26/04/24

Le potentiel anticancéreux des plantes médicinales d’Afrique

Ginger garden
Selon les chercheurs, certaines plantes médicinales (ici le gingembre) ont des propriétés anticacéreuses. Crédit image: Nirajan_pant, CC BY-SA 3.0

Lecture rapide

  • Grâce à leurs composés bioactifs, plusieurs plantes d’Afrique peuvent soigner ou prévenir le cancer
  • Sans volonté politique, les molécules issues de ces plantes ne seront pas à la portée des Africains
  • L’incidence du cancer en Afrique subsaharienne a été multipliée par deux dans les 30 dernières années

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Dans un article publié dans la revue scientifique Pharmacological Research, des chercheurs ont exploré les propriétés potentiellement anticancéreuses des plantes médicinales d’Afrique subsaharienne dans l’optique d’élaborer de nouveaux médicaments.

Pour cela, ils ont recueilli et fait la synthèse des effets anticancéreux et des mécanismes moléculaires déjà observés et publiés. Exploitant une base de données scientifiques pour sélectionner les articles de recherche sur les plantes médicinales d’Afrique subsaharienne publiés entre janvier 2013 et mai 2023.

« Ce travail est assez exceptionnel. Un important travail de bibliographie a dû être fourni pour identifier les articles scientifiques décrivant les effets d’un extrait de plante avec suffisamment de détails. Jusqu’à présent, aucun article de ce type n’avait été publié », indique Jean-Marc Lobaccaro, un des auteurs de cette étude, par ailleurs enseignant-chercheur à l’université Clermont-Auvergne et au Centre de recherche en nutrition humaine Auvergne (France).

“L’attrait fondamental que représente l’étude des plantes médicinales, c’est qu’elles sont utilisées depuis des décennies, voire des siècles, par les tradipraticiens, et leur toxicité est censée être connue”

Bagora Bayala, université Joseph Ki-Zerbo, Burkina Faso

Selon les auteurs de ces travaux, l’aspect le plus surprenant de cette étude réside dans l’abondance et la diversité des plantes identifiées, ce qui remet en question les perceptions que l’on peut avoir de la médecine non occidentale.

Ils mettent notamment l’accent sur le travail considérable qui a été réalisé pour identifier des molécules bioactives potentielles dans différentes familles de plantes, qui offrent des possibilités variées de traitement.

En effet, les plantes médicinales citées dans l’étude proviennent de plusieurs pays d’Afrique subsaharienne[1]. Les chercheurs ont concrètement identifié 204 espèces de plantes dans 57 familles, ayant des caractéristiques chimiques anticancéreuses.

Les plantes appartenant à ces familles sont non seulement les plus utilisées par les populations d’Afrique subsaharienne, mais elles représentent aussi une véritable alternative thérapeutique. Ce sont principalement les amaryllidaceae (16), les fabaceae (14), les annonaceae (10), les asteraceae (10), les apocynaceae (8), les lamiaceae (8) et les solanaceae (8).

« L’attrait fondamental que représente l’étude des plantes médicinales, c’est qu’elles sont utilisées depuis des décennies, voire des siècles, par les tradipraticiens, et leur toxicité est censée être connue », indique Bagora Bayala, autre auteur de l’étude, par ailleurs enseignant-chercheur au département de biochimie-microbiologie de l’université Joseph Ki-Zerbo au Burkina Faso.

Mécanismes

Parmi les mécanismes observés chez ces plantes, on compte l’inactivation des carcinogènes, l’activation des gènes suppresseurs de tumeurs et l’inhibition de la prolifération de cellules cancéreuses. La berbérine par exemple, un alcaloïde dérivé du berberis vulgaris, peut prévenir l’invasion des cellules et des métastases en cas de cancer du sein.

Quant à lui, le resvératrol qui est un composé présent dans de nombreuses plantes à l’instar de l’arachide (arachis hypogaea) a un effet anticancéreux à différents stades de la maladie, et il a été utilisé dans plusieurs essais cliniques.

