15/11/22

Le Cameroun se bat pour distribuer des antipaludéens avant leur péremption

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Crédit image: Pexels de Pixabay

Lecture rapide

  • Un stock de 109 860 traitements pour adolescent contre le paludisme arrivera à expiration le 31 décembre
  • Mauvaise gestion des approvisionnements et prescriptions inadaptées sont parmi les causes du problème
  • Si tout ce stock n’est pas distribué, le Fonds mondial pourrait réduire sa subvention destinée au Cameroun

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[YAOUNDE] Le Programme national de lutte contre le paludisme (PNLP) du Cameroun a jusqu’au 31 décembre 2022 pour distribuer 109 860 traitements contre le paludisme reçus dans le cadre d’une subvention, mais désormais menacés de péremption.

Le principal produit concerné par cette opération est l’Artemether – Luméfantrine 20/120mg pour adolescents et il représente le traitement de plus de 100 mille patients à raison d’une plaquette (traitement) par patient.

Ces produits d’une valeur de 11 535 300 FCFA sont stockés à la Centrale nationale d’approvisionnement en médicaments et consommables essentiels (CENAME) et dans certains Fonds régionaux de promotion de la santé (FRPS).

« Ce stock représente à peu près 10% des stocks qu’on a reçus en 2021 », indique Dorothy Achu Fosah, secrétaire permanente du PNLP, interrogé par SciDev.Net.

“Devant les adolescents, les médecins prescrivent beaucoup plus les formes adultes. Ils oublient qu’il y a une forme appropriée et adaptée aux adolescents”

Dorothy Achu Fosah; PNLP

Pour expliquer cette situation, elle ajoute que « ce sont des choses qui arrivent dans un système de gestion des médicaments. On ne doit pas forcément consommer tous les médicaments ».

Il se trouve en outre que « devant les adolescents, les médecins prescrivent beaucoup plus les formes adultes. Ils oublient qu’il y a une forme appropriée et adaptée aux adolescents », ajoute Dorothy Achu Fosah.

Mais, de l’avis de certains pharmaciens hospitaliers, le problème de ce stock proche de la péremption est en partie imputable aux dysfonctionnements du système de gestion et d’approvisionnement et à ceux du circuit d’acheminement des médicaments dans les formations sanitaires.

« Les procédures sont longues. Il m’est arrivé plusieurs fois de passer des commandes et il a fallu attendre six mois pour être livré, avec des quantités que je n’avais même pas commandées », déplore Jean François Abena, pharmacien hospitalier en service à l’hôpital de référence de Sangmélima dans le sud du pays.

Albert Zé, économiste de la santé et Fondateur de l’Institut de recherche pour la santé et le développement situe l’autre cause du problème dans le fait que « les prescripteurs utilisent les molécules pour lesquelles ils ont des rétrocommissions », ajoute ce chercheur ayant travaillé sur l’évaluation des stratégies de lutte contre le paludisme au Cameroun.

Pour éviter la perte totale de ce stock de médicaments, le ministre de la Santé publique a signé une circulaire le 10 octobre dernier.

Dans cette correspondance adressée aux délégués régionaux de la Santé publique, aux coordonnateurs régionaux du PNLP, aux responsables des formations sanitaires et aux organisations de la société civile, Manaouda Malachie prescrit la distribution gratuite de ces traitements.

« Par rapport aux besoins du pays, si on les envoie là où il y a la demande, on peut facilement les écouler avant le mois de décembre », explique Dorothy Achu Fosah. Pour cela, « on doit identifier là où il y a plus de malades. Les médicaments seront écoulés », assure-t-elle.

Optimisme

Un optimisme que ne partagent pas forcément certains acteurs de la société civile impliqués dans la lutte contre le paludisme qui tue plus de 3000 personnes par an au Cameroun.

« Il sera difficile d’écouler la totalité du stock dans ce délai-là », redoute par exemple Joseph Wato, membre de la Civil Society for Malaria Elimination (CS4ME), un réseau d’organisations actives dans la lutte contre le paludisme.

Pour ce dernier, cette distribution-marathon permettra tout au plus de réduire la quantité de médicaments en stock avant la péremption, en s’appuyant sur les agents de santé communautaire.

Joseph Wato en profite pour souligner les enjeux : « En effet, si ces médicaments utilisés comme thérapie dans les cas de paludisme simple venaient à se périmer, le taux de mortalité de cette maladie au lourd fardeau socio-économique va augmenter », explique-t-il.

Bien plus, « le Cameroun devra rembourser un montant égal à la valeur financière des médicaments périmés. Parce que c’est soit on consomme la totalité, soit on rembourse ce qu’on n’a pas pu consommer », fait savoir ce membre du conseil d’administration du Fonds mondial de lutte contre le Paludisme, le VIH et la tuberculose.

Enfin, apprend-on de la même source, l’enveloppe médicaments du Cameroun pourrait être revue à la baisse pour les prochaines commandes, car ce sont les usages qui ont cours au Fonds mondial.

« Si on vous donne 100 000 FCFA à consommer et à la fin de la subvention, vous n’arrivez à justifier que la consommation de 80 000 FCFA, c’est ce dernier montant qu’on va vous remettre pour la prochaine subvention parce que c’est cela votre niveau de consommation », décrit Joseph Wato.En attendant, des réflexions sont en cours pour qu’un tel scénario ne se reproduise plus à l’avenir. Au PNLP, l’on envisage par exemple de revoir la quantité des antipaludéens commandés notamment pour ce qui est l’Artemether – Luméfantrine 20/120mg pour adolescents.

« Cette forme a été surestimée. Donc on va réajuster et beaucoup plus éduquer les prescripteurs pour qu’ils n’oublient pas cette forme lors de la commande des médicaments », révèle Dorothy Achu Fosah.

Pour sa part, Olivier Longso, pharmacien hospitalier et consultant en stratégie de management, plaide pour « la création d’un centre virtuel de collecte de données et la numérisation desdites données afin de véhiculer de manière plus efficiente les besoins, d’entrer en machines les valeurs de stocks ainsi que leur date de péremption ».