05/05/09

Les nano-éponges et l’eau propre : les grands espoirs de l’Afrique du Sud

Les nanoéponges sont comparées à des nids d'abeilles Crédit image: Flickr/justus.thane

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Les nanoéponges peuvent-elles résoudre les problèmes de pollution d’eau du continent africain ? Une enquête de Munyaradzi Makoni.

Dans le même temps, Mintek conçoit des plateformes pour tester la capacité des nanoéponges à éliminer les polluants industriels de l’eau. Tshikhudo espère que l’une de ces plateformes sera prête d’ici la fin de l’année. Krause et Mamba collaborent aussi avec des chercheurs au Brésil, en Inde et aux Pays-Bas pour accélérer les tests pilotes.

Certains les comparent à des nids d’abeille ; d’autres à des tasses de thé sans fond, d’un diamètre mesurant un milliardième de mètre. Mais lorsqu’il a fallu leur trouver un nom, c’est l’épithète  de nanoéponges qui s’est naturellement imposé.

L’idée consiste à les placer en collier autour d’une source, qu’il s’agisse d’un robinet d’évier ou d’un tuyau qui conduit l’eau de refroidissement vers une centrale énergétique, pour qu’elles absorbent le fluide, en retenant les impuretés dans leurs milliers de petites cavités et ne laissant passer l’eau que dans sa forme la plus pure.

L’Afrique du Sud espère certainement que les nanoéponges pourront résoudre les problèmes de purification d’eau là où les traitements conventionnels se révèlent insuffisants – de la fourniture d’eau potable à tous à la décontamination du réfrigérant qui, sans intervention de ce type, entraînerait la corrosion des turbines des centrales.

Les nanoéponges se montreront-elles à la hauteur des nombreuses promesses placées en elles, à la fois sur les plans technique et économique ? La réponse est incertaine : leur développement coûte cher et elles présentent toujours quelques défauts.

Les nanoéponges ont été élaborées il y a déjà dix ans, au Laboratoire national de Los Alamos aux Etats-Unis, par DeQuan Li et Min Ma. Moins de deux ans plus tard, Bheki Mamba et Rui Krause, de l’Université de Johannesburg en Afrique du Sud, ont concentré leurs recherches sur ces éponges, y percevant un potentiel certain pour le continent africain.

Krause, chimiste organique au département des technologies chimiques, connaît les difficultés de l’extraction des polluants chimiques de l’eau. Beaucoup d’entre eux sont en effet si petits que leur détection même pose problème.

Pour Nndanganeni Musekene, responsable principal de la protection des ressources au Ministère de l’eau et des forêts à Johannesburg, la pollution de l’eau en Afrique du Sud est principalement due à l’exploitation minière dont les drainages acides contaminent la nappe d’eau souterraine.

Le drainage acide causé par l’exploitation minière, comme ici aux Etats-Unis, est une grande source de pollution de l’eau

Flickr/savethewildup

A ce problème viennent s’ajouter la pollution des eaux usées et celle due aux engrais phosphatés dans les eaux agricoles.

Leonardo Manus, responsable de la régulation de la qualité de l’eau potable auprès du ministère, relève qu’environ 88 pour cent des 48 millions de Sud africains ont accès à l’eau potable. Les autres, soit plus d’un habitant sur dix, sont surtout des pauvres ruraux marginalisés. Le problème de l’accès à l’eau potable risque en outre de s’accentuer avec le développement du secteur industriel et la croissance de la population. La contamination de l’eau et des aliments a été à l’origine d’une épidémie de choléra qui a éclaté au Zimbabwe avant de s’étendre à l’Afrique du Sud en octobre dernier.

Une efficacité supérieure à celle des filtres

Dans leur laboratoire, Mamba et Krause supervisent quelques 30 étudiants post-universitaires venus de l’Inde, du Swaziland et du Zimbabwe. Leurs travaux sont le fruit d’un partenariat avec deux centres d’innovation en nanotechnologies lancé en 2008 – , l’un abrité au Mintek, l’organisme national de recherche minière à Johannesburg, et l’autre au Conseil pour la Recherche scientifique et industrielle de Pretoria.

