05/12/23

La sécheresse frappe près d’une personne sur quatre dans le monde

Two young boys carrying water walk down a road next to a camp for internally displaced persons (IDPs) near the town of Jowhar, Somalia. Credit: UN Photo/Tobin Jones Photo Date: 14/12/2013 NICA ID: 574645 City: Jowhar Country: Somalia
Transportant de l'eau dans un camp de personnes déplacées près de la ville de Jowhar, en Somalie, où la sécheresse est monnaie courante. Crédit image: Tobin Jones/UN Photos, (CC BY-NC-ND 2.0 DEED).

Lecture rapide

  • Selon l’ONU, la sécheresse échappe à l’attention des médias et des politiques, perpétuant les dégâts
  • 1,8 milliard de gens sont frappés par la sécheresse, soit près d'une personne sur quatre dans le monde
  • La restauration des terres et les technologies consommant peu d’eau peuvent aider à atténuer la crise

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[NAIROBI] Près d’une personne sur quatre sur terre est désormais frappée par la sécheresse, et ce n’est que le début des choses à venir. C’est du moins ce que révèle le dernier rapport de l’ONU publié à l’occasion du sommet sur le climat, COP28, à Dubaï.

Le Global Drought Snapshot 2023 (Aperçu de la sécheresse mondiale 2023) publié ce vendredi, 1er décembre par la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification (CNULD), met l’accent sur une « urgence sans précédent à l’échelle planétaire » et affirme que les coûts humains et économiques de la sécheresse sont probablement plus élevés que ceux de n’importe quel autre danger.

« Contrairement à d’autres catastrophes qui attirent l’attention des médias, la sécheresse se produit en silence, passant souvent inaperçues et ne provoquant pas de réponse publique et politique immédiate », déclare le secrétaire exécutif de la CNULD, Ibrahim Thiaw, dans un communiqué.

Ce dernier ajoute que cela perpétue un cycle de négligence laissant les populations affectées supporter le fardeau de l’isolement.

“Il est temps de reconnaître que la sécheresse est passée d’un problème environnemental à une crise économique”

Daniel Tsegai, CNULD

Le rapport, publié le deuxième jour de la COP28, appelle à un « changement transformationnel » et propose des solutions de grande envergure, allant de l’adoption de technologies économes en eau à la « compensation » des émissions de carbone par la restauration des terres – où les terres sont remises dans leur état d’origine.

À l’heure actuelle, 1,8 milliard de personnes sont « frappées par la sécheresse » dans le monde, ce qui représente près d’une personne sur quatre sur une population mondiale de 8 milliards, selon l’analyse de la CNULD. Celle-ci qui a échantillonné des ensembles de données sur les catastrophes internationales provenant de 101 pays. Parmi eux, près de cinq pour cent sont exposés à une sécheresse grave ou extrême.

Le réchauffement climatique, marqué par des températures mondiales actuellement supérieures de 1,1°C à celles de l’ère préindustrielle, a conduit à des phénomènes météorologiques dangereux plus fréquents, notamment la sécheresse.

Daniel Tsegai, expert en sécheresse de la CNULD, et auteur principal du rapport, a confié à SciDev.Net que « la sécheresse frappe plus durement et plus souvent, en hausse de 29% depuis 2000 ».

« La sécheresse continue de resserrer son emprise effrayante sur la terre et sur la vie. C’est une tragédie humaine qui ne fait que s’aggraver », ajoute-t-il.

Selon le rapport, la sécheresse frappe plus durement les plus pauvres et 85 % des personnes touchées par la sécheresse vivent dans des pays à revenu faible ou intermédiaire.

Le document ajoute que comparativement aux hommes, les femmes et les enfants courent 14 fois plus de risques de mourir des suites de catastrophes climatiques telles que la sécheresse.

« Les pays à revenu faible ou intermédiaire sont évidemment moins équipés en ressources et disposent de faibles niveaux de capacités, de technologies et de ressources financières pour faire face à la sécheresse », explique Daniel Tsegai.

« En Afrique… au cours des 50 dernières années, les pertes liées à la sécheresse ont dépassé 70 milliards de dollars, exposant plus de 20 millions de personnes au risque d’insécurité alimentaire à travers le continent », fait savoir l’expert.

