25/05/23

L’homme, premier danger pour les côtes ouest-africaines

Des digues construites à l'aide de fer et cailloux pour protéger la côte
Des digues construites à l'aide de fer et cailloux pour protéger la côte au Togo. Crédit image: SDN / C. Djade

Lecture rapide

  • D’ici 2100, l’action humaine sera la principale cause des inondations sur les côtes d’Afrique de l’Ouest
  • Par exemple, la vulnérabilité des côtes togolaises est due entre autres à la construction du port de Lomé
  • Les chercheurs appellent les Etats à agir vite, même s’il faut relocaliser certaines activités humaines

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[LOME] Selon une étude publiée le 15 mai dernier dans la revue Nature Communications Earth & Environment, les activités humaines et l’exploitation à visée socio-économique constitueront, d’ici 2100, la principale cause de la vulnérabilité des côtes ouest-africaines, caractérisée par des inondations normales ou extrêmes.

Réalisées par des chercheurs de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et des experts d’Afrique de l’Ouest, ces projections indiquent une situation plus dramatique dans les pays concentrant plus de populations sur la côte, à l’instar du Bénin, de la Côte d’Ivoire et du Nigeria.

Coordonnée par Raphaël Almar, chercheur en dynamique littorale à l’IRD et à l’université de Toulouse, l’étude a été menée sur la base de données d’observations satellite et de modèles, couplés à des scénarios futurs.

“Si vous prenez la côte togolaise par exemple, sa vulnérabilité est plus due aux installations humaines qu’aux questions climatiques. On a plus de 2 500 000 habitants installés sur le littoral, on a deux ports installés en plus des activités de prélèvement de sédiments qui impactent le littoral”

Pessièzoum Adjoussi, Laboratoire de télédétection appliquée et de géo-informatique, Université de Lomé

Concrètement, l’équipe de chercheurs s’est fondée sur les mesures du niveau de la mer de 1993 jusqu’à 2017 (soit 25 ans), sur les relevés topographiques et sur les prédictions d’évolution de la société pour procéder à des projections pour la fin du 21e siècle.

Résultat : la montée de la mer ne constitue guère le principal facteur de la vulnérabilité des régions côtières ouest-africaines ; mais plutôt l’activité humaine et la densification des enjeux socio-économiques sur les littoraux.

Deux éléments qui vont augmenter le volume de risques encourus face aux inondations dans la région étudiée qui va des côtes de la Mauritanie au nord-ouest à celles du Cameroun au sud-est.

« L’attractivité économique des régions côtières augmente la pression exercée sur ces espaces tampons entre terre et mer, et naturellement vulnérables aux assauts de l’océan, d’autant plus avec le changement climatique », explique Raphaël Almar dans un entretien avec SciDev.Net.

« Ces pressions humaines que sont la surexploitation des prélèvements d’eau souterraine, l’extraction de pétrole et de gaz, l’extraction de sable et la construction de barrières contre les inondations autour des rivières entraîneront l’affaissement des terres côtières », poursuit le chercheur.

Interrogé par SciDev.Net, Pessièzoum Adjoussi, directeur du Laboratoire de télédétection appliquée et de géo-informatique de l’université de Lomé au Togo, épouse les conclusions de l’étude qu’il qualifie de « réalistes », appelant à garder à l’esprit que les changements climatiques vont contribuer à renforcer cette vulnérabilité.

« L’élévation du niveau marin est un phénomène lent et progressif qui aura des impacts futurs. Mais actuellement les questions de vulnérabilité sont plus dues aux activités économiques développées trop près du littoral notamment, l’installation humaine, la construction de ports etc… », a-t-il déclaré, en insistant sur le fait que le facteur climatique vient secondairement en Afrique de l’ouest.

« Si vous prenez la côte togolaise par exemple, sa vulnérabilité est plus due aux installations humaines qu’aux questions climatiques. On a plus de 2 500 000 habitants installés sur le littoral, on a deux ports installés en plus des activités de prélèvement de sédiments qui impactent le littoral », illustre Pessièzoum Adjoussi.

Restriction des activités humaines

Cette étude qui s’inscrit dans le cadre du WACA-VAR[1] vient conforter une précédente réalisée huit ans plus tôt, par la Mission d’observation du littoral ouest-africain (Moloa) qui impute une grande part du fléau de l’érosion côtière aux actions humaines et à la construction d’infrastructures portuaires, sans pour autant les hiérarchiser.

Selon le Moloa, l’eau qui a englouti plus de 500 m linéaires de terre sur la côte togolaise, effaçant de nombreux villages de pêcheurs, des routes et d’autres infrastructures remonte est la conséquence de la construction du complexe hydroélectrique d’Akosombo (Ghana) à l’ouest du Togo et de celle du Port autonome de Lomé (PAL) en 1963.

Face à cette situation, l’étude presse les décideurs à agir maintenant en mettant en œuvre des mesures d’atténuation qui passent par la réglementation du développement socio-économique croissant et la migration vers les côtes.

Les auteurs de l’étude recommandent la restriction des activités humaines dans les zones à haut risque et encouragent la prise de mesures pour réduire les impacts de la probabilité d’augmentation rapide des inondations côtières. N’excluant pas un plan de relocalisation et d’adaptation du développement actuel.

Pour sa part Pessièzoum Adjoussi milite pour un bon aménagement du littoral en plus d’une meilleure réglementation des occupations.

Le gouvernement togolais a mis en place un schéma de gestion du littoral dans le cadre de la loi sur l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral et le pays tend actuellement vers la planification spatiale marine (PSM).

Il s’agit d’une approche qui aide à établir un équilibre entre la demande accrue en matière d’activités humaines et la nécessité de protéger les écosystèmes marins.Dans un entretien avec SciDev.Net le 6 avril 2023 à Lomé à l’occasion du séminaire de renforcement des capacités des membres du comité de pilotage du PSM, le ministre-conseiller du Togo pour la Mer, Stanislas Baba, a présenté le bien-fondé de cet instrument qui constitue une réponse à cette problématique de vulnérabilité des côtes.

« A mesure que les populations humaines et les économies se développent, les écosystèmes marins s’efforcent à fournir plus de ressources pour satisfaire les multiples besoins et intérêts concurrentiels de la société », introduit-il.

« Or l’espace marin et ses ressources sont limité et les activités ne sont pas toujours compatibles. D’où la décision du Togo d’aller vers une PSM en vue de faciliter la prise de décisions éclairées au sujet de la gestion des océans », poursuit Stanislas Baba.

Au total,  onze pays côtiers d’Afrique de l’Ouest se sont dotés d’un schéma directeur d’aménagement du littoral, avec le soutien de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA).

Le document leur permettra de suivre l’évolution des dynamiques et de bâtir leurs propres démarches d’aménagement et de gestion de leur littoral dans une vision et un effort de cohérence régionale

Références

[1] West African Coastal Areas- mapping Vulnerability, Adaptability and Resilience in a changing climate (Zones côtières d’Afrique de l’Ouest – cartographie de la vulnérabilité, de l’adaptabilité et de la résilience face au changement climatique)