Les recherches font partie d’un programme plus vaste sur les nanotechnologies qui comprend un partenariat avec l’Université Rhodes de Grahamstown sur les nanosenseurs et avec l’Université de Western Cape sur le biomarquage, explique Robert Tshikhudo, responsable des nanotechnologies au Mintek.

La fabrication des nanoéponges nécessite de l’amidon, qui une fois ajouté à une enzyme naturelle particulière, se décompose en anneaux de molécules de glucose appelés cyclodextrines. Chaque anneau ou cavité compte entre six et dix molécules de glucose, dont chacune mesure à peine 1 ou 2 nanomètres (0.000000001 mètre) de diamètre.

Ensuite, il suffit de lier chaque cyclodextrine à une molécule qui s’allie à la prochaine cyclodextrine, et ainsi de suite, pour former un polymère ou une longue chaîne.

"Ces polymères sont composés de nanocavités capables de piéger les polluants. Ils agissent comme des adsorbants, des éponges pour les polluants, c’est pourquoi le terme nanoéponge a été adopté," explique Krause.

La magie des nanoéponges tient à leur capacité à réagir à la charge d’une molécule, au lieu d’agir simplement comme des filtres ordinaires dont l’action est basée sur la taille de leurs pores.

Bheki Mamba : grand spécialiste des nanoéponges

University of Johannesburg’s Audio and Visual Unit

L’intérieur de chaque cavité repousse l’eau tandis que l’extérieur des cavités l’attire. Ainsi, l’eau passe facilement à travers l’éponge, tandis que les pesticides et de nombreux autres contaminants sont piégés dans les cavités. Les nanoéponges sont des "filtres intelligents", avance Krause.

D’autres substances susceptibles de cibler des polluants précis ou de les modifier en des formes moins toxiques peuvent ensuite être ajoutées à ces éponges.

Ainsi, une éponge à laquelle on a ajouté des nanoparticules de fer piègerait un polluant chloré comme le chloroforme, mais le transformerait aussi en quelque chose de moins nocif, comme le méthane. On a déjà recours au fer, selon le même procédé, pour le nettoyage des déversements industriels. Mais cette réaction au cœur des nanoéponges est beaucoup plus rapide, parce que les nanoparticules de fer ont une plus grande surface.

Nous ne cherchons pas à développer une solution unique, mais plutôt un ensemble de ‘modules’ polymères, susceptibles d’être déployées selon des critères précis pour répondre aux besoins particuliers de l’industrie‘, explique Krause.

La nanoéponge a un dernier secret à dévoiler : une fois saturée d’impuretés, elle peut être nettoyée avec un solvant non dangereux comme l’éthanol, et être réutilisée.

Le parfait purificateur ?

Certains des premiers travaux de recherche publiés par les scientifiques de Los Alamos indiquaient que les nanoéponges pourraient réduire les contaminants organiques nocifs présents dans l’eau à quelques "parts par trillion".

Une étude publiée par Mamba, Krause et leurs collègues l’an dernier (octobre 2008) montre que ce rêve n’est pas encore réalité. Ces chercheurs ont prouvé que les nanoéponges peuvent extraire 84 pour cent des matières organiques dissoutes dans l’eau utilisée comme agent de refroidissement d’une centrale. Un taux de réussite à peu près égal aux autres technologies existantes, comme les résines et le charbon actif.

Krause reste pourtant optimiste : ‘il s’agit d’un nouveau matériau, alors de tels résultats préliminaires dans un contexte industriel sont très prometteurs,’ déclare-t-il.

