14/07/23

Stopper l’inégalité des sexes dans la science en Afrique

Gender equity in science
En RDC par exemple, les femmes ne représentent que 9% de l'effectif des universitaires et chercheurs. Crédit image: Image par SAMUEL GABRIEL (Pixabay)

Lecture rapide

  • L'absence d’une législation appropriée est l’un des facteurs qui entretiennent cette inégalité de genre
  • En RDC, les femmes représentent seulement 9% des effectifs dans l’enseignement supérieur et la recherche
  • Les inégalités se manifestent par des écarts dans la rémunération et dans les comportements humains

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Cet article a été produit avec le soutien de l’Initiative des organismes subventionnaires de la recherche scientifique (IOSRS).

[DOUALA] A en croire la physicienne congolaise Raïssa Malu, en service au ministère de l’EPST (Enseignement primaire, secondaire et technique) le récent « Document de politique de la recherche scientifique de la République démocratique du Congo (RDC) » indique que « les femmes constituent un effectif de 3 571, soit 9%, dans les deux secteurs, enseignement supérieur et universitaire et recherche ».

Dans le même temps, sur les 25 institutions répertoriées dans le magazine intitulé « À la rencontre des centres et instituts de recherche de la RDC », un seul est dirigé par une femme. Il s’agit du Centre d’excellence chimique, biologique, radiologique et nucléaire (CoE-CBRN).

Cette situation rappelle celle de l’Ouganda. En effet, dans son rapport 2022 sur les perspectives de la recherche nationale, le Conseil national ougandais pour la science et la technologie (UNCST) souligne que la proportion des femmes dans les établissements de recherche et d’enseignement supérieur du pays a augmenté au cours des 15 dernières années.

“Beaucoup a été fait pour intégrer l’égalité des sexes et l’inclusivité, en particulier dans les sciences, la technologie et l’innovation, mais la transformation du genre a besoin de vraies solutions”

Diakalia Sanogo, bureau régional du CRDI pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre

Toutefois, souligne le même document, seuls 28 % des chercheurs ougandais sont des femmes. Un pourcentage qui a tendance à être encore plus faible dans les domaines généralement dominés par les hommes, à l’instar de l’ingénierie et de la technologie.

Par ailleurs, apprend-on, entre 2010 et 2020, moins d’un quart (24 %) des titulaires de doctorat en Ouganda étaient des femmes.

Ces chiffres ramènent au grand jour la problématique de l’inégalité des genres qui prévaut dans la recherche scientifique en Afrique subsaharienne.

Un sujet qui compte parmi les principaux centres d’intérêt du SGCI (Science Granting Councils Initiative)[1], un programme mis en œuvre en Afrique de l’ouest, en Afrique de l’est et en Afrique australe pour renforcer les capacités des organismes de subvention de la recherche[2].

Soutenu par le Centre de recherches pour le développement international (CRDI) et cinq autres[3] organismes, le SGCI a pour but de promouvoir la recherche et les politiques fondées sur des données probantes qui contribueront au développement économique et social.

Diakalia Sanogo, spécialiste principal des programmes pour le bureau régional du CRDI pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre, indique au passage que ces inégalités se manifestent « dans les écarts de rémunération et dans le comportement humain. C’est pourquoi nous disons qu’il est important de se débarrasser des comportements négatifs en sensibilisant par le dialogue ».

Financement

L’océanographe camerounaise Babette Christelle Tchonang Ghomsi, en service à la NASA (National Aeronautics and Space Administration) aux Etats-Unis ajoute que cette inégalité s’observe aussi à travers plusieurs réalités.

Elle cite notamment leur « sous-représentation des femmes dans les domaines scientifiques et techniques », leur « accès limité » à l’éducation et aux ressources et leur « faible représentation dans les postes de décision » ou encore la discrimination dans le financement de la recherche.

Pour illustrer, elle affirme que « les femmes chercheurs en Afrique peuvent être confrontées à des difficultés pour obtenir des financements pour leurs projets de recherche. Les comités de financement [pouvant] être influencés par des stéréotypes de genre et favoriser les hommes dans l’attribution des ressources ».

Babette Christelle Tchonang Ghomsi pense que ces inégalités de genre sont aussi tributaires des difficultés liées à la conciliation du travail et de la vie personnelle.

Car, explique-t-elle, « les femmes en Afrique peuvent être confrontées à des défis particuliers pour concilier leur carrière de chercheur avec leurs responsabilités familiales. Les attentes sociales traditionnelles peuvent imposer des pressions supplémentaires aux femmes, rendant difficile la progression dans leur carrière scientifique ».

Pour Ingrid Lynch, chercheuse principale du projet SGCI sur l’égalité des sexes et l’inclusivité, les manifestations de cette inégalité s’observent assez tôt dans le système éducatif. Selon ses explications, l’un des premiers endroits où les filles sont perdues dans le système d’éducation est au niveau de l’école primaire.

« Nous avons de nombreuses réponses politiques qui essayent de résoudre cette partie du pipeline qui fuit », déclare Ingrid Lynch qui travaille aussi au Human Sciences Research Council en Afrique du Sud

Elle attire aussi l’attention sur le fait que seule une poignée de pays ont ce qu’on appelle des politiques de continuation où les filles sont véritablement soutenues pour avoir pleinement accès à leurs droits à l’éducation.

En Sierra Leone, par exemple, souligne-t-elle, les filles peuvent rester à l’école aussi longtemps qu’elles le souhaitent et y retourner après l’accouchement.

