16/02/22

Q&R : La vision du généticien Ambroise Wonkam à l’université Johns Hopkins

Ambroise WONKAM 9
Ambroise Wonkam. Crédit image: Keith Weller, Johns Hopkins Medicine.

Lecture rapide

  • Une vision globale qui est de faire de la génétique un bien commun pour toutes les populations
  • On finira par démontrer que la résistance des Africains à la COVID-19 est liée à des facteurs génétiques
  • D’un point de vue stratégique, chaque pays devrait investir dans la technologie génétique

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[DOUALA] Au bout d’un processus qui aura duré une année avec une centaine de candidats en lice, l’université Johns Hopkins aux Etats-Unis a choisi en décembre 2021 le Camerounais Ambroise Wonkam pour diriger son département de médecine génétique et le McKusick-Nathans Institute, également spécialisé dans la génétique médicale.

Après ses études secondaires à Bafoussam, puis la faculté de médecine de l’université de Yaoundé I au Cameroun, il avait exercé à hôpital général de Yaoundé avant de poursuivre des études post doctorales à Genève en Suisse où il avait étudié la biologie cellulaire avant de de se spécialiser dans la génétique médicale.

En 2007, il met fin à ce séjour de dix ans en Suisse pour retourner en Afrique (Cameroun d’abord, puis Afrique du Sud dès 2009) faire profiter au continent de ses activités qui s’articulent autour de trois axes : consultation clinique pour les pathologies génétiques, étude des variants génétiques sur la drépanocytose et la surdité génétique, enseignement de la génétique.

“Etudier les populations africaines d’un point de vue génétique non seulement corrigerait une injustice des vingt dernières années, mais aussi apporterait à la science des connaissances fondamentales qu’aucun autre peuple au monde ne peut apporter”

Ambroise Wonkam, université Johns Hopkins, Etats-Unis

Dans cette interview accordée à SciDev.Net, ce scientifique qui ne s’attarde pas sur les obstacles de son parcours, mais plutôt sur les solutions trouvées, partage ses projets à ses nouvelles fonctions et précise la place de la génétique dans le développement de l’Afrique.

Pourquoi avez-vous choisi la génétique comme spécialité ?

Quand j’ai fini de faire la médecine, j’ai pensé que la meilleure façon de faire de l’académie, était d’aller faire les sciences fondamentales et pas les sciences cliniques. Question de voir un peu plus loin dans la partie fonctionnelle. C’est pour cela que j’ai fait une première thèse en biologie cellulaire en travaillant sur des modèles animaux. Après cette formation, mon arrivée en génétique était un hasard. Je n’avais pas rêvé d’être un généticien. J’étais dans un corridor à l’université de Genève et j’ai regardé une affiche par curiosité. L’affiche parlait de portes ouvertes au département de génétique. Je ne savais pas que la génétique médicale existait comme spécialité et j’ai décidé d’aller voir. Quand j’ai finalement su en quoi elle consistait, je me suis dit que c’est effectivement ce que je devais faire. Parce que la microscopie et l’analyse moléculaire que j’ai faites en sciences fondamentales pourraient être utilisées comme applications en sciences cliniques.

Je suis allé alors frapper à la porte du directeur du département sans passer par le secrétariat. Il a ouvert et je lui ai dit que je voulais faire de la génétique. Il est important que je dise que l’audace a payé. Il m’a demandé pourquoi je n’avais pas pris un rendez-vous et je lui ai répondu qu’il ne m’aurait pas reçu parce qu’il est très occupé. Il m’a demandé pourquoi je voulais faire de la génétique et je lui ai dit que c’est parce que je voulais faire la différence sur le continent africain.

Il y a un proverbe qui dit que si vous voulez être le meilleur, faites ce que les autres ne font pas. Je savais que la génétique n’était pas développée sur le continent et que ça apporterait une différence. L’autre chose, c’était un conseil de mon père qui disait que si je devais être utile à mon pays, il fallait que je fasse quelque chose qui n’existait pas dans ce pays.