Et de conclure : « Alors que nous constatons une multiplication des pénuries alimentaires, des difficultés et des déplacements, il est temps de reconnaître que la sécheresse est passée d’un problème environnemental à une crise économique. »

Sécheresse record

La Corne de l’Afrique a été confrontée à sa pire sécheresse depuis 40 ans, entre 2020 et 2023, l’Éthiopie, le Kenya et la Somalie ayant été particulièrement frappés.

Cinq saisons modérées de déficit pluviométrique ont contribué à une baisse de la productivité agricole et à une hausse des prix des denrées alimentaires, exposant environ 23 millions de personnes à une grave famine, selon le Programme alimentaire mondial.

Ailleurs, les glaciers des régions montagneuses d’Asie ont perdu une part importante de leur masse au cours des 40 dernières années, avec des conditions exceptionnellement chaudes et sèches qui ont exacerbé ce phénomène en 2022, selon l’analyse.

En Amérique latine, une cinquième année de sécheresse placé 1,2 million de personnes dans le besoin d’une aide alimentaire en 2022, selon le rapport.

En Argentine, la production de soja, la principale exportation agricole du pays, devrait être inférieure de 44 % à la moyenne cette année, atteignant ainsi son niveau le plus bas depuis 1988/89.

Parallèlement, jusqu’à 20 pour cent de la population chinoise devrait être confrontée à des épisodes de sécheresse extrême plus fréquents au XXI e siècle.

Obed Ogega, climatologue et responsable de programme à l’Académie africaine des sciences à Nairobi, au Kenya, affirme que ce rapport auquel il n’a pas participé reflète fidèlement l’impact de la sécheresse, en particulier dans la Corne de l’Afrique.

« Les communautés de la Corne de l’Afrique dépendent de l’agriculture pluviale et du pastoralisme et toute météo extrême, qu’il s’agisse de sécheresse ou d’inondations, est susceptible de causer des ravages économiques », dit-il.

Il affirme que la plupart des pays du sud sont déjà confrontés à de multiples défis, notamment le fardeau des maladies, les conflits et le manque de technologie et de ressources. De ce fait, ils sont touchés de manière disproportionnée par des conditions météorologiques extrêmes.

« Un pays comme la Somalie par exemple est en proie à une guerre civile depuis des décennies et dispose donc de peu de capacités et de ressources pour répondre à une grave sécheresse », indique Obed Ogega.

« Construire la résilience »

Daniel Tsegai martèle que le monde doit agir maintenant pour empêcher que de futures vagues de sécheresse ne détruisent les acquis du développement.

« Penser à l’avance et agir avant la sécheresse coûte bien moins cher que de réagir et répondre à ses impacts », dit-il.

« Nous devrions mettre l’accent sur le potentiel énorme, mais malheureusement sous-estimé de la restauration des terres en tant que stratégie importante pour lutter contre la sécheresse », plaide Daniel Tsegai.

Le rapport suggère en effet que jusqu’à 25 % des émissions de CO2 pourraient être compensées par des solutions fondées sur la nature, notamment la restauration des terres.

Les chercheurs estiment également qu’il y aurait une réduction de près de 100 % de la conversion des forêts mondiales et des terres naturelles pour l’agriculture si la moitié des produits d’origine animale tels que le porc, le poulet, le bœuf et le lait consommés aujourd’hui étaient remplacés par des alternatives durables.

Ils prévoient également qu’il y aurait une réduction de 20 à 50 pour cent du gaspillage d’eau si les systèmes d’arrosage conventionnels étaient remplacés par la micro-irrigation, qui fournit l’eau directement aux racines des plantes.

« Le rapport Global Drought Snapshot en dit long sur l’urgence de cette crise et sur le renforcement de la résilience mondiale face à celle-ci », affirme Ibrahim Thiaw.

« Alors que la fréquence et la gravité de la sécheresse augmentent, que les niveaux des réservoirs diminuent et que les rendements des cultures diminuent, que nous continuons à perdre de la diversité biologique et que les famines se propagent, un changement transformationnel est nécessaire », conclut le secrétaire exécutif de la CNULD.

La version originale de cet article a été produite par l’édition mondiale de SciDev.Net