19/07/23

Q&R : Pélagie Boko-Collins en guerre contre les insectes

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Pélagie Boko-Collins Crédit image: SDN / V. Ahissou

Lecture rapide

  • Plusieurs types de maladies sont transmissibles par les moustiques et autres insectes
  • La situation des maladies tropicales négligées s’améliore au Bénin et au Togo
  • Les femmes devraient davantage s’engager dans le domaine de la science

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[COTONOU] Pélagie Boko-Collins, la quarantaine, s’est intéressée à l’entomologie dès le début de sa carrière d’ingénieure d’analyses biomédicales, dans la première décennie des années 2000.

Aujourd’hui, sa passion pour l’entomologie médicale fait d’elle l’une des rares femmes au Bénin engagées dans la lutte contre les maladies tropicales négligées (MTN), en particulier celles transmises par des insectes.

Gestionnaire de programmes à l’ONG « Sightsavers » où elle est responsable des MTN pour le Bénin et le Togo, Pélagie Boko-Collins a accordé à SciDev.Net un entretien pour parler de son parcours, son combat contre les MTN et la nécessité d’encourager les femmes à embrasser une carrière scientifique.

D’où vous est venu cet intérêt pour l’entomologie ?

A la fin de ma formation au Collège polytechnique universitaire (CPU) d’Abomey-Calavi, pour l’obtention d’un Diplôme d’ingénieur des travaux en analyses biomédicales au début des années 2000, j’avais à choisir dans le cadre de mon mémoire entre plusieurs thématiques dont l’immunologie, l’hématologie et l’entomologie médicale. J’ai choisi l’entomologie parce que pour moi, c’est un domaine où mes travaux auront un impact sur la communauté.

“La femme en général me paraît plus apte à la recherche scientifique que l’homme. Au-delà de l’intuition dont elle est naturellement dotée, elle fera preuve de flexibilité et verra dans un champ plus large qu’un homme qui pourrait être plus rigide et souvent pressé”

Pélagie Boko-Collins, Sightsavers

Dès 2002, j’ai commencé mon aventure avec les moustiques avec mon encadreur d’alors, le Pr Martin Akogbeto, au Centre de recherche entomologique de Cotonou (CREC). Après l’obtention du diplôme, je suis revenue au CREC après une année d’expérience de terrain en analyse biomédicale à Pèrèrè (500km au Nord de Cotonou).

Pendant huit ans, dans le cadre d’un projet de la London School of Hygiene and Tropical Medicine (LSHTM) au CREC, j’ai travaillé sur la lutte contre les moustiques, principaux vecteurs du paludisme en évaluant plusieurs variétés d’insecticides qui serviront plus tard à imprégner les moustiquaires.

Dans quelles conditions avez-vous connu l’existence des maladies tropicales négligées ?

J’avais toujours pensé que le paludisme était le seul danger que représentent les moustiques avant d’intégrer la Liverpool School of Tropical Medicine pour l’obtention d’un master sur « la biologie et le contrôle des parasites et des vecteurs de maladies » et de découvrir les MTN.

J’ai découvert que l’entomologie n’était pas seulement applicable au paludisme mais aussi à plusieurs autres maladies transmissibles par un insecte.

J’avoue qu’avant cela, au Bénin, avec mes collègues au CREC, on ne travaillait que sur le paludisme et nous étions pratiquement des entomologistes du paludisme alors que l’entomologie médicale couvre une variété de maladies.

Après l’obtention de mon master, j’ai été affectée au Programme national de lutte contre les maladies transmissibles du ministère de la Santé où pendant six ans, j’ai pu travailler sur au moins cinq maladies tropicales négligées : la schistosomiase (bilharziose urinaire), les géohelminthes, la filariose lymphatique (éléphantiasis), l’onchocercose ou cécité des rivières et le trachome.

En plus de ces cinq maladies, j’étais aussi le point focal national au Bénin de la trypanosomiase humaine africaine communément appelée maladie du sommeil. Toutes ces maladies sont transmises par des vecteurs qui sont pour la plupart des insectes.

Or, dans nos communautés, il y a un manque de connaissances sur le côté vectoriel de la transmission de ces maladies. Par exemple, les populations ont été souvent stupéfaites d’apprendre que l’éléphantiasis est causé par la piqûre d’un moustique comme le paludisme…

Quel est l’état des lieux des maladies tropicales négligées au Bénin et au Togo, les deux pays que vous couvrez ?

Sur la vingtaine de maladies tropicales négligées (MTN) existantes, une demi-douzaine font l’objet de l’appui de Sightsavers en Afrique de l’Ouest, notamment au Bénin et au Togo. Globalement la situation des MTN s’améliore dans les deux pays avec l’appui de différents partenaires ; mais il reste beaucoup à faire.

Concernant les géohelminthes communément appelés maladies des mains sales, presque tout le monde est à risque dans les deux pays. Pour les schistosomiases (bilharziose), au Bénin, une seule commune sur 77 n’est pas à risque. Toutes les autres communes sont à risque soit plus de 10 millions de personnes.

