07/02/23

Peut-on parler de la santé des femmes en Afrique sans associer les hommes ?

African women
Les lois et les traditions locales continuent de priver la femme africaine du pouvoir de décision sur sa propre santé. Crédit image: ziyo de Pixabay

Lecture rapide

  • Les résultats de santé d’une personne sont souvent proportionnels au niveau de ses revenus
  • Or, les femmes sont sous-payées et les pesanteurs légales et culturelles les prive de toute initiative
  • Lever les barrières et renforcer l’autonomie financière de la femme sont les clés pour changer la donne

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La spécialiste en communication Armelle Nyobé montre que dans le contexte actuel, la femme africaine ne décide pas sur sa santé, et plaide au passage pour un renforcement de son autonomie financière pour changer la donne.

La question peut sembler incongrue. Il n’en est rien. Je vous expliquerai pourquoi. Personnellement, je ne pensais jamais avoir à rédiger un tel article, tant la réponse, négative en l’occurrence, me paraissait évidente : On ne saurait parler de santé des femmes en laissant les hommes sur le bas-côté.

Pour moi, disais-je, cela tombait sous le sens. C’était tellement évident que je ne me suis jamais senti l’obligation de me répandre en de longues tirades pour le justifier. Mais récemment, il m’a été donné de constater que cette évidence, la mienne, était loin d’être partagée par tous. Comme disait Pascal, « vérité en-deçà des Pyrénées, erreur au-delà ».

Commençons par un concept qui a un impact majeur sur la compréhension globale de la santé : Les déterminants en matière de santé. Il s’agit de l’ensemble des facteurs qui influencent directement ou indirectement notre santé.

“Nonobstant leur pertinence, la plupart des cartographies en matière d’évaluation des déterminants de santé semble drainer un angle mort non négligeable : la question du genre. Or, c’est une dimension essentielle dans la compréhension globale et la prise en charge efficiente des problématiques de santé”

Armelle Nyobé

La nature ou l’ampleur de l’influence est toujours fonction de votre situation sociale, professionnelle, financière ; de votre lieu de vie, de votre niveau d’éducation, de votre style de vie (alcool, cigarette, mauvaise alimentation, activité sportive régulière).

Les inégalités entre différents individus dans la société entraînent des répercussions diverses sur la santé et l’accès aux soins de santé.

Le gradient social de santé permet de saisir davantage ce qui est en jeu à ce niveau. Il permet de comprendre que plus une personne aura des revenus élevés, meilleurs seront ses résultats de santé. Inversement, moins elle en gagnera, moins bons seront ses résultats.

Autant dire que la santé des individus pauvres, démunis ou moins favorisés est plus susceptible de se dégrader que celle de ceux qui se retrouvent au sommet de la pyramide sociale.

Nonobstant leur pertinence, la plupart des cartographies en matière d’évaluation des déterminants de santé semble drainer un angle mort non négligeable : la question du genre. Or, c’est une dimension essentielle dans la compréhension globale et la prise en charge efficiente des problématiques de santé.

Joëlle Schwarz, Mathieu Arminjon, Elisabeth Zemp, Stutz Sonja Merten, Patrick Bodenmann et Carole Clair soulignent fort justement que : Le genre influence la situation sociale, les conditions et les parcours de vie et les comportements en matière de santé qui influencent ensemble la santé.” Ils indiquent que le genre doit être dissocié des considérations biologiques.

En fait, les inégalités structurelles et systémiques définissent différemment, en fonction du sexe/genre, la vie des individus. En matière de santé, on n’est pas toutes et tous logés à la même enseigne.

Je prendrais en exemple le fait que de nombreuses pathologies féminines ne sont pas souvent prises au sérieux. Une légende urbaine très sexiste voudrait que les femmes affabulent, exagèrent, se plaignent et inventent des maladies qui n’existeraient pas. Mona Chollet le dit très bien dans son sublime ouvrage « Sorcières » que je recommande vivement.

Dynamique de pouvoir

En Afrique, le (mari) l’homme est le chef de famille : ça peut paraître anecdotique, on peut en rire à en pleurer ; mais cela tient d’une disposition du Code civil dans plusieurs pays africains.

Ainsi, en tant que chef de famille, le pouvoir décisionnel lui appartient et ceci dans toutes les sphères de la vie familiale. À cela s’ajoute une batterie d’autres dispositions légales ou coutumières.

Autant dire que les femmes ne détiennent pas le pouvoir en Afrique. La dynamique de pouvoir, laquelle est renforcée par la culture, la tradition, la religion et la loi, réduit leur champ d’action.

Comme je le faisais remarquer dans « discrimination par le genre », dans certains pays tels que le Soudan, les femmes ne peuvent même pas déclarer la naissance de leur enfant. Cette tâche est la responsabilité d’un homme de leur famille (le mari, le père, le frère, etc.).

