12/07/22

José Mpanda Kabangu : “Le fonds minier va financer le lancement du satellite de la RDC”

Panda
José Panda Kabangu, ministre de la recherche scientifique et innovation technologique de la RDC. Crédit image: SDN

Lecture rapide

  • Le Document de politique de la recherche scientifique est une référence pour les chercheurs congolais
  • Un plan de contingence est en place pour encadrer les populations en cas de nouvelle éruption volcanique
  • La RDC veut un satellite d’observation pour surveiller les mines et les bandes armées dans l’est du pays

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[KINSHASA] La République démocratique du Congo (RDC) veut donner un nouveau souffle à la recherche scientifique dans le pays. Pour y parvenir, le pays vient de se doter d’un Document de politique de la recherche scientifique.

Pour José Mpanda Kabangu, le ministre de la Recherche scientifique et Innovation technologique, ce document est une véritable boussole pour les chercheurs congolais.

Dans cet entretien accordé à SciDev.Net à l’occasion de la Semaine de la Science et des technologies de Kinshasa en avril 2022, il a accepté de dévoiler les grandes lignes de ce document.

“Si on veut que ce pays se développe, il faut qu’on donne aux chercheurs congolais les moyens qu’il faut pour qu’ils soient capables de valoriser les produits de leur recherche. Je pense que c’est grâce à la recherche scientifique que la RDC sera un pays fort, développé et prospère demain”

José Panda Kabangu

José Mpanda Kabangu tire aussi les leçons la récente conférence internationale sur la gestion des volcans organisée dans la ville de Goma et fournit des précisions sur le projet de la RDC de se doter d’un satellite.

Le 11 février dernier, le gouvernement de la RDC a clairement exprimé son intention d’acquérir un satellite dénommé RDC SAT. Quel est l’intérêt de ce projet que vous avez défendu devant le conseil des ministres ?

La Recherche scientifique est un ministère transversal qui doit donner sa plus-value dans tous les secteurs. De quelle manière nous pouvons, en tant que ministère transversal, arriver à donner un plus à d’autres ministères et à l’action gouvernementale ?

Je me dis qu’il faut que la RDC puisse avoir un satellite d’observation de la terre, qui est différent d’un satellite météorologique. Nous allons observer la terre pour arriver à donner une plus-value dans d’autres secteurs, principalement le secteur sécuritaire et les mines.

Aujourd’hui avec ce qui se passe au niveau de la partie est du pays, notamment la guerre…, il faut qu’on arrive à connaitre ce qui se passe réellement dans ce coin. Les scientifiques, les chercheurs congolais doivent être en mesure de dire à nous politiciens : « Attention en matière de mines, il ne vous reste que 12% ».

Parce que les mines sont épuisables. Il faut arriver à donner l’alerte. Et qu’est-ce qu’il faut faire ? Il faut observer la terre.

La RDC occupe sur le plan géographique une place stratégique pour informer les autres pays de ce qui se passe. C’est ainsi que j’ai sollicité le Centre national de télédétection, qui est un établissement public, pour qu’il mette en orbite pour la République, un satellite. Nous sommes un grand pays. Nous ne pouvons pas manquer de 100 millions de dollars pour arriver à doter notre pays d’un satellite.

Je l’ai défendu devant le conseil des ministres. J’ai dit que ce satellite peut rapporter à la RDC pendant sa vie 2 milliards de dollars. Quand j’ai apporté ce projet, c’était un projet financé à 40% par les partenaires et à 60% par l’Etat congolais.

Comment l’idée a-t-elle été accueillie ?

J’ai beaucoup aimé la réaction positive du président de la République qui a donné le sceau de souveraineté en disant : « Monsieur le ministre, la RDC doit se doter entièrement de son satellite d’observation de la terre qui sera financé à 100% par l’Etat congolais. Et comme ce satellite à un caractère de souveraineté, de sécurité, il ne faudrait pas qu’il y ait une main noire derrière qui puisse nous espionner ».

Le projet a été accepté par le conseil des ministres. Nous avons effectué une mission pour annoncer aux partenaires belges qui avaient accepté de financer à 40% ce projet que le projet a été accepté mais malheureusement pour eux et heureusement pour nous l’Etat congolais va financer à 100% son satellite.

On va bientôt faire appel aux capacités intellectuelles des scientifiques congolais pour qu’on arrive à faire ce montage financier. Je voudrais dire que ce n’est pas une utopie. A l’issue de ce conseil des ministres, le gouvernement congolais a même décidé l’origine principale des fonds : c’est la redevance sur le fonds minier.

