31/10/23

Intégrer la médecine traditionnelle dans les politiques sanitaires

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Tous les experts estiment qu'il est temps de valoriser la médecine traditionnelle en Afrique. Crédit image: Destiny deffo (CC BY-SA 4.0)

Lecture rapide

  • La médecine traditionnelle peut être un outil de réponse aux épidémies en Afrique
  • Les financements alloués à la santé ne tiennent pas compte de la pharmacopée africaine
  • Des experts préconisent que la médecine traditionnelle soit financée et valorisée dans chaque pays

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[YAOUNDE] Selon Nicaise Ndembi, conseiller auprès du directeur général d’Africa CDC, les Centres africains de contrôle et de prévention des maladies, la médecine traditionnelle n’est pas suffisamment valorisée sur le continent africain.

Pour lui, « c’est important qu’on commence à voir cela [médecine traditionnelle] comme outil de réponse à certaines épidémies sur le plan continental, pour la réponse aux infections bactériennes, virologiques… », déclare-t-il.

La réaction du spécialiste fait suite au tout premier sommet mondial de la médecine traditionnelle, organisé au mois d’août dernier en Inde par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

“Vous ne pouvez pas demander à un acteur de la médecine traditionnelle qui a son médicament d’être au laboratoire sans lui donner des moyens d’aller faire des essais cliniques qui coûtent extrêmement cher. C’est utopique et par là, on tue le médicament traditionnel. Il y a des études simplifiées qui peuvent être mises en place pour tester l’efficacité du médicament traditionnel”

Marlyse Peyou Ndi Samba, biochimiste et experte en santé publique

Les participants à ce sommet s’étaient engagés à exploiter le potentiel de la médecine traditionnelle pour améliorer les progrès vers la couverture sanitaire universelle et les objectifs de développement durable d’ici 2030 pour la santé et le bien-être des personnes.

A l’ouverture des travaux, le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, avait plaidé pour « une intégration appropriée de la médecine traditionnelle dans les systèmes de santé nationaux ».

Interrogé par SciDev.Net, Pascal Nadembega, directeur du Centre de médecine traditionnelle et de soins intégrés et ancien directeur de la médecine traditionnelle et alternative au Burkina Faso, pense que cette faible valorisation de la médecine traditionnelle africaine peut s’expliquer par le fait qu’elle n’est pas prise en compte dans les politiques sanitaires.

« Toutes les structures sanitaires qui sont mises en place ne tiennent pas compte de la présence de la médecine traditionnelle. Du coup, les 98 % des fonds qui sont alloués à la santé sont dédiés à la médecine conventionnelle et rien pour la médecine traditionnelle. On ne met pas de l’argent qui va pouvoir développer la médecine traditionnelle », déplore-t-il.

Prenant l’exemple sur le cas du Burkina Faso, le spécialiste affirme qu’une direction de la médecine traditionnelle a été créée dans le pays. Mais cette direction « n’a pas de fonds pour aller vers les acteurs. On ne peut pas dire qu’il faut donner une priorité à la médecine traditionnelle sans donner des moyens aux acteurs de cette médecine », dit-il.

Ignorance

Marlyse Peyou Ndi Samba, biochimiste camerounaise et experte en santé publique, soutient que la médecine traditionnelle africaine souffre de deux problèmes : l’ignorance et le « lavage de cerveau ».

« Si on ne connaît pas quelque chose, on le combat d’emblée. On nous a formés pour importer. On a formé nos médecins pour prescrire le médicament exogène et nos pharmaciens pour vendre le médicament exogène », explique-t-elle.

La biochimiste affirme que de nombreux médecins et pharmaciens ont effectué leur thèse sur les plantes. Mais, regrette-t-elle, une fois qu’ils ont eu leurs diplômes, ils se sont arrêtés alors qu’ils étaient bien placés pour faire poursuivre leurs travaux et en tirer des médicaments pour soigner. « Il est très important qu’on ne s’arrête pas là et qu’on mette nos travaux dans les tiroirs. Il faut les valoriser », soutient-elle.

Pour Pascal Nadembega, il revient à chaque pays africain de prendre des dispositions pour valoriser et intégrer la médecine traditionnelle dans son système de santé.

« L’OMS qui est une structure d’orientation est dans son rôle. Elle a élaboré sa stratégie sur la médecine traditionnelle 2002-2005 et 2014-2023. C’est au tour des Etats de jouer leur partition… Ce sont nos Etats qui doivent implémenter cette orientation et les dirigeants africains connaissent bien l’importance de la médecine traditionnelle en Afrique », fait savoir le spécialiste.

A l’en croire, des pays de l’Afrique de l’Ouest ont, à travers l’Organisation ouest africaine de la santé (OOAS), mis en place un cadre de valorisation de la médecine traditionnelle. Un engagement qui a abouti à l’élaboration de la « Pharmacopée de l’Afrique de l’Ouest », un ouvrage édité en volume 1 et volume 2.

« Un tradipraticien qui veut valoriser son médicament peut se baser sur ce document pour prouver l’utilité ou la non toxicité des plantes qu’il utilise dans sa pharmacopée. Parce que dans cette pharmacopée, nous avons les plantes les plus utilisées, qui ont déjà été étudiées », précise-t-il.

Données probantes

L’OMS propose, certes, d’intégrer la médecine traditionnelle dans les systèmes de santé. Néanmoins, l’organisation recommande qu’elle soit fondée sur des données probantes afin de s’assurer de la fiabilité des médicaments.

« Il y a des processus qui conduisent à l’utilisation des produits issus de la médecine traditionnelle. On a des essais cliniques. On ne prend pas un produit et on les administre sans passer par les essais cliniques. L’Inde et la Chine passent leurs produits à des essais et le produit issu est enregistré sur le plan national. Mais chez nous, on les utilise sans suivre des procédures…Les produits doivent passer par les procédures », rappelle Nicaise Ndembi.

Marlyse Peyou Ndi Samba estime qu’il faut, certes, des essais cliniques mais les étapes doivent être « contextualisées ».

« Vous ne pouvez pas demander à un acteur de la médecine traditionnelle qui a son médicament d’être au laboratoire sans lui donner des moyens d’aller faire des essais cliniques qui coûtent extrêmement cher. C’est utopique et par là, on tue le médicament. Il y a des études simplifiées qui peuvent être mises en place pour tester l’efficacité du médicament traditionnel », argumente-t-elle.

Cette dernière ajoute que « si on veut le faire, il faut équiper les laboratoires avec des appareils de pointe pour pouvoir aider les tradipraticiens », propose-t-elle.

Abondant dans le même sens, Pascal Nadembega souligne qu’il existe des structures de recherche capables d’orienter les acteurs de la médecine traditionnelle, et des laboratoires qui peuvent évaluer la toxicité des produits.

Il faudrait surtout que le processus d’homologation du médicament traditionnelle soit adapté à chaque pays, conclut-il.