01/06/18

Réduire l’impact des invasions d’insectes nuisibles en Afrique

Fall armyworm Mozambique
Un épis de maïs ravagé par la légionnaire d'automne - Crédit image: FAO/K.Cressman

Lecture rapide

  • La chenille légionnaire d'automne a envahi depuis 2016 la plupart des pays africains
  • Mais la lutte contre l'envahisseur a généralement donné lieu à une réaction a posteriori
  • L'Afrique devrait adopter des approches proactives, y compris la mise en place d'un fonds d'urgence

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L'Agence américaine pour le développement international (USAID) a récemment organisé un concours à l'échelle du continent, pour récompenser les meilleurs outils numériques utilisés dans la lutte contre la légionnaire d'automne (FAW – Fall armyworm), un ravageur qui s'est répandu sur le continent. Les lauréats seront annoncés dans les prochains mois.

Identifié dans plus de 35 pays africains depuis 2016, le ravageur devrait continuer à se répandre, menaçant la sécurité alimentaire et le commerce des produits agricoles.

Mais ce n'est pas le premier ravageur qui essaie de faire son nid sur le sol africain.

Il y a quelques années, les petits exploitants africains ont dû livrer une bataille ardue contre la teigne envahissante de la tomate sud-américaine, Tuta absoluta.

Selon des recherches récentes, cinq insectes nuisibles envahissants, dont T. absoluta, coûtent 1,1 milliard de dollars (près de 618 milliards de CFA) au continent africain chaque année.

Partout dans le monde, les ravageurs causent chaque année des pertes économiques de 540 milliards de dollars US (30.3370 de CFA) à l'agriculture, bien que de nombreux pays fassent de leur mieux pour prévenir les invasions d'insectes maintenant et dans le futur.

Une démarche  réactive

Pour faire face aux insectes envahissants, les pays africains assistés par d'autres parties prenantes telles que l'USAID, des institutions de recherche telles que le Centre International de Physiologie et d'Ecologie des Insectes, le Centre pour l'Agriculture et les Biosciences Internationales (CABI, l'organisation mère de SciDev.Net) et l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) ont adopté à maintes reprises une approche réactive plutôt que proactive pour lutter contre les ravageurs envahissants, et donc seulement après qu'ils ont pris pied et causé des dégâts considérables.

Le Ghana, par exemple, a mis en place un groupe de travail national pour contrôler et gérer la légionnaire d'automne, après que les vers eurent envahi les champs.

Le mandat du groupe de travail comprend la sensibilisation des agriculteurs aux symptômes des attaques de légionnaires afin qu'ils puissent signaler les infestations aux autorités et entreprendre des recherches visant à trouver des solutions à court et à long terme pour lutter contre la prolifération de la légionnaire d'automne.

Bien que bon nombre de ces stratégies fonctionnent, on ne peut s'empêcher de se demander ce qu'il faudrait aux gouvernements africains pour anticiper ce problème.

Esther Ngumbi, Université de l'Illinois

Le gouvernement du Malawi a donné priorité à l'utilisation des pesticides comme stratégie immédiate et à court terme pour lutter contre la légionnaire d'automne, après qu'elle eut infligé de nombreux dégâts aux cultures.

De plus, le gouvernement a intensifié les campagnes de formation et de sensibilisation au sujet de ce ravageur et a installé des pièges à phéromones pour aider à surveiller la propagation seulement après que le ravageur se fut installé.

La FAO, un des chefs de file de la lutte contre les ravageurs en Afrique, a fourni de nombreux efforts, notamment en réunissant des experts des Amériques, d'Afrique et d'autres régions, pour échanger et se tenir mutuellement au courant des connaissances acquises sur la légionnaire.
L'organisation a ainsi lancé une application mobile qui servira d'outil de système d'alerte précoce. Mais encore une fois, beaucoup de ces efforts se sont produits après la première détection de la légionnaire d'automne.

Bien que bon nombre de ces stratégies fonctionnent, on ne peut s'empêcher de se demander ce qu'il faudrait aux gouvernements africains pour anticiper ce problème.

Comment les agences d'aide telles que l'USAID, la FAO et d'autres partenaires au développement qui dépensent actuellement des milliards de francs pour lutter contre la légionnaire d'automne aident-ils l'Afrique à prendre les mesures nécessaires pour être mieux préparée à faire face aux insectes envahissants maintenant et dans l'avenir ?

