14/06/22

Raïssa Malu : Il est temps que l’Afrique devienne productrice de technologies

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Raïssa Malu. Crédit image: SDN / B. Mayumbu

Lecture rapide

  • Depuis une décennie, la Semaine de la science démystifie la science et les maths et suscite des vocations
  • La réforme des programmes rend l’enseignement des maths plus concret et suscite l’intérêt des élèves
  • Pour développer la RDC et l’Afrique, un maximum d’élèves doivent s’inscrire en sciences et en technologie

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[KINSHASA] Sa passion pour les sciences, Raïssa Malu la tient sans aucun doute de son père Félix Malu Wa Kalenga (1936 – 2011), professeur d’universités spécialisé dans le génie atomique.

Elle-même physicienne et ancienne professeure de sciences et de mathématiques dans le secondaire et dans le supérieur, elle travaille désormais à susciter l’intérêt des jeunes pour ces disciplines afin de les vulgariser au maximum.

Chef de l’Unité technique d’appui (UTA) du projet d’éducation pour la qualité et la pertinence des enseignements aux niveaux secondaire et universitaire (PEQPESU) au ministère de l’EPST (Enseignement primaire secondaire et technique), elle a été un des principaux acteurs de la réforme de l’enseignement des sciences en République démocratique du Congo (RDC).

“La recherche scientifique, l’innovation technologique et l’éducation, devraient être les secteurs prioritaires pour notre gouvernement.  On devrait y investir le plus d’argent ; parce que toutes les technologies que l’on utilise aujourd’hui sont issues de ce travail de recherche et de développement”

Raïssa Malu, physicienne, RDC

Parallèlement, avec « Investing in people », une association sans but lucratif (ASBL) fondée en 2013, elle organise chaque année une Semaine de la science et des technologies à Kinshasa pour mettre en lumière les travaux des scientifiques congolais et africains et pousser ainsi les jeunes à suivre leurs exemples.

Au lendemain de la 9e édition de cet événement en avril 2022, Raïssa Malu s’est confiée à SciDev.Net.

Comment est née l’idée de la « Semaine de la Science et des Technologies » ?

 Cette idée justement est née du fait que quand je me présente comme physicienne, en général, les gens ont peur. Parce qu’ils se rappellent que la physique et les mathématiques étaient les matières qu’ils avaient le plus détestées quand ils étaient à l’école. Et ça me fait de la peine…

Parce que je prends beaucoup de plaisir à faire la physique et les mathématiques et donc je veux que tout le monde partage le même plaisir. Vous pouvez ne pas devenir physicien comme moi, mais au moins, vous devez vous sentir à l’aise avec ces disciplines.

L’idée en fait m’est venue de créer cet évènement pour démystifier ces disciplines ; ça me semble vraiment important auprès du grand public et des jeunes.

Mais j’avais également à cœur de promouvoir le savoir et le savoir-faire congolais et africain dans ces domaines. Malheureusement, quand on parle de nous, l’Afrique, on oublie que nous jouons un rôle dans l’histoire des sciences.

Et ça, c’est un manque immense. Comment voulez-vous convaincre nos jeunes à aller dans nos disciplines s’ils n’ont aucun modèle auquel s’identifier ?

Et donc il commence à me sembler important de promouvoir le savoir-faire congolais et africain pour dire qu’on a d’excellents scientifiques qui améliorent les conditions de vie des populations et on doit les connaitre.

Et le troisième point, c’est évidemment de susciter des vocations. Il faut qu’on ait vraiment un maximum d’élèves qui puissent s’inscrire dans les filières scientifiques et techniques. Autrement, dans 60 ans, on connaitra la même RDC que l’on a aujourd’hui et ça, je suis désolée, on ne peut pas l’accepter !

Qu’est-ce que la SST a apporté comme progrès ou changement dans la perception de la recherche scientifique en RDC ?

Voyez-vous, on a vraiment vu l’évolution. En 2014, quand je parlais de la Semaine de la science, on me regardait comme un extraterrestre ; « mais de quoi est ce qu’elle parle ? ». Aujourd’hui, il y a des élèves qui se bousculent pour devenir eux aussi des animateurs, des formateurs.

Il y a des gens qui veulent absolument venir participer aux activités. Donc on a vraiment envie que maintenant les sciences et les technologies deviennent normales, qu’on pense que l’on peut effectivement réussir, et surtout qu’on trouve normal de voir une femme ou des femmes qui s’imposent dans ce domaine. Je pense que c’est le plus beau résultat que l’on a de 9 éditions de la SST.

Au regard des leçons apprises de ces neuf dernières éditions, comment entrevoyez-vous les prochaines éditions ?

En 2023, ce sera la 10e édition qui sera une édition anniversaire. Cela va nous permettre sans doute de faire le bilan. On va inviter tous les intervenants qu’on a eu dans les 9 éditions. Pour ce qui est des éditions d’après, l’idée est, petit à petit, de passer le flambeau. Il faut que l’on ait des jeunes qui reprennent les choses, qui puissent continuer à faire ce travail de la SST.

Donc ce que nous voyons pour les prochaines éditons, c’est que l’on ait une nouvelle équipe de jeunes qui sont des formateurs actuels, qui seraient ceux qui vont porter la Semaine de la science comme moi je le fais avec mon équipe.

