantes jouent un rôle important dans la lutte contre le paludisme. Elles sont une richesse potentielle à ne pas négliger”

Prisca Paré

La deuxième activité a consisté à évaluer le rôle des plantes sur la sensibilité des moustiques aux insecticides. Force est de constater qu’au fil des années, les moustiques vecteurs du paludisme se sont révélés résistants aux insecticides déployés pour les repousser ou les tuer. Ce constat amer nous a amenée à nous tourner vers les plantes afin d’identifier celles qui sont potentiellement capables de restaurer en quelque sorte la sensibilité des moustiques vis-à-vis des insecticides.

Et comment avez-vous procédé ?

Alors pour y arriver, nous avons, au laboratoire, soumis les moustiques à différentes espèces de plantes pendant quatre jours avant de les exposer aux insecticides. Les moustiques adultes dans la nature se nourrissent à partir des plantes. C’est pourquoi, nous avons utilisé leur régime alimentaire afin de voir l’impact des plantes sur leur sensibilité aux insecticides. Parce que nous savions que les plantes sont douées de propriétés intéressantes.

Quelle a été la suite des activités ?

La troisième activité a consisté à étudier le comportement des moustiques vis-à-vis des plantes. L’objectif ici était d’identifier les plantes qui attirent le plus les moustiques et de voir l’effet de ces dernières sur la survie des moustiques. Concrètement, c’était de savoir si les plantes qui attirent les moustiques sont celles qui réduisent leur survie.

Pour résumer les deux dernières activités, elles ont porté sur le rôle des plantes, de l’alcaloïde ricinine (une molécule isolée à partir des graines de Ricinus communis) et de deux molécules antipaludiques et leur combinaison (à savoir la cycloguanil et l’atovaquone et la combinaison des deux) sur le blocage du parasite à l’intérieur du moustique.

Au terme de vos recherches, quels sont les résultats auxquels vous êtes parvenue ?

Nous avons observé à l’activité 1 que parmi les 31 espèces de plantes testées sur la survie des moustiques, il y avait 14 espèces qui réduisaient significativement la survie des moustiques. Les 17 autres quant à elles favorisaient la survie des moustiques. Les résultats de l’activité 2 ont révélé que les plantes sont capables de restaurer la sensibilité des moustiques en les rendant vulnérables. Dans notre étude, la plante qui s’est démarquée était Barleria lupulina.

Qu’entendez-vous par sensibilité et vulnérabilité des moustiques ?

En effet, cette plante, par rapport aux autres, a quasiment triplé la mortalité des moustiques lorsqu’ils sont exposés aux insecticides au laboratoire. Ce qui montre que les moustiques sont vulnérables lorsqu’ils sont préalablement soumis/nourris avec la plante Barleria lupulina. Ce qui est intéressant, car la vulgarisation de cette plante pourrait avoir une incidence significative dans la lutte contre le paludisme. Mais avant d’arriver à cela, d’autres études sont en cours afin de déterminer les substances/molécules de cette plante qui sont responsables de la vulnérabilité des moustiques aux insecticides.

Qu’en est-il à présent des résultats des autres activités ?

A l’activité 3, nous avons été surprise par les résultats. En effet, sur trois plantes utilisées, celle qui s’est montrée la plus attractive pour les moustiques se trouve être celle-là qui réduit considérablement la survie des moustiques. Donc, elle les tue. Il s’agissait de Combretum indicum encore appelé liane vermifuge en français. C’est une plante ornementale.

Pour les deux dernières activités dont l’objectif principal était de bloquer le développement du parasite à l’intérieur du moustique, afin que lors d’une piqûre, le moustique ne puisse pas transmettre le parasite, il est apparu que les molécules de synthèse sont les plus efficaces. La cycloguanil, l’atovaquone et leur combinaison, lorsqu’elles sont administrées aux moustiques au laboratoire à travers leur repas sucré, arrivent à inhiber complètement le développement du parasite à l’intérieur du moustique. Ce qui est assez intéressant.

Comment avez-vous mis en évidence la plante vermifuge qui appâte et tue les moustiques ?

Les plantes qui ont conféré une vulnérabilité conséquente aux moustiques étaient au nombre de 14. Combretum indicum qui fait partie de ces 14 plantes a été utilisée avec deux autres plantes afin de savoir lesquelles étaient les plus attractives et il est apparu que c’est Combretum indicum, malgré ses capacités à tuer les moustiques. C’est dire si les moustiques se sont dirigés vers la plante qui les tue au détriment de celles qui favorisent leur survie comme I. coccinea par exemple.

Concrètement quel est le mécanisme d’élimination des moustiques par ces plantes ?

Cette question nous renvoie à une de nos perspectives qui est d’étudier en profondeur les mécanismes induits par les plantes sur la réduction de la survie des moustiques et leur capacité à attirer les moustiques. Nous savons que les plantes contiennent des composés secondaires qui peuvent agir à différents niveaux de l’organisme du moustique. Pour l’instant, nous n’avons pas encore caractérisé ou identifié les composés secondaires de nos plantes testées pour isoler ceux qui sont responsables de la mort des moustiques. C’est un processus un peu long, mais c’est une de nos perspectives. Ainsi, une fois nos composés isolés, nous serons en mesure de décrire leur mécanisme sur la survie des moustiques.

Comment est née l’idée de travailler sur ces types de plantes ?

Tout est parti de l’observation. Nous avions constaté que les outils de lutte les plus utilisés pour l’élimination du paludisme, à savoir la lutte antivectorielle qui cible les vecteurs du paludisme et la lutte antiparasitaire qui cible le parasite du paludisme sont de plus en plus confrontés à des phénomènes de résistance. Donc pour palier ce problème, nous avions eu recours aux plantes car, elles sont dotées de plusieurs propriétés. L’idée ici est de résoudre le problème du paludisme à travers les plantes qui sont une source et une ressource fiables.

Quel enseignement apporte votre étude dans la lutte pour l’élimination du paludisme ?

Notre étude apporte la preuve que les plantes jouent un rôle important dans la lutte contre le paludisme. Elles sont une richesse potentielle à ne pas négliger. L’autre leçon est que nous n’avons pas besoin d’aller chercher loin, nous pouvons juste exploiter/utiliser les plantes qui sont à notre disposition pour lutter contre le paludisme.

Quel peut être l’apport de vos travaux dans la lutte contre le paludisme au Burkina et en Afrique ?

Nos résultats viennent enrichir nos connaissances sur les moyens de lutte contre le paludisme. Les résultats de notre étude peuvent à la longue être utilisés à travers la vulgarisation de certaines plantes qui réduiront la densité des moustiques, leur survie et donc, de ce fait, limiteront la transmission du paludisme.

Désormais quels sont vos projets et les principaux défis que vous comptez relever dans la lutte contre le paludisme ?

Déjà, c’est de poursuivre les investigations, la recherche. Le principal défi à relever est l’élimination du paludisme. Et, c’est la principale mission qu’on se donne à travers l’exploitation des plantes.

Les femmes sont toujours sous-représentées dans le domaine de la recherche. Pour vous, comment peut-on briser ces inégalités de genre dans la recherche scientifique ?

Il faut briser les stéréotypes et préjugés au sein de la famille, de l’école et de la société, qui éloignent progressivement de nombreuses femmes de la recherche scientifique. Dès le bas âge, il faut donner les mêmes opportunités d’accès à l’éducation aux garçons et aux filles, puis encourager ces dernières.