Tout ce qui est payé au niveau des sociétés minières internationales. Nous allons pouvoir ponctionner une quotité pour pouvoir mettre en orbite un satellite d’observation de la terre pour la RDC.

Quel est le niveau de mise en œuvre de ce projet ?

J’ai signé l’arrêté ministériel pour appeler quelques scientifiques congolais. En matière satellitaire, ce n’est pas pour aller contre les chercheurs congolais, on a un vide autour de cette question. De tous les spécialistes que j’ai reçus avant de discuter avec les partenaires, il n’y a que ceux qui peuvent interpréter les images satellitaires.

Nous n’avons pas encore des chercheurs qui sont dans le montage satellitaire. Les Japonais sont en train de former quelques chercheurs. Je me suis entouré de scientifiques qui doivent réfléchir avec moi pour me donner tout ce qu’il y a comme montage technique.Le bureau d’études que j’ai mis en place avec les scientifiques congolais va recevoir la compagnie belge qui va pouvoir proposer des idées et on va pouvoir lancer techniquement l’étude pour savoir avec qui il faut le faire ? Dans combien de temps ? Et nous allons pourvoir revenir sur le montage financier.

Mais ce qui est plus important pour moi, c’est le montage technique. Je profite pour dire à tous ceux qui ont une expertise avérée dans ce domaine qu’ils sont les bienvenus. Ils peuvent venir partager leurs idées avec les autres scientifiques pour qu’on arrive à avoir une étude techniquement bien fignolée.

À son époque, le président Mobutu avait aussi un projet de fusée qui était retombé juste après son décollage. Qu’est-ce qui garantit que ce satellite ne connaitra pas un tel sort ?

C’est une question qu’il faut poser au Centre national de télédétection (CNT). Ce sont les techniciens qui doivent nous le garantir. Est-ce que les scientifiques congolais sont en mesure de mettre en orbite un satellite aujourd’hui ? Puisque le gouvernement est capable d’octroyer les moyens financiers. La science, c’est aux scientifiques. Que les scientifiques répondent à cette question.

Est-ce que vous n’auriez pas dû poser la question avant de lancer le projet ?

C’est une vision pour moi. Et ma vision, je la transfère à un scientifique. C’est lui qui doit réfléchir. Je suis convaincu que les scientifiques congolais sont capables de faire ce que les autres font. Ils sont capables de nous donner ce satellite.

La RDC aura un satellite. Et cela est guidé par notre position géographique. Nous sommes un grand pays. Avec ce projet de satellite, nous allons pourvoir donner la plus-value pour qu’on puisse développer ce pays.

Comment allez-vous faire pour que la population congolaise adhère à ce projet quand on sait que les problèmes de santé, d’accès à l’électricité et à l’eau persistent dans le pays, Autrement dit, est-ce que ce n’est pas mettre la charrue avant les bœufs que de vouloir aller au ciel sans avoir résolu les problèmes qui sont sur la terre ?

Pour commencer, il faut commencer sinon on ne commencera jamais. Moi en tant que ministre, j’ai des responsabilités qui m’a été données par le président de la République, par le gouvernement. Si je me dise qu’il faut que mon collègue du secteur de l’énergie s’occupe d’abord de l’électricité, je ne ferais rien. J’attendrais. Donc, moi, je travaille dans mon secteur.

L’idée peut être mienne mais quand elle est adoptée par le gouvernement, ce n’est plus le dossier du ministère de la Recherche scientifique ça devient un dossier du gouvernement. Ainsi, tout ce qu’il y a comme potentialité autour du lancement de ce projet de satellite, les autres collègues sont concernés. Ils vont donner leurs contributions pour qu’on arrive à laisser à nos enfants au moins un satellite d’observation de la terre qui va donner la plus-value dans tous les secteurs de la République.

Mon plaidoyer, c’est qu’on arrive à donner les moyens aux chercheurs. Si on veut que ce pays se développe, il faut qu’on donne aux chercheurs congolais les moyens qu’il faut pour qu’ils soient capables de valoriser les produits de leur recherche. Je pense que c’est grâce à la recherche scientifique que la RDC sera un pays fort, développé et prospère demain.

Le Document de politique de la recherche scientifique de la RDC a été approuvé en conseil de ministre le 12 novembre 2021. De quoi s’agit-il ?

Je voudrais remonter pour expliquer que cette politique de recherche scientifique a commencé avec mes prédécesseurs depuis 1993. Certes elle n’avait jamais été adoptée et que les chercheurs congolais naviguaient à vue sans un document de référence.