Au sud du Sahara plus largement, les « bons » emplois, sont encore, dans une large proportion, la chasse gardée des hommes. Même si les choses tendent à changer dans certaines métropoles, les garçons ont encore plus de chances de faire de longues études et de trouver un emploi mieux rémunéré que les filles. Ce qui leur donne forcément accès à de meilleures opportunités, comparativement aux femmes qui, elles, se retrouvent avec des emplois sous-payés.

Malgré une implication financière et économique croissante notamment dans le secteur informel, les femmes demeurent toujours pauvres et vulnérables contrairement aux hommes.

Il est à noter que les pouvoirs décisionnels vont avec le pouvoir économique…Dans Femmes et accès aux soins en République démocratique du Congo : des barrières liées au genre, Hélène Lambert et Jean-Bosco Kahindo Mbeva montrent qu’en tant que mari et chef de famille, le conjoint fournit logis, moyens de subsistances mais cela concerne également les décisions liées à la santé du foyer. Marquant ainsi l’omnipotence des conjoints.

Les conclusions de leur étude révèlent que « en général, les maris gèrent les revenus des ménages et ont, en l’occurrence, le pouvoir de décision sur ces dépenses. Aussi, dans un contexte où les services de santé sont payants et où la population détient très peu de moyens, la dépendance économique des femmes contribue-t-elle à limiter leur accès aux soins. ».

Obtenir le consentement de leur époux

Dans la même perspective, Natacha Ordioni affirme dans Pauvreté et inégalités de droits en Afrique : une perspective “ genrée ” que : « le déficit de pouvoir rend souvent les femmes impuissantes à imposer à l’époux des rapports sexuels protégés : elles représentent près de 60 % des séropositifs par le VIH en Afrique subsaharienne. ».

Plus largement, il faut savoir que dans 29 pays à l’échelle mondiale, les femmes doivent obtenir le consentement de leur époux ou de leur partenaire pour accéder aux services de santé sexuelle et reproductive.

Parlant très précisément de la santé sexuelle et reproductrice, « la pression de la société et des hommes souvent pro-natalistes en Afrique fait que les femmes ont rarement la maîtrise de leur fécondité. Souvent les hommes veulent davantage d’enfants que les femmes. Des enquêtes effectuées au Nigeria ont montré que même chez des étudiantes mariées, la non-utilisation de contraceptifs modernes était encore, en 1995, liée au refus du mari dans un cas sur cinq. » (Pr. Awa Coll Seck)Vous l’aurez compris, dans de nombreux pays au sud du Sahara une proportion importante de femmes sont placées dans une situation de subalternité, c’est-à-dire qu’elles n’ont pas la possibilité de décider par elles-mêmes ou pour elles-mêmes, en l’occurrence sur les questions de santé.

Voilà une des raisons pour lesquelles les campagnes de communication ne parviennent pas à atteindre les résultats escomptés (éviter les grossesses précoces ou les IST/MST, entre autres) : la communication se concentre la plupart du temps sinon toujours sur les jeunes filles, excluant les jeunes garçons alors que la conception d’un enfant implique les deux parties.

Les leaders religieux et d’opinion sont souvent sollicités dans ce genre d’exercice. C’est bien, mais pour moi ce n’est pas assez. Il faut aller partout où on peut trouver des hommes. Les arbres à palabres, les écoles, associations de parents d’élèves et même en entreprise.

On présume, souvent à tort, que les personnes éduquées, appartenant à la classe moyenne, « jeunes cadres dynamiques », comme on dit au Cameroun sont plus tolérantes, plus ouvertes au changement. C’est loin d’être évident.

Briser les barrières

Au demeurant, nonobstant ce qui vient d’être dit, on pourrait toujours se demander s’il est réellement possible de briser toutes ces barrières structurelles qui déteignent négativement sur la santé des femmes, mais aussi par ricochet sur celle des hommes.

Je répondrais oui. Cependant comment lever toutes les barrières structurelles ? La réponse réside à plusieurs échelles que j’explorerai ici de façon non-exhaustive.

Lever les barrières légales et traditionnelles : C’est l’obstacle le plus difficile à mon avis. Cela dit, la tâche n’est pas insurmontable. L’évolution, les révolutions, les innovations prennent du temps. Une révolution sociétale d’envergure nécessitera une stratégie d’éducation et de changement de comportement.

L’idée ici n’est pas de refaire le monde, mais de faire comprendre que nous sommes un tout ; autant la santé de l’homme et des enfants est importante, autant celle de la femme l’est tout autant. Il existe une interconnexion de toutes nos santés. Chacune d’elle à un impact sur celles des autres.

Autonomiser les femmes : il est apparu très clairement que les femmes pâtissent de barrières structurelles exacerbées par une vulnérabilité économique qui portent atteinte à leur accès aux services, aux ressources et aux opportunités.

Leur apport très souvent invisibilisé et non rémunéré est cantonné aux tâches domestiques. Le développement du pouvoir économique des femmes leur permettra dans une certaine mesure d’être un peu plus autonomes dans leur choix et leurs aspirations en matière de santé.

Armelle Nyobé est spécialiste en communication et répond à l’adresse [email protected]