28/10/22

Les victimes du chantier du barrage de Rusumo Falls sans eau ni vivres

La savane déboisée sur la colline Nyankuraz au détriment du centre de dispatching de l’électricité pour les trois pays est construit
L'implantation des pylônes pour le transport de l'éléctricité a entraîné des dégâts importants. Crédit image: SDN / F. Mbonihankuye

Lecture rapide

  • Des hectares de forêts et de terres agricoles ont été perdus pour l’implantation des pylônes et postes
  • La construction de cette centrale a détruit la faune et l’environnement, puis réduit l’accès à l’eau
  • Les populations déplacées au Burundi, au Rwanda et en Tanzanie réclament de meilleures compensations

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[BUJUMBURA] « Sur cette colline, les animaux étaient visibles. Beaucoup de touristes aimaient visiter notre région pour les contempler. Leur habitat détruit, ces animaux se sont réfugiés en Tanzanie où ils ne se sentent pas menacés ».

Ces propos de Jean Népomucène Hakizimana, rencontré à Nyankurazo près de la ville de Rusumo, à l’Est du Rwanda, région frontalière avec la Tanzanie, révèlent les effets néfastes de la construction de la centrale hydroélectrique de Rusumo Falls entre le Burundi, le Rwanda et la Tanzanie.

Pour construire cette infrastructure qui devrait fournir 80 mégawatts d’électricité aux réseaux électriques des trois pays susmentionnés, une superficie d’au moins 24, 081 hectares a été détruite pour la construction des pylônes et des postes, selon une évaluation du Programme d’action subsidiaire des lacs équatoriaux du Nil (NELSAP).

“Avant, nous avions des bananeraies. Pour installer les pylônes, elles ont été toutes décimées, ce qui a été à l’origine de la diminution de nos sources de revenus”

Une victime au Burundi

L’étendue détruite abritait des terres agricoles, des pâturages et la savane de Nyankurazo au Rwanda. Avant la construction de la centrale, cette savane était le refuge de singes, de gibbons, de chimpanzés et d’oiseaux.

Gaspard Bikwemu, spécialiste en environnement au NELSAP, estime que 10 hectares de savane boisée sont perdus dans le district de Kirehe au Rwanda, sur la colline Nyankurazo où est construit actuellement le centre de dispatching de l’électricité.

D’ailleurs, seuls les pylônes électriques sont visibles sur cette colline. Or, avant la construction de ce centre, cette savane était riche en arbres fruitiers, ce qui attirait les singes.

Le spécialiste en environnement au sein de NELSAP préfère minimiser ces pertes soulignant « qu’on ne peut pas avoir d’omelette sans casser les œufs ».

Sources contaminées

La centrale électrique est construite à Rusumo Falls sur la rivière Kagera, le long de la frontière du Rwanda avec la Tanzanie et à environ trois kilomètres en aval du point où les deux pays partagent une frontière commune avec le Burundi.

A Ngara, au nord-ouest de la Tanzanie, précisément à Karagwe, village de plusieurs centaines d’habitants, la construction du barrage a sérieusement affecté l’approvisionnement en eau, soutient Jean Baraka Habonimana, 37 ans, un habitant du village.

« L’approvisionnement en eau va de mal en pis. On dirait que nous sommes un village abandonné », dit-il.

Ce dernier affirme qu’avant la construction du barrage hydroélectrique à Rusumo, les habitants avaient un accès illimité à l’eau potable et à d’autres ressources naturelles comme les plantes médicinales et le bois de chauffage.

Désormais, l’eau de la région et les ressources naturelles dont elle dépendait sont contaminées par les métaux et le pétrole provenant de l’atelier du projet hydroélectrique de Rusumo.

Les habitants de Kirehe au Rwanda, de Muyinga au Burundi et de la vallée Kagera en Tanzanie soutiennent qu’elles n’ont plus « de ruisseaux où puiser de l’eau à boire ».

« Cette société avait promis la construction de bornes fontaines pour nous aider à accéder à l’eau potable. Cependant, le rationnement de l’eau du robinet est d’environ une fois par semaine. Les autres jours, nous sommes obligés d’utiliser les eaux de la rivière Kagera. A l’heure actuelle, aucune mesure n’a été prise pour approvisionner en eau propre nos villages », déclare désespérément Rachid Mbaraka, habitant du village de Rusumo.

Certains sont obligés de parcourir deux kilomètres à pied pour trouver de l’eau à boire. Pour le reste des activités domestiques, ils utilisent l’eau sale de la rivière Kagera.

D’après l’expert en santé environnementale, Scarion Ruhula, qui travaille également pour la Disabilities Relief Service – Tanzania à Kagera et Kigoma, il n’y a pas d’impact direct qui pourrait être causé par la présence d’un barrage s’il est construit à plus 100 mètres de la source d’eau utilisée par la population environnante.

Toutefois, le projet Rusumo est situé dans cette zone tampon où il y a un drainage dans la rivière à moins de 100 mètres. Ce qu’il faut faire, explique-t-il, c’est de veiller à ce que l’eau du barrage ne coule pas directement dans la rivière.

Scarion Ruhula a d’ailleurs appelé les autorités gouvernementales à effectuer des inspections régulières dans la zone du projet afin de surveiller l’éventualité d’épidémies et de maladies liées à la pollution.

