03/02/21

Santé mentale : La Côte d’Ivoire mise sur la complémentarité dans la prise en charge

médecine naturelle
La médecine non conventionnelle recourt très souvent aux plantes. Crédit image: 10b travelling / Carsten ten Brink (CC BY-NC-ND 2.0)

Lecture rapide

  • Des chercheurs ont cartographié et catégorisé les centres de santé mentale dans tout le pays
  • Il apparaît que les centres traditionnels sont 16 fois plus nombreux que les structures conventionnelles
  • Les acteurs recommandent la mise en place d’un cadre de collaboration entre les deux types de structures

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[ABIDJAN] Une étude vient de réaliser une cartographie des centres de santé mentale non conventionnels en Côte d’Ivoire.

Les résultats de cette enquête, menée sur une période de douze mois par le Programme national de santé mentale (PNSM), ont été présentés le 21 janvier 2021 lors d’un atelier de restitution à l’université Alassane Ouattara (UAO) de Bouaké, dans le centre du pays.

Ainsi, l’on dénombre en Côte d’Ivoire 541 structures non conventionnelles spécialisées en santé mentale, contre seulement 35 établissements conventionnels.

Ces 541 structures non conventionnelles sont composées de 326 camps de prière chrétiens, 127 centres de guérison traditionnels, 29 centres roqya (centre ésotérique musulman) et 59 centres de phytothérapie.

“On pourra voir ensemble dans quelles pathologies les centres non conventionnels sont efficaces, et dans lesquelles ils ne sont pas efficaces, de sorte à aboutir à des traitements complémentaires, bien que séparés”

Adama Koné, hôpital psychiatrique de Bingerville

Pour Médard Koua Asseman, le directeur de l’hôpital psychiatrique de Bouaké, principal acteur de cette étude, ces chiffres montrent l’importance de ces structures en Côte d’Ivoire. « Ça veut dire qu’on ne peut pas organiser la prise en charge des malades en occultant cette réalité », estime-t-il.

Le coordonnateur du programme national de santé mentale, Jean-Marie Yéo Ténéna trouve pour sa part qu’il est nécessaire de mettre en place un encadrement des acteurs qui y exercent, de sorte à en faire des relais communautaires.

Une idée bien accueillie aussi bien par les praticiens des centres de santé mentale conventionnels que par ceux des structures non conventionnelles. Le psychiatre et psychothérapeute Adama Koné de l’hôpital psychiatrique de Bingerville, non loin d’Abidjan, estime que « c’est une très belle initiative qui ouvre la porte d’une collaboration entre les deux sciences ».

« Ce sont deux sciences différentes qui n’ont pas les mêmes fondements. Nous, on a des disciplines qui nous aident à comprendre les pathologies et d’autres qui nous aident à trouver des médicaments. De leur côté, ils ont leur science, leurs moyens diagnostiques, leurs moyens thérapeutiques que nous ne connaissons pas », explique le médecin.

Au passage, ce dernier rappelle par exemple que la médecine conventionnelle préfère parler de rémission puisqu’il s’agit pour la plupart de pathologie chronique, alors que les guérisseurs traditionnels prétendent les guérir.

« On pourra voir ensemble dans quelles pathologies ils sont efficaces, et dans lesquelles ils ne sont pas efficaces de sorte à aboutir à des traitements complémentaires, bien que séparés », renchérit Adama Koné.

Kroa Ehoulé, le coordonnateur du programme national de promotion de la médecine traditionnelle, est favorable à une fréquentation à la fois des structures de médecine moderne et celles de médecine traditionnelle par les patients pour une meilleure prise en charge.

« Les médicaments existent, certaines pratiques culturelles existent, il faut aller dans le sens de la collaboration », insiste-t-il.

En effet, renchérit Adama Koné, « les tradi-praticiens sont plus proches des populations. Celles-ci retrouvent leurs valeurs culturelles dans les centres non conventionnels. Souvent, elles ne se retrouvent pas dans nos explications ».

L’espoir que nourrissent les uns et les autres et que cette collaboration débouche sur la réduction des itinéraires thérapeutiques souvent très longs pour les personnes souffrant de maladie mentale.

Toutefois, une certaine incertitude existe au sujet du cadre dans lequel cette collaboration pourrait se faire. Car, certains acteurs non conventionnels tels que les centres à caractère religieux sont encore considérés comme pratiquant du charlatanisme, une activité réprimée par le code pénal ivoirien (section 9 article 205).

Autre préoccupation : les centres non conventionnels se démarquent quelquefois par des actes de maltraitance sur les patients ; ce qui embarrasse les acteurs de la médecine moderne.En effet, il est fréquent de voir dans des centres non conventionnels des malades enchaînés, contraints au jeûne, donc privés de nourriture, ou encore battus ou immobilisés par des manières jugées inhumaines.

C’est pourquoi, l’une des conditions d’une bonne collaboration serait, selon les praticiens, le respect des droits des malades mentaux.

« Il faut donc définir un cadre légal de collaboration pour que des médecins ne se retrouvent pas poursuivis par la justice pour avoir travaillé avec un praticien non conventionnel ou pour l’avoir conseillé à un patient », suggère Adama Koné.

En outre, les praticiens plaident pour la multiplication des centres conventionnels pour rapprocher l’hôpital des populations, mais surtout pour un développement de la psychiatrie communautaire.

« Plutôt que les malades viennent vers nous, c’est nous qui devons aller vers eux, car la particularité du malade mental est qu’il ne peut pas demander un traitement pour lui-même, mais il faut plutôt que des bonnes volontés le fassent pour lui », fait observer Adama Koné.

En attendant la mise en place de cette collaboration, la seconde phase de l’enquête du projet de cartographie des centres de santé mentale non conventionnels en Côte d’Ivoire est prévue au deuxième trimestre de l’année 2021. Elle se voudra, cette fois-ci, plus approfondie et plus détaillée sur divers indicateurs, à l’instar des droits des patients, pour une pratique de soins plus humanisée.