Législation appropriée

Diakalia Sanogo affirme que l’absence d’une législation appropriée et une faible mise en œuvre des politiques de financement de la science et de la recherche ont été des obstacles à la réalisation de l’égalité et de l’inclusion des sexes.

« Beaucoup a été fait pour intégrer l’égalité des sexes et l’inclusivité, en particulier dans les sciences, la technologie et l’innovation, mais la transformation du genre a besoin de vraies solutions », dit le chercheur.

En RDC par exemple, fait savoir Raïssa Malu, le « Document de Politique de la Recherche scientifique de la RDC » prévoit le sous-programme 3 consacré à la promotion de la femme dans la carrière scientifique avec deux actions.

D’une part, il y a le recrutement des femmes chercheuses et techniciennes de recherche conformément aux Objectifs du développement durable (ODD) N°5 qui vise à parvenir à l’égalité entre les sexes et à autonomiser toutes les femmes et les filles. D’autre part, il y a l’octroi de bourses aux « femmes méritantes ».

« Mais l’État n’a à ce jour jamais offert aucune bourse pour ces femmes. De plus, je trouve le qualificatif “méritantes” discriminatoire, car il semblerait ne concerner que les cas des femmes et aller de soi pour les hommes », observe Raïssa Malu.

Pour cette dernière, les quelques progrès enregistrées ces dernières années relèvent d’initiatives privées. Elle cite en particulier deux exemples…

D’un côté, l’association Investing In People qui, en partenariat avec le réseau d’affaire Sultani Makutano a offert en 2021 des bourses pour des femmes dans la recherche. De l’autre, le Cercle d’affaires Pluri’Elles qui soutient des femmes dans la recherche pour que les résultats de leurs recherches servent aux autres femmes du réseau.

« Nous avons fait ces efforts car dans un environnement où les ressources sont limitées, nous remarquons que les hommes ont tendance à garder les quelques opportunités et financements disponibles pour eux. Les femmes ont besoin d’un soutien ciblé et spécifique sinon elles restent à la marge » ; explique la physicienne.

Contradictions structurelles

Steven Sebbale, membre du Conseil national ougandais pour la science et la technologie, pense dès lors que trouver la solution aux inégalités des genres revient à examiner les contradictions structurelles, historiques et contextuelles qui perpétuent les problèmes de genre au sein du système.

A titre d’exemple, il évoque la disparité géographique entre les universités. Avec les universités publiques qui ont une surconcentration de l’activité de recherche dans les centres urbains, et la plupart des universités éloignées qui sont laissées pour compte. Les chercheurs qui y travaillent n’étant pas exposés aux opportunités de subventions.

« Nous avons créé une alliance pour l’équité entre les sexes dans la recherche, qui a essentiellement réuni les chercheurs de ces différentes universités satellites autour de la table pour entendre leurs histoires, et nous avons pu élaborer une feuille de route pour des subventions inclusives de recherche et d’éducation », déclare Steven Sebbale.

La finalité, à en croire ce dernier, étant « de permettre à ces universités aussi de développer des politiques de genre et de déconstruire certaines de ces disparités de longue date ».D’où le constat de Diakalia Sanogo qui déclare que bien que le SGCI n’ait pas forcé un changement en utilisant le financement comme fouet, il a exhorté les conseils, dont certains avaient été aveugles au genre, à voir les avantages de l’inclusion du genre via une approche participative.

De fait, Babette Christelle Tchonang Ghomsi se félicite des progrès enregistrés ces dernières années. Par exemple, dit-elle, « de nombreuses institutions de recherche ont adopté des politiques et des programmes visant à promouvoir l’égalité des sexes. (…)Notamment en éliminant les biais de recrutement, en instaurant des quotas de genre dans les instances décisionnelles et en offrant des opportunités de mentorat et de soutien spécifiques aux femmes chercheurs ».

Elle évoque aussi la reconnaissance des réalisations des femmes chercheurs qui s’est améliorée ; avec des prix et des distinctions qui ont été créés spécifiquement pour reconnaître les contributions exceptionnelles des femmes dans divers domaines scientifiques.

Mais, pour tous ces chercheurs, beaucoup reste encore à faire pour parvenir à une véritable égalité des sexes dans la recherche scientifique sur le continent. Et à les en croire, cela passe par l’élimination des obstacles institutionnels et culturels, la mise en place de mesures pour soutenir les femmes qui choisissent des études et carrières dans la recherche, l’équité dans la répartition des ressources de la recherche, etc.

Cet article a été produit avec le soutien de l’Initiative des organismes subventionnaires de la recherche scientifique (IOSRS), qui vise à renforcer les capacités institutionnelles de 17 agences publiques de financement de la science en Afrique subsaharienne.

Références

[1] Initiative des organismes subventionnaires de la recherche scientifique (IOSRS)

[2] 17 pays africains participent à ce programme. A savoir le Kenya, le Rwanda, l’Ouganda, la Tanzanie, l’Éthiopie, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Nigeria, le Sénégal, la Sierra Leone, le Botswana, le Malawi, la Namibie, le Mozambique, la Zambie et le Zimbabwe.

[3] L’Agence suédoise de coopération internationale au développement (Sida), l’Agence norvégienne de coopération au développement (Norad), le Foreign, Commonwealth and Development Office (FCDO) du Royaume-Uni, la National Research Foundation (NRF) d’Afrique du Sud et la Fondation allemande pour la recherche (DFG).