Anticiper et préparer

Des recherches récentes prédisent que la menace des insectes envahissants continuera d'augmenter dans les pays africains qui devraient être les plus vulnérables.

Les gouvernements africains doivent anticiper et se préparer à de telles invasions, en utilisant les ressources déjà disponibles.

Au début de l'année, CABI a lancé Horizon Scanning Tool (en phase bêta), un outil qui permet aux pays d'identifier les espèces envahissantes potentielles.

Cet outil open source en ligne soutenu par le département de l'Agriculture des États-Unis et le département du développement international du Royaume-Uni, permet aux pays de générer une liste des espèces envahissantes absentes de leurs territoires mais présentes dans les "zones sources" qui pourrait être utile, parce que ce sont des pays voisins, reliés par des routes de commerce et de transport, ou partageant des climats similaires. Cela permettrait aux pays africains de préparer des plans d'action qui pourraient être rapidement déployés à l'arrivée des envahisseurs potentiels.
 
Apprendre des autres régions

L'Afrique peut apprendre des autres régions disposant de plans complets sur la lutte contre les insectes envahissants et les pays qui ont connu des invasions similaires.

Les États-Unis et l'Australie sont des exemples de pays qui ont des plans complets de prévention et de lutte contre les invasions d'insectes et le Brésil a traversé sa propre période d'invasion.

Les gouvernements africains doivent apprendre à être proactifs plutôt que réactifs face aux insectes envahissants.

Esther Ngumbi, Université de l'Illinois

Grâce à des ateliers et des programmes de formation qui aident à réunir les experts, les pays africains peuvent apprendre à prévenir et à faire face aux futures invasions d'insectes.

De plus, les principaux acteurs, y compris l'USAID et la FAO, devraient aider à organiser davantage d'ateliers et de programmes de formation permettant aux experts africains d'apprendre de leurs homologues à l'étranger.

En même temps, les manuels et toutes les informations échangées et apprises au cours de ces ateliers pourraient être stockés dans des répertoires en ligne accessibles à tous les pays africains.

Renforcer la surveillance des ravageurs en Afrique

Un récent exposé technique financé par l'USAID intitulé Feed the Future, que j'ai aidé à rédiger, examinait la solidité des cadres réglementaires africains existants en matière de protection des végétaux en se penchant sur huit indicateurs, notamment l'existence d'un organisme gouvernemental mandaté pour surveiller les organismes nuisibles.

Il révèle que de nombreux pays africains ont des systèmes de réglementation phytosanitaire déficients et que de nombreux gouvernements n'effectuent pas de surveillance systématique des parasites, une opération qui consiste à recueillir, enregistrer, analyser, interpréter et diffuser en temps opportun des informations sur la présence, la prévalence et la distribution des ravageurs.

La Convention internationale pour la protection des végétaux offre un document complet qui peut aider les pays africains à concevoir des programmes de surveillance des ravageurs.

En outre, la convention propose d'autres documents d'orientation pouvant être utilisés par les pays africains pour renforcer leurs cadres de protection des végétaux.

Les pays africains peuvent utiliser ces documents disponibles pour renforcer les capacités nationales et régionales de surveillance des ravageurs.

Mettre en place des fonds d'urgence

Les insectes envahissants ne connaissent pas de frontières. Ainsi, les pays africains doivent travailler ensemble.

Dans le même temps, compte tenu de la propagation rapide des invasions d'insectes envahissants, le continent doit mettre en place un fonds d'urgence qui peut facilement être exploité lorsque les insectes envahissent.

Face à la récente invasion de légionnaires d'automne, il était évident que le continent n'avait pas de plan de financement d'urgence. Cela doit changer.

En anticipant les invasions potentielles d'insectes et en apprenant des pays dotés de cadres nationaux complets de protection des végétaux, l'Afrique peut se préparer à la prochaine invasion d'insectes. Les gouvernements africains doivent apprendre à être proactifs plutôt que réactifs face aux insectes envahissants.

Cela contribuera à protéger l'agriculture africaine et à protéger les gains significatifs réalisés dans le développement agricole. L'heure est arrivée.

Esther Ngumbi est chercheuse postdoctorale au département d'entomologie de l'Université de l'Illinois à Urbana Champaign, chercheuse principale à l'Institut de politique mondiale de l'Institut Aspen, et ambassadrice de la Clinton Global Initiative for Agriculture.

Cet article a été produit par le desk Afrique anglophone de SciDev.Net

Références