Vous avez été la conseillère scientifique du président Félix-Antoine Tshisekedi, le président de la RDC, durant son récent mandat comme président en exercice de l’Union africaine. Que peut-on retenir de ce mandat du point de vue de la recherche scientifique ?

Ce mandat était essentiellement focalisé sur la question de l’éducation de la jeunesse. Il n’a pas été possible de faire avancer les agendas en termes de recherche scientifique… Mais l’important pour nous a été d’avoir une étroite collaboration avec la Commission de l’Union africaine.

Comme vous le savez, c’est la Commission qui est l’organe exécutif ; et donc en ce moment-là, ils nous ont beaucoup sollicités surtout pour travailler avec la jeunesse qui est l’une des priorités du président de la République.L’objectif était de voir comment est-ce que l’on peut augmenter les opportunités en faveur des jeunes dans tous les domaines. Pas seulement dans le domaine scientifique, mais dans l’entrepreneuriat, dans l’éducation…

On pensait se focaliser essentiellement sur les jeunes et pour ça, l’un des résultats majeurs de notre présidence, c’est d’avoir lancé cette première académie des jeunes agents de changement.

Il y a eu 150 jeunes congolais qui ont été formés en ligne par la Commission de l’Union africaine sur les différents programmes de l’Union et ça, c’est une première. Jamais aucun pays en Afrique n’avait organisé une académie des jeunes agents de changement, et donc la RDC a inauguré en la matière !

Vous occupez aussi au ministère de l’EPST une fonction qui vous implique dans l’élaboration des programmes de science dans les écoles. Quel bilan en faites-vous à ce jour ?

Il s’agit en fait du projet « l’éducation pour la qualité et la pertinence des enseignements au niveau secondaire et universitaire » en sigle PEQPESU. Ce projet a été financé par la Banque mondiale et avait pour objectif d’améliorer la qualité de l’enseignement des sciences, des mathématiques au secondaire et au niveau de l’enseignement supérieur et universitaire.

Au niveau du ministère, nous avons réussi à reformer les programmes de sciences et de maths. Ici, je voudrais vraiment attirer l’attention sur ce qui fait la particularité de cette réforme.

Ce qui compte, ce n’est pas ce que les enfants savent, c’est ce qu’ils sont capables de faire avec ce qu’ils savent, et ça a été tout le sens de la réforme de l’enseignement des sciences et des mathématiques.

Si on veut que les sciences jouent leurs rôles, il faut que nos jeunes soient mieux outillés en matière des sciences et des technologies, même s’ils ne deviennent pas tous physiciens ou mathématiciens. Mais les questions scientifiques comme le réchauffement climatique sont des questions auxquelles la population doit s’intéresser. C’est pour cela qu’il faut que tout le monde ait une formation de base en sciences et en maths

Le ministère de l’EPST a permis de faire cette réforme de l’enseignement des sciences et des mathématiques en outillant nos jeunes pour qu’ils sachent jouer un rôle positif dans la communauté. Qu’ils apprennent à régler des problèmes, c’est exactement ce dont on a besoin dans notre pays : apprendre à résoudre des problèmes.

Comment les élèves et les enseignants ont-ils accueilli ce programme de réforme de l’enseignement ?

Elèves et enseignants apprécient énormément ce nouveau programme parce que ce sont des programmes qui suscitent l’intérêt. L’enseignement des mathématiques n’est plus complètement abstrait. Il doit s’appliquer à des situations qui ont un sens pour l’élève. Et on voit que l’enseignant lui-même est dans une posture où il n’est plus le seul à transmettre le savoir, il peut travailler en activités, il peut faire sortir sa classe de l’école pour aller visiter des entreprises de manière à rendre concret l’enseignement.Le fait maintenant que l’enseignement des sciences et des maths soit concret fait que élèves, enseignants et mêmes parents sont très contents de cette nouvelle réforme. Il suffit de regarder les témoignages des parents dans les vidéos que l’on a publiées.

Evidement il y a d’autres challenges. Le ministère de l’EPST va devoir poursuivre la formation des enseignants.

Quel message adresseriez-vous à la société congolaise dans son ensemble à propos de la place de la science et de la technologie ?

Les sciences et les technologies font de moins en moins peur. Mais cela dit, s’il y a vraiment quelque chose d’important qu’on doit comprendre, c’est qu’on ne peut pas imaginer le développement de la RDC et de l’Afrique sans science et technologie. Sincèrement !

La recherche scientifique, l’innovation technologique et l’éducation, devraient être les secteurs prioritaires pour notre gouvernement, on devrait y investir le plus d’argent ; parce que toutes les technologies que l’on utilise aujourd’hui, sont issues de ce travail de recherche et de développement.

On est consommateurs des technologies et c’est ce qui freine notre développement. Il serait temps qu’on devienne des producteurs des technologies qui répondent à nos problèmes.

Ici en RDC, on est face à un certain nombre de problèmes, nous maitrisons notre terrain, ce ne sont pas des gens qui viennent d’ailleurs qui vont nous trouver des solutions qui conviennent à notre situation. Donc il faut absolument que les meilleurs éléments de notre société aillent dans les sciences et les technologies pour qu’elles puissent vraiment jouer leurs rôles dans le développement du pays.

Vous savez, on a une fuite de cerveaux qui concerne nos meilleurs éléments. Ils s’en vont ailleurs parce que les conditions ne sont pas réunies dans le pays. Il faut absolument améliorer les conditions pour qu’ils reviennent. On a besoin d’eux, hommes et femmes, ici.