Quelles sont vos chantiers à vos nouvelles fonctions à l’université Johns Hopkins ?

Nous avons défini une stratégie qui est basée sur quelques piliers : attirer les financements pour faire la recherche ; attirer les ressources humaines les plus compétentes et si possible faire en sorte que ces ressources humaines soient représentatives du spectre des humains que nous avons sur la terre pour que la vision de l’excellence ne soit pas uniforme ; réviser les curricula et en créer de nouveaux du point de vue de l’enseignement ; rendre effectivement la génétique globale, etc. Pour chacun de ces piliers, il y a une série d’actions que nous avons prévu de mener pour atteindre notre vision globale qui est de faire de la génétique un bien commun pour toutes les populations.

Et que deviendront pendant ce temps vos travaux entamés à l’université du Cap en Afrique du Sud ?

Je ne peux pas abandonner le continent africain, d’un point de vue idéologique, stratégique et de ma vision pour la science. La vision que nous avons de faire de la génétique médicale un bien global avec un intérêt particulier pour les populations africaines est la même que nous avons défendue pour notre candidature à la tête de ce département. Donc, nous pensons que si les responsables de cette université ont cru à cette vision, c’est qu’ils ont cru aussi à toutes les activités que nous menons en Afrique. Ainsi, nous avons gardé une position en Afrique du Sud à peu près à 30% de nos capacités comme professeur honoraire. Et nous avons encore un laboratoire en Afrique du Sud avec une vingtaine de personnes.

Notre groupe de recherche est appelé GeneMap[1]. Il est basé en Afrique du Sud, mais nous allons le recréer ici. Il ne va pas changer, nous allons continuer nos recherches sur la drépanocytose. Nos travaux sur la surdité dans les populations africaines vont se poursuivre. Pour ces projets, nous avons plusieurs sites sur le continent, notamment au Cameroun, au Ghana, en Afrique du Sud, au Sénégal, au Rwanda, au Soudan, en Tanzanie, au Nigeria, au Zimbabwe, en Zambie, au Mali, etc. Ça veut dire que la collaboration sera forcément maintenue avec le continent.

Où situez-vous l’intérêt de la génétique dans le développement de l’Afrique ?

L’Afrique est le berceau de l’humanité. Donc, par définition, qu’on soit Noir, Blanc ou Jaune, on est tous Africains. Le premier homme est né sur le continent. Il a quitté le continent pour coloniser les autres parties du monde ; mais il est parti avec une fraction seulement de la variabilité génétique du monde et de l’homme. Donc, l’immense majorité de la variabilité génétique de l’homme est restée sur le continent africain. Le premier intérêt est donc purement ancestral : l’origine de l’homme.

Le second intérêt est d’ordre écologique. Le continent africain a une orientation nord-sud ; contrairement par exemple à l’Europe qui a une orientation est-ouest. Ça veut dire que nous avons au moins quatre variabilités environnementales directes : la méditerranée, le désert du Sahara, la forêt équatoriale et une zone subtropicale comme l’Afrique du Sud. Chacune de ces zones géographiques est associée à une variabilité en termes de climat, d’infection, de produits alimentaires, de parasites, etc. Tous ces éléments environnementaux sont les moteurs des sélections génétiques naturelles.

La troisième raison est une question d’équité. Il y a 20 ans qu’on a séquencé le génome humain, mais l’immense majorité des variants ou mutations qui sont associés aux maladies a été étudiée essentiellement sur les populations européennes. C’est une anomalie qu’on doit corriger d’un point de vue de l’équité, mais c’est aussi un impératif scientifique de le corriger. Les populations qui ont le plus de variations sont les populations africaines qui sont à l’origine de l’humanité. Donc, étudier les populations africaines d’un point de vue génétique non seulement corrigerait une injustice des vingt dernières années, mais aussi apporterait à la science des connaissances fondamentales qu’aucun autre peuple au monde ne peut apporter. A mon humble avis, la génétique de la population africaine sera la prochaine frontière de la génétique humaine dans les dix prochaines années. On ne peut pas faire sans les populations africaines.