C’est quand nous sommes arrivés dans ce ministère en 2019 que nous avons pu concrétiser ce que les prédécesseurs avaient commencé. Nous avons travaillé en consultation avec les centres et instituts de recherche pour arriver à trouver un document définitif que nous avons présenté officiellement.

Aujourd’hui, la politique scientifique n’est plus l’œuvre de mon ministère, ça devient l’œuvre du gouvernement puisque le document a été scruté par tous les membres du gouvernement.

Quelles sont les particularités de ce document ?

Le document de politique scientifique, c’est comme une Bible pour le chrétien, comme un Coran pour le musulman. C’est un document de référence pour les chercheurs congolais, accepté par l’UNESCO et adossé sur les standards internationaux.

Aujourd’hui le chercheur congolais, partout où il peut se trouver, il peut avoir des repères qu’il faut pour arriver à faire ses recherches et celles-ci seront acceptées sur le plan international.

C’est un document que nous avons pu élaborer sur le plan régional avec la SADC (Communauté de développement de l’Afrique australe ndlr) et sur le plan international avec l’UNESCO, qui nous ont accompagnés pour arriver à réaliser ce document qui permet aux scientifiques congolais d’avoir la ligne cardinale de référence pour arriver à faire leurs recherches.

Aujourd’hui, le chercheur congolais peut se permettre de faire ses recherches partout où il se trouverait puisqu’il est conduit par un document de référence qui reprend un peu les dispositifs généraux d’un bon chercheur, ce qu’il doit faire, ce qu’il ne doit pas faire. C’est le guide pour le chercheur congolais.

Quels sont les changements immédiats ou lointains que les chercheurs, les scientifiques et les acteurs du secteur de la technologie vont pouvoir ressentir avec l’entrée en vigueur de ce document ?

Tous les scientifiques congolais étaient en train d’aller ailleurs puisqu’ils n’avaient pas de référence. Aujourd’hui, ils peuvent se permettre de rester dans leur pays et ils peuvent faire leurs recherches dans d’autres pays, les résultats de leurs recherches seront validés partout où ils se trouveraient. Voilà la différence.

La valorisation des résultats de la recherche avant que l’on adopte ce document de référence n’était pas acceptée dans d’autres sphères internationales.

Aujourd’hui, le chercheur congolais peut commencer ses recherches au pays ou à l’extérieur, les résultats de ses recherches seront acceptés selon les standards internationaux. On est accompagné par l’UNESCO et par plusieurs structures régionales qui ont validé avec nous cette politique.

C’est une nouvelle ère pour les chercheurs congolais. La RDC a des capacités importantes. Avec ce document de politique scientifique, on a donné la possibilité aux chercheurs de donner de la valeur ajoutée à leurs travaux.

Quelle est la place que ce nouveau document stratégique accorde au financement de la recherche et à la vulgarisation des résultats des travaux des chercheurs locaux ?

Nous avons adopté ce document de politique scientifique. Le problème de budget, c’est une autre bataille qu’on va pouvoir mener pour arriver à donner aux chercheurs congolais, et même africains, un budget conséquent ; parce que nous sommes dans une sphère régionale.

Je voudrais rappeler qu’un pays sérieux qui voudrait aller vers l’émergence doit consacrer au moins 1% de son PIB à la recherche. Quand nous sommes arrivés dans ce ministère, malheureusement, nous avons trouvé un niveau de 0,4%.

Lors de l’exercice budgétaire 2020, nous nous sommes battus pour relever cette part à 0,49%. Aujourd’hui nous sommes à 0,6%. On va y aller progressivement.Je l’ai toujours dit au conseil des ministres, je l’ai écrit au Premier ministre, je l’ai dit au président de la République. Si nous voulons aujourd’hui que notre pays, la RDC, prenne une autre dimension selon les standards africains, mondiaux, internationaux, il faut donner la valeur aux chercheurs congolais.

Il faut leur donner les moyens qu’il faut pour qu’ils arrivent à achever leurs recherches et donner la plus-value à la République.

Tout projet, toute initiative doit commencer par la consultation des scientifiques et des chercheurs qui, s’ils sont reconnus dans ce qu’ils font, vont donner des résultats concluants.

Si la RDC arrive à donner les moyens qu’il faut à la recherche, je crois que nous allons arriver à un développement mérité. C’est notre deuxième bataille que nous allons mener pour qu’on arrive à ce minimum d’1% du PIB qu’il faut accorder à la recherche.