En raison de violations de règlements environnementaux, le Conseil national de gestion de l’environnement (NEMC) a lancé un avertissement aux autorités de gestion du projet. De nouvelles mesures seraient prises contre le NELSAP s’il ne réformait pas son système de gestion des déchets.

Déforestation

A Nyankurazo, dans le district de Kirehe, les populations s’inquiètent de la déforestation galopante. Dadju Uwanyagasani, une habitante, craint que les plantations agricoles soient emportées par l’érosion du fait de la disparition des arbres et des herbes qui avaient une grande importance pour la protection du sol.

Si Jean Nduwamungu, enseignant et chercheur à l’Université du Rwanda – département de gestion des sols et de l’environnement, reconnaît que la construction du barrage hydroélectrique Rusumo Falls a de l’intérêt pour les pays partenaires, il admet que ce projet a des impacts sur l’environnement et les économies sociales.

Il estime qu’avant la construction du barrage hydroélectrique de Rusumo, des recherches plus approfondies étaient nécessaires pour protéger les écosystèmes de la région. Pour l’enseignant, le NELSAP devrait restaurer l’écosystème détruit.Janvier Murengerantwari, conseiller au sein de l’Office burundais pour la protection de l’environnement (OBPE) souligne pour sa part que l’exécution de n’importe quel projet a des impacts sur la biodiversité et le bien-être de la population. Toutefois, ce qu’il faut faire dans ce cas, soutient-il, c’est d’atténuer ces impacts.

Il rappelle la loi qui dispose que sous les lignes de transmissions électriques, il ne doit pas y avoir d’arbres. Sans doute, indique-t-il, les conséquences sur l’environnement sont inévitables, parce que les arbres absorbent les gaz à effet de serre, les impacts sont fatals, mais moindres par rapport à l’intérêt du pays, dit-il.

Janvier Murengerantwari révèle que les impacts du projet sur l’environnement du côté burundais n’ont pas eu lieu. Toutefois, il fait savoir que l’OBPE fait tout son mieux pour protéger l’environnement vu que c’est sa mission première.

Indemnisations

Dans les trois pays bénéficiaires de la centrale hydroélectrique, les populations ont été forcées de quitter leurs logis et leurs lopins de terre afin que le Programme d’action subsidiaire des lacs équatoriaux du Nil installe 417 pylônes qui mèneront 26 MW de Rusumo Falls de la Tanzanie jusqu’aux postes de Gitega, de Kobero et de Muyinga au Burundi.

Chaque foyer se trouvant dans un rayon de 15 mètres autour du pylône a reçu une indemnité d’une parcelle équivalant à celle qui lui a été retirée, conformément à la loi.

Mais certains habitants estiment que ces indemnisations reçues sont insuffisantes. C’est le cas d’Antoine Ndayisaba, un agriculteur du village de Mugutu, dans la province de Gitega.

Selon ses explications, « l’indemnité rurale reçue sur la parcelle occupée par un pylône de 15×15 mètres, soit 200 000 Francs burundais (98 USD), est insuffisante pour s’acheter une autre parcelle en remplacement ».

Il demande en conséquence que le projet Rusumo revoie cette somme à la hausse afin qu’il puisse acquérir une parcelle de la même taille que celle dont il a été dépossédé.

Les membres de la famille d’Antoine Kamwenubusa, sexagénaire, résidant au centre urbain « Ku Mazi » dans la commune de Nyabikere, province de Karusi, n’ont pas également apprécié cette indemnité « et demandent à la commission de redoubler d’efforts en leur trouvant des terrains proportionnels à ceux qu’ils avaient avant ».

Bananeraies

Face à ces plaintes, Janvier Murengerantwari, conseiller au sein de l’Office burundais pour la protection de l’environnement (OBPE), rappelle que « la loi burundaise qui régit les indemnités stipule que les personnes déplacées suite à des travaux d’intérêt public reçoivent les fonds qui les aident à revivre la vie d’avant ».

Cependant, poursuit-il, « il est difficile de trouver pour une personne déplacée un terrain qui est fait comme celui qu’il vient de passer des années à labourer. C’est pourquoi, l’Etat en s’appuyant sur la loi des indemnités fait tout son possible en donnant des fonds d’accompagnement pour faciliter la vie aux déplacés », précise-t-il.

Toutefois, les populations affectées par la construction de la centrale hydroélectrique de Rusumo Falls ne se plaignent pas uniquement des indemnisations, elles demandent aussi des capitaux au gouvernement afin de pouvoir nourrir leurs familles.

« Avant, nous avions des bananeraies. Pour installer les pylônes, elles ont été toutes décimées, ce qui a été à l’origine de la diminution de nos sources de revenus », soutient l’un des fils d’Antoine Kamwenubusa.

Patricia Uwingabiye, un habitant du district de Kirehe, indique que la population de Nyankurazo vivait de la culture de la patate douce, du haricot et du petit pois récoltés dans les marais de Rusumo. « Mais elle n’a plus accès à ses champs à cause des crues de la rivière Kagera », ajoute-t-elle.

Des champs inondés en raison de la fluctuation du niveau d’eau due aux activités de la construction du barrage hydroélectrique.

Ce reportage a été réalisé avec le soutien du Rainforest Journalism Fund et Pulitzer Center.