Maintenant, d’un point de vue purement stratégique, je pense que la technologie génétique ne peut pas seulement être appliquée à l’homme. Elle peut aussi être appliquée aux plantes et aux animaux. Chez les plantes par exemple, elle peut être utilisée pour sélectionner les graines qui sont les plus résistantes.

Si vous regardez très bien, vous remarquerez qu’il y a des fruits qui commencent à disparaître de notre environnement. Un programme stratégique aurait consisté à identifier toutes ces espèces végétales et même animales qui sont spécifiques à notre environnement, à les étudier d’un point de vue génétique de manière à les reproduire si elles venaient à disparaître, ou à sélectionner celles qui résistent le mieux. Ce sont ces produits-là qui, d’un point de vue écologique et économique, sont porteurs de développement.

Et puis, face à la COVID-19, la technologie génétique a permis de développer un autre type de vaccin. Donc, la génétique, ce n’est pas seulement pour des questions de médecine et de santé humaine ; mais, d’un point de vue stratégique, chaque pays devrait investir dans la technologie génétique.

Le fait que la COVID-19 n’ait pas eu l’effet redouté en Afrique peut-il s’expliquer par des raisons génétiques ?

Oui, je le pense absolument. On ne l’a pas encore démontré, mais je suis absolument certain qu’on le démontrera. Pour revenir à l’origine de l’homme, quand l’homme quitte le continent africain et colonise l’Europe et l’Asie, il y a d’autres populations humanoïdes, à l’instar du Neanderthals et de l’homme de Denisova, qui ne sont pas homo sapiens sapiens comme nous, qui avaient déjà quitté le continent. L’homo sapiens sapiens a croisé le Neanderthals en Europe et ils ont fait des enfants. On le sait parce que les populations européennes aujourd’hui peuvent avoir à peu près 2% de l’ADN qu’elles ont hérité du Neanderthals. Idem pour les populations asiatiques. Mais, cette proportion chez les populations africaines est presque nulle. Parce que ce mariage-là a eu lieu en Europe et en Asie. On sait aujourd’hui que cette proportion de l’ADN hérité du Neanderthals est responsable d’une susceptibilité pour certaines pathologies cutanées et immunologiques, y compris la COVID-19.

Vous avez quitté la Suisse pour revenir en Afrique afin d’être plus utile à l’Afrique. Maintenant, vous quittez l’Afrique pour vous établir aux États-Unis. N’est-ce pas quelque peu contradictoire ?

Non, pas du tout quand nous regardons le monde comme un village. Pendant longtemps, il y a eu le concept de la fuite des cerveaux qui ne sert pas forcément le continent. J’ai cru à ce concept pendant longtemps et c’est l’une des raisons pour lesquelles je suis retourné au Cameroun. Mais, je trouve qu’il faut repenser à ce concept et parler plutôt de la circulation des cerveaux. Où que l’on soit, le plus important est que dans nos activités quotidiennes, nous sachions que le monde ne peut avancer que si tous les continents avancent ensemble. Il suffit que l’on travaille en s’assurant que les intérêts de tous les peuples et en particulier ceux du peuple africain sont garantis

Par exemple, quand j’étais au Cameroun, il n’y avait pas forcément de laboratoires pour exercer. En allant en Afrique du Sud, j’ai pu développer un laboratoire extrêmement performant. Au cours des dix dernières années, nous avons formé plus de 40 personnes originaires d’une dizaine de pays d’Afrique en master ou en PhD de génétique. Si nous n’étions pas en Afrique du Sud, cela n’aurait pas été possible. Donc, le plus important, c’est de garder le concept de la circulation des cerveaux. Ainsi, de là où nous sommes ici à Johns Hopkins, du moment où ce rapport est maintenu, nous pourrons être nettement plus utiles que si nous restons basés sur le continent.

Références

[1] Genetic medicine for African populations