Après l’éruption du volcan Nyiragongo en mai 2021, vous avez pris part à la conférence internationale sur la gestion des volcans qui s’est tenue du 19 au 21 mars 2022 à Goma. Quelles en ont été les principales recommandations ?

Parmi les recommandations qui ont été adoptées, il y a le plan de contingence. Aujourd’hui, quand il y a éruption, c’est d’abord la sécurité. La protection civile du coin doit d’abord protéger la population. Il faut arriver à contenir la population et recommander les différents coins où elle peut aller pour se mettre à l’abri et les coins où elle ne doit pas aller.

Ce plan de contingence est une résolution des pays des Grands lacs. Tous les pays des Grands lacs doivent accepter que lorsqu’il y a éruption, ils peuvent s’entraider pour la sécurité de la population. C’est-à-dire que la population du Nord-Kivu peut aller au Rwanda, en Ouganda…

La deuxième chose importante, c’est comment il faut sécuriser notre population. Quand il y a éruption, elle perd tout ce qu’il y a comme infrastructures. Le peuple congolais qui en souffre doit être protégé par son gouvernement.  Nous avons imaginé ensemble qu’il faut agrandir la ville de Goma pour aller vers des coins où il n’y a pas de risques volcaniques.

Nous avons également demandé que l’OVG (Observatoire volcanologique de Goma) puisse se doter de scientifiques capables de gérer en temps réel l’activité volcanique.

Quel est le délai de mise en œuvre de ce plan de contingence ? 

Le Rwanda et d’autres pays ont déjà signé ce Plan de contingence. La RDC n’avait pas encore signé. Mon collègue de l’Intérieur est sur la question pour pouvoir apposer la signature pour que le Plan de contingence puisse engager la République. C’est parmi les recommandations qui ont été faites. Mais entre-temps, la direction de la protection civile du ministère de l’Intérieur est en train d’exécuter ce Plan de contingence même s’il n’est pas encore signé par la RDC.

Après l’éruption de mai 2021, le gouvernement congolais avait promis une amélioration des conditions de travail des chercheurs de l’OVG. Où en est-on avec cette mesure sachant qu’en septembre 2021, il y avait encore un malaise dans les rangs des travailleurs de cette institution ?

L’OVG aujourd’hui est en train de bénéficier de toutes les conditions possibles en termes d’équipements, de moyens de locomotion. Le chef de l’Etat a lui-même doté l’OVG de véhicules 4×4. Les matériels de surveillance, de sismologie ont été achetés. Les capteurs ont été achetés. Les primes d’encouragement, de risques sont payées.

Le malaise qu’il y a eu au mois de septembre 2021, c’est parce qu’il faut mettre de l’ordre. Il est reconnu qu’il y a dans nos centres et instituts de recherches beaucoup d’emplois fictifs, des gens qui ne viennent pas au travail. J’ai élaboré le document de politique scientifique. On va se battre pour que le budget soit conséquent. Mais ce budget, il faut le donner à ceux qui travaillent. Nous sommes le seul observatoire au monde qui a plus de 400 agents.

“Le peu de moyens que nous avons alloué à la recherche doit revenir aux véritables scientifiques, pas aux scientifiques fictifs. Et nous le ferons dans tous les centres possibles pour le peu de temps où nous serons à la tête de ce ministère ne”

José Panda Kabangu

Je suis allé en Egypte, il n’y a que 18 personnes qui gèrent les volcans. Le problème que nous, politiciens, avons, est que quand nous venons aux affaires, on prend les neveux, les nièces, les tantes. On met dans les centres et instituts de recherches. Des personnes qui ne font rien du tout.

Quel lien y a-t-il avec ledit malaise ?

C’est ainsi que nous avons instauré le système de contrôle à l’OVG pour savoir qui est scientifique. Vous trouvez un département technique de l’OVG qui est géré par un infirmier. Ça pose un problème. C’est cet ordre-là qu’on a voulu instaurer qui a créé le malaise.

Le peu de moyens que nous avons alloué à la recherche, doit revenir aux véritables scientifiques pas aux scientifiques fictifs. Et nous le ferons dans tous les centres possibles pour le peu de temps où nous serons à la tête de ce ministère.

Concernant les engagements qui ont été pris par le gouvernement en termes de primes, de transport, de matériels d’équipements, nous sommes aux standards internationaux et même le laboratoire Félix Antoine Tshisekedi est fonctionnel aujourd’hui.

Ceux qui sont venus avant l’éruption de mai et ceux qui sont venus lors de la conférence ont constaté qu’il y a une grande différence. Le gouvernement a beaucoup fait; malheureusement on communique peu.