Pour l’onchocercose au Bénin, 51 communes sont endémiques. Et aujourd’hui, rien n’a presque changé par rapport à la transmission de cette maladie. On a diminué la transmission dans certaines zones, certes.

Mais les prévalences qu’on observe au sein des communautés montrent que la maladie est toujours fortement présente, même si elle n’évolue plus souvent jusqu’à l’état de cécité en raison des traitements et de la prise en charge.

Pour le trachome, après le Togo en 2022, nous avons célébré le 13 juin 2023, l’élimination de cette maladie qui était endémique dans 26 communes dans le nord du Bénin. Il faut saluer à cet effet, l’effort louable des ministères en charge de la Santé ainsi que tous les partenaires.

Les deux pays ont également éliminé la dracunculose et concernant la filariose lymphatique (éléphantiasis), seul le Togo l’a éliminée pour le moment. Pour les autres MTN, le chemin est encore très long vers leur élimination.

Comment arrivez-vous à allier vie professionnelle et vie familiale ?

Globalement, c’est un travail de terrain et déjà à mes débuts au Programme national de lutte contre les maladies transmissibles au Bénin, on passait pratiquement 80 % de notre temps sur le terrain. C’est presque la même chose depuis que je suis à Sightsavers où le terrain occupe 75 % environ du temps de travail.

Ce n’est pas facile pour une mère de famille ; mais c’est une passion pour moi d’être en contact avec les communautés d’une part et d’autre part, j’ai un époux qui comprend parfaitement mes contraintes professionnelles et me soutient d’ailleurs dans ma tâche.

Aller sur le terrain n’est pas facile mais c’est incontournable. Pour aller chercher les larves d’insectes par exemple, vous êtes obligés d’être sur le terrain. Il en est de même pour les séances de sensibilisation de la communauté sur l’acceptabilité d’un acte de santé publique comme la chirurgie.

Vous devez être sur le terrain pour convaincre et ma famille le comprend bien, car elle est impliquée dans mon action en étant consciente de sa nécessité. Donc malgré les contraintes, la vie du foyer n’est pas déstabilisée.

Au regard de votre expérience, est-il facile de susciter l’intérêt des jeunes filles et femmes pour la recherche scientifique ?

Je pense que oui, parce que la détermination d’une femme, c’est depuis l’enfance lorsqu’on lui inculque que c’est le travail qui libère l’être humain. La femme est capable autant que l’homme d’atteindre tous les objectifs et sur le terrain des fois encore mieux. En réalité, quand on analyse le contexte et les préjugés, c’est que les gens ne voient que l’acte physique et non la portée de l’activité.

Moi je pense qu’il n’y a pas un domaine réservé à l’homme. C’est une question de mentalité. Les barrières psychologiques existent mais c’est avec la détermination uniquement que les femmes peuvent les briser et obtenir des résultats.Je dirais même que la femme en général me paraît plus apte à la recherche scientifique que l’homme. Au-delà de l’intuition dont elle est naturellement dotée, elle fera preuve de flexibilité et verra dans un champ plus large qu’un homme qui pourrait être plus rigide et souvent pressé. Tout ça donne l’avantage à la femme d’être souvent plus à l’aise dans ce domaine que ne le serait un homme.

Il y a beaucoup de contraintes, beaucoup d’obstacles sur le chemin de la jeune fille depuis le collège, qui la découragent. Mais moi je dis, en tant que femme, mère et scientifique, que pour briser ces barrières, c’est à nous les femmes de croire en nous-mêmes pour prendre la place que nous désirons dans la société.

Nous ne devons plus nous limiter à l’opinion de la communauté à notre sujet mais nous devons nous fixer nos objectifs et nous donner les moyens de les atteindre par notre détermination.

A votre avis, faudrait-il fixer des quotas pour favoriser les femmes dans la recherche scientifique lors des recrutements de chercheurs par exemple ?

Je répondrai oui et non. Souvent on en arrive à cette exigence parce que lorsque nous demandons à nos partenaires de respecter le genre, sans insistance, le partenaire vous répond facilement qu’on n’a pas trouvé de femmes ; ce qui nous amène souvent à exiger un quota.  Si les leaders comprennent et acceptent la notion du genre, tout devrait se faire sans qu’on exige un quota.

Si une candidate est disponible et valable, pourquoi ne pas la prendre ? Pourquoi prioriser un homme ? A mon avis, le quota rentre aujourd’hui dans les habitudes pour forcer la main uniquement lorsqu’on constate des résistances.

Parfois cela peut conduire au choix de personnes non compétentes, mais on ne devrait pas en arriver là si les leaders étaient conscients de l’équilibre des genres dans l’administration et surtout dans les formations.

Tout part de la formation. Et il faudra déjà travailler à intégrer assez de jeunes filles et de femmes au sein des groupes d’apprenants afin de ne pas limiter leur chance d’accéder plus tard à des positions au niveau de telle ou telle autre unité de recherche.