Les chercheurs sont confiants que les nanoéponges finiront par produire des résultats meilleurs que ceux des technologies conventionnelles. Le charbon actif est l’adsorbant de purification d’eau le plus couramment utilisé à l’heure actuelle. Il est produit en chauffant de la matière organique, comme des os ou du bois, jusqu’à ce qu’il ne reste plus que du carbone comportant de petits trous qui piège les polluants.

C’est une approche peu onéreuse que l’on retrouve partout, des filtres à eau pour l’eau de table aux centrales énergétiques.

"Les technologies actuelles sont basées principalement sur l’adsorption", dit Krause. "Par conséquent, pour que les nanoéponges aient un impact significatif, je pense nous devons améliorer la roue et non la réinventer. Si nous pouvons fabriquer un superadsorbant, alors nous ne devons pas radicalement changer toutes les technologies d’appui."

"Cela implique que point n’est besoin d’inventer des solutions radicalement différentes [les unes des autres] pour les centrales, l’eau potable en milieu rural et le traitement de l’eau en zones urbaines".

Les centrales ont besoin de grandes quantités d’eau de refroidissement propre

Flickr/DanieVDM

"Nous ne disons pas que les polymères sont parfaits," précise Mamba. "Mais ils sont meilleurs que le charbon actif et d’autres adsorbants. Les nanoéponges peuvent être utilisées là où les méthodes conventionnelles de traitement ont échoué, ou être mises à contribution pour améliorer l’efficacité de ces méthodes".

Les coûts et les risques

L’obstacle majeur au programme de développement des nanoéponges tient à leur coût. Le seul coût réel lié au charbon actif découle du chauffage des déchets pour sa production. Les nanoéponges, au contraire, sont fabriqués à base de deux monomères, qui doivent tous deux être produits artificiellement (un processus qui comporte plusieurs étapes) et importés.

Mais les données vont changer.

"Nous avons choisi l’uréthane comme monomère de liaison, puisqu’il existe une grande industrie du polyuréthane en Afrique du Sud, ce qui en réduit considérablement le coût," dit Krause. Les cyclodextrines pourraient aussi être fabriqués de façon compétitive en Afrique du Sud.

Une autre difficulté est liée à la super efficacité des nanoéponges. En éliminant les polluants organiques indésirables de l’eau, elles pourraient aussi éliminer les sels minéraux qui sont vitaux pour la santé humaine, reconnaît Krause. "Dans une communauté rurale, il peut être important d’éliminer les polluants biologiques comme les [bactéries] E.coli, tout en laissant certains oligo-éléments bénéfiques, si possible."

"Est-ce qu’il s’agit ou non d’un vrai problème – c’est discutable, puisque nous ne tirons pas tant de sels minéraux de l’eau que nous consommons. Les polymères peuvent aussi être modifiés pour supprimer des éléments d’une certaine polarité et d’une certaine taille," affirme-t-il.

Il existe enfin les craintes suscitées par les potentielles conséquences des nanomatériaux sur la santé et l’environnement.

"Nous ne connaissons pas les propriétés des nanoéponges, alors nous sommes prudents," dit Jo Burgess, président de la Commission sud-africaine de la Recherche sur l’Eau, qui finance les travaux sur les nanotechnologies pour la production d’eau potable, de traitement des eaux usées et des eaux de mine.

"Les nanoéponges seront peut-être des matériaux miracles qui ne présentent que des avantages – mais cela pourrait être comme l’amiante, un matériau en apparence miracle qui s’est avéré être la source de graves problèmes de santé. Plus probablement, on sera à mi chemin entre les deux.

"Il faut approfondir la recherche pour connaître l’efficacité des nanoéponges, leur avenir et leurs effets sur l’environnement et la santé publique afin d’y recourir massivement en toute sécurité ".

La mise en œuvre de projets pilote apparaît donc comme le prochain objectif des chercheurs. "Nous essayons de mettre sur pied une équipe composée d’ingénieurs et d’autres scientifiques afin d’oeuvrer pour l’exécution de notre projet pilote dans deux ou trois ans," annonce Mamba.