L’étude révèle aussi que les cultures cellulaires les plus communément utilisées dans les études antérieures avaient été prélevées chez des patients atteints de cancer du sein (24,67 %), du sang (17,41 %), du côlon (14,02 %), du cerveau (13,71 %), du foie (6,93 %), du poumon (5,86 %), du col de l’utérus (5,08 %) et de la prostate (4,62 %). Il s’agit aussi des types de cancer les plus répandus dans la région.

A en croire les statistiques, l’incidence du cancer en Afrique subsaharienne a été multipliée par deux au cours des 30 dernières années et, sans intervention efficace, on s’attend à ce qu’il y ait plus d’un million de décès dus au cancer dans la région chaque année d’ici 2030.

Aussi, pour Evangelos Tatsis, un des responsables du Centre d’excellence pour la science végétale et microbienne (Centre of Excellence for Plant and Microbial Science), « la flore africaine, riche et diversifiée, peut représenter une véritable mine d’or pour identifier de nouveaux composés bioactifs. »

« Recueillir des données sur les plantes médicinales endémiques, avec des applications dans le domaine de la biologie de synthèse, peut donner rapidement de nouvelles pistes pour élaborer de nouveaux traitements contre le cancer », ajoute ce chercheur qui n’a pas pris part à l’étude.

Effets secondaires

La richesse des espèces de plantes médicinales en Afrique subsaharienne n’est pas uniquement due aux conditions climatiques, mais aussi à la culture et aux traditions des populations de cette vaste région. En effet, elles utilisent davantage les plantes à des fins thérapeutiques.

En outre, apprend-on, les plantes médicinales présentent une toxicité relativement faible et ont des effets secondaires moins importants que ceux des molécules chimiothérapiques conventionnelles.

Du point de vue de Jean-Marc Lobaccaro, envisager l’avenir consisterait à étudier les extraits de plante décrits dans cet article, d’en examiner toutes les molécules actives, de les tester dans des cultures cellulaires et, enfin, d’autoriser la mise sur le marché des molécules pour qu’elles soient utilisées pour lutter contre le cancer.

« Mais, dans ce cas, il est pratiquement certain que la population locale n’y aura pas accès, ce qui serait honteux, parce que ces molécules ont été identifiées grâce à leurs propres tradipraticiens et ethnobotanistes », regrette l’expert qui reconnaît que le traitement du cancer n’est « pas bon marché », et qu’il est même « plutôt onéreux ».

Jean-Marc Lobaccaro fait savoir que « les principales raisons sont liées aux coûts de la recherche et du développement ; ce qui n’est pas anormal quand on sait qu’il faut compter une moyenne de 10 ans, entre la modification chimique de la molécule, les tests réalisés sur les animaux, les expériences sur la toxicité, les différentes phases de tests, etc. ».

Volonté politique

Surtout que, relève Evangelos Tatsis, pour ces pays africains qui ont une population si jeune, l’éducation doit être la priorité et apporter un soutien financier à la recherche fondamentale pourrait être un luxe qu’ils ne peuvent pas toujours se permettre.

« A court terme, la collaboration internationale peut contribuer à faire avancer la recherche sur les plantes médicinales en Afrique et, sur le long terme, les capacités de recherche pourraient se développer grâce aux investissements dans des infrastructures dédiées », conclut-il.

Interrogé par SciDev.Net, Bagora Bayala abonde dans le même sens en disant qu’il faut une approche qui satisfasse toutes les parties, principalement en élaborant des partenariats internationaux entre les universités d’Afrique subsaharienne et celles du monde occidental. « Le principal obstacle consiste à adopter une volonté politique forte pour financer de tels projets », dit-il.

Selon le site, the Cancer Atlas, on estimait en 2018 à 752 000 le nombre de nouveaux cas de cancer et à 506 000 le nombre de décès dus au cancer en Afrique subsaharienne.

Références

[1] Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Congo, Côte d’Ivoire, Ethiopie, Ghana, Kenya, Lesotho, Namibie, Nigeria, Ouganda, République démocratique du Congo, Soudan, Tchad et Togo.