16/02/24

Stopper la chute des effectifs des séries scientifiques en Côte d’Ivoire

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En Côte d'Ivoire, les effectifs des séries scientifiques se diminuent progressivement et suscitent l'inquiétude. Crédit image: Vgrigas,CC BY-SA 3.0

Lecture rapide

  • La proportion et le nombre des élèves des séries scientifiques au baccalauréat C diminuent au fil des ans
  • Cette situation est due à une insuffisance d’incitation et d’équipements pour enseigner les sciences
  • En réponse, l’Etat envisage de construire au moins trois pôles scientifiques à travers le pays

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[ABIDJAN] Selon un rapport du ministère de l’Education nationale de Côte d’Ivoire à travers sa direction de la Pédagogie et de la formation continue, le nombre d’élèves inscrits dans les séries scientifiques est en régression.

Intitulé « Stratégie Nationale de redynamisation de l’enseignement des sciences dans le système éducatif ivoirien », ce rapport indique par exemple qu’au baccalauréat, la proportion des candidats de la série C est très faible et baisse d’année en année, passant de 1,5% en 2015 à 0,6% en 2022.

Idem pour celle des candidats de la série D qui est passée de 45% à 38% sur la même période. Pendant ce temps, relève le rapport le pourcentage des candidats issus de la série littéraire est passé de 39,14% en 2015 à 51,72% en 2022.

“Le cœur de la solution réside dans l’accompagnement des élèves. Il faudrait essentiellement leur donner le goût de l’apprentissage des sciences, une culture scientifique par le développement d’aptitudes, la sensibilisation et l’élimination des freins et blocages psychologiques”

Franck Assi, ingénieur informaticien

Pour essayer de comprendre cette situation, Koné Brahima de la Société mathématiques de Côte d’Ivoire explique que « tout ce qui est technico-commercial, généralement les gens y vont en grand nombre, [mais] tout ce qui est véritablement technique, il y a de moins en moins de personnes à cause du fait que les mathématiques sont d’un certain niveau. »

Pour sa part, Bernard Kokora N’zi, titulaire d’un master en microbiologie et en service au Joseph’s Hospital à Tucson, Arizona, aux Etats-Unis, explique que les résultats qui figurent dans le rapport sont liés à l’évolution du système éducatif ivoirien.

« Il y a de moins en moins de jeunes dans les filières scientifiques parce qu’elles demandent beaucoup de concentration et il est quelque fois difficile de trouver un emploi stable et bien payé », dit-il.

Ce dernier ajoute que l’héritage éducatif ne favorise plus un amour des Sciences. Bien plus, dit-il, « on a créé un environnement qui écrase les sciences et leur apprentissage ».

A ce propos, le rapport indique que « les salles spécialisées (salles de tavaux pratiques) sont quasi-inexistantes ; là où elles existaient, elles sont transformées en salles de classe ordinaire [et] de nombreux établissements ne disposent pas de salles de collection de matériels scientifiques ».

Par ailleurs, l’on apprend qu’environ 5% seulement des établissements privés possèdent des salles spécialisées et des salles de collection de matériels scientifiques. Tandis que sur 1 296 lycées et collèges, seul 66, soit 5%, disposent de salles multimédia.

Bourse

Et pour ne rien arranger, la bourse, une importante source de motivation qui existait autrefois a disparu. « La bourse scolaire de 12 000 FCFA par trimestre au secondaire à l’époque pour les meilleurs élèves a été une réelle source de motivation, car aucun d’entre nous ne voulait perdre ce privilège, ce qui impliquait de travailler avec vigueur pour avoir de très bonnes moyennes surtout dans les matières scientifiques qui avaient de grands coefficients », se souvient Bernard Kokora N’zi.

« Nous étions heureux qu’on nous appelle des ‘’matheux’’ avec des surnoms tels Pythagore, Thalès, Avogadro, Ampère… C’était un honneur d’être identifié comme brillant élève dans les matières scientifiques et cela donnait un réel motif de satisfaction. »

Pour les auteurs de ce rapport produit en février 2023 et rendu public vers la fin de l’année, il est maintenant question d’organiser et développer un maillage du territoire par des pôles scientifiques en guise de réponse aux constats relevés.

Selon leurs explications, un pôle scientifique est un ensemble de ressources humaines et matérielles scientifiques au service de publics diversifiés gravitant autour de l’éducation depuis le primaire jusqu’au supérieur et comprenant aussi les acteurs de la vie professionnelle et de la recherche.

« Un pôle scientifique a des missions prioritaires : accompagner la rénovation de l’enseignement scientifique et technologique ; développer la créativité et l’innovation dans l’enseignement scientifique et technologique [et] créer et diffuser les activités scientifiques et technologiques auprès d’un large public », peut-on lire.

En d’autres termes, écrivent les auteurs du rapport, c’est créer progressivement, en plus du pôle pilote de Yamoussoukro, trois pôles scientifiques autonomes et plus tard davantage. Ces pôles scientifiques seront construits à Korhogo (Nord), Daloa (Centre-Ouest) et à Abidjan (Sud).

Chaque pôle scientifique et technologique va développer des partenariats avec les écoles supérieures, les universités, les instituts et centres de recherches ou de formation, les entreprises, les ONG…ou toute structure qui voudrait bien soutenir la redynamisation des sciences et de la technologie en Côte d’Ivoire aussi bien sur le plan matériel  que sur le plan de la formation scientifique, pédagogique et didactique. »

Politique d’incitation

A terme, il s’agit pour la Côte d’Ivoire d’obtenir dans les séries scientifiques, un accroissement des effectifs des classes de terminale de 10% en 8 ans ( 2022 – 2030) avec une augmentation prévisionnelle de l’effectif des élèves de Terminale C multipliée par 7,5 ; et de 30% en 18 ans (2022 – 2040) avec une multiplication par 30 de l’effectif des élèves de Terminale C.

Ainsi, selon les prévisions, la population des candidats au baccalauréat C qui était de 2 158 en 2022 atteindra 14 895 en 2030 puis 57 750 en 2040. La série D verra le nombre de ses candidats passer de 126 570 en 2022 à 173 720 en 2030 puis à 236 300 en 2040. Quant à la série E, le nombre de sas candidats au baccalauréat devrait passer de 128 782 en 2022 à 189 300 en 2030 et à 306 550 en 2040.

Pour le ministère de l’Education, la mise en œuvre de cette stratégie débutera avec 1500 élèves recrutés par l’Etat et 500 autres qui prendront eux-mêmes en charge leurs frais de scolarité

« Le cœur de la solution réside dans l’accompagnement des élèves. Il faudrait essentiellement leur donner le goût de l’apprentissage des sciences, une culture scientifique par le développement d’aptitudes, la sensibilisation et l’élimination des freins et blocages psychologiques », propose Franck Assi, ingénieur informaticien et ancien élève du lycée scientifique de Yamoussoukro.

De fait, le Plan sectoriel de l’éducation de la Côte d’Ivoire pour la période 2016 – 2025, vise dans son action stratégique à « développer une politique d’incitation des élèves à s’orienter vers les séries scientifiques et technologiques ».

Au nombre des dispositions préconisées pour cela figurent l’étude sur la réforme des filières du baccalauréat, l’accompagnement du recrutement et de la formation des professeurs des matières scientifiques, la révision de la politique des bourses pour redynamiser ces filières et la mise en place de centres de ressources, de laboratoires équipés.