10/02/21

Une étude remet en question le dosage du vaccin contre la fièvre jaune

"Yellow Fever in Darfur, Sudan" by UNAMID Photo is licensed under CC BY-NC-ND 2.0
Une dose du vaccin contre la fièvre jaune lors d'une utilisation au Darfour au Soudan. Crédit image: UNAMID Photo (CC BY-NC-ND 2.0)

Lecture rapide

  • Juste un cinquième de la dose homologuée du vaccin contre la fièvre jaune suffit pour immuniser le patient
  • Cette découverte peut aider à vacciner un plus grand nombre de personnes pendant les épidémies
  • Cela souligne l’intérêt d’évaluer de temps en temps les médicaments sur leurs dosages et leurs effets

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[DOUALA] « Les résultats de cette étude rappellent l’importance de l’évaluation de temps en temps des vaccins et des médicaments déjà mis sur le marché, aussi bien sur leurs dosages que sur leur pharmacovigilance ».

Telle est la leçon que tire l’épidémiologiste Ayola Akim Adegnika, directeur du Centre de recherches médicales de Lambaréné (CERMEL) au Gabon, d’une étude dont les résultats ont été publiés en janvier 2021 dans la revue scientifique The Lancet.

Une étude qui a découvert que même en n’administrant aux patients qu’un cinquième de la dose conventionnelle du vaccin contre la fièvre jaune, l’on obtient la même réponse immunitaire de l’organisme contre cette maladie.

“Toutes les doses fractionnées se sont très bien comportées, protégeant presque toutes les personnes vaccinées de la même manière que celles qui l’ont été avec la dose standard”

Rebecca F. Grais, Epicentre (MSF)

Francine Ntoumi, présidente de la Fondation congolaise pour la recherche médicale (FCRM), abonde à peu près dans le même sens en relevant que cette étude permet de ne donner au corps que la juste dose.

« Il ne faut pas oublier qu’un vaccin est un médicament. Pourquoi donner au corps plus de médicament que nécessaire ? Cette étude est très importante pour mieux utiliser les doses disponibles », dit-elle.

Ayola Akim Adegnika qui est aussi enseignant à l’université de Tübingen en Allemagne poursuit en disant que « cette évaluation permettra d’ajuster les recommandations standards et surtout de répondre à la forte demande en vaccination surtout pendant les grandes épidémies où l’on fait souvent face à des pénuries ».

L’étude en question a été pilotée par Epicentre, la branche de Médecins sans frontières (MSF) consacrée à la recherche épidémiologique, en collaboration avec l’Institut de recherche médicale du Kenya, l’Institut Pasteur de Dakar (Sénégal) et l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Pour arriver à cette conclusion, les chercheurs ont mené un essai clinique entre novembre 2017 et février 2018 en Ouganda et au Kenya où ils ont administré une dose standard du vaccin contre la fièvre jaune ou un cinquième de celle-ci à un total de 960 adultes âgés de 18 à 59 ans.

Rebecca F. Grais, directeur de recherche chez Epicentre et auteure principale de l’étude affirme que « le nombre de personnes suivies dans le cadre de l’étude est suffisant pour apporter des informations sur la protection fournie par des doses fractionnées par rapport aux doses standards pour chacun des quatre vaccins[1] préqualifiés par l’OMS ».

Protection à vie

D’après ses explications, la population étudiée a été suivie pendant un an et l’étude a examiné si les doses plus faibles fonctionnent moins bien que les doses standards.

« Toutes les doses fractionnées se sont très bien comportées, protégeant presque toutes les personnes vaccinées de la même manière que celles qui l’ont été avec la dose standard », indique Rebecca F. Grais dans une interview accordée à SciDev.Net.

Pour Aitana Juan-Giner, épidémiologiste chez Epicentre et co-auteur de l’étude, il est important de noter que depuis 2013, une dose de vaccin contre la fièvre jaune est considérée comme offrant une protection à vie. Et cette information intervient après plus de 80 ans d’utilisation du vaccin.

Ainsi, affirme-t-elle, « la présente étude constitue un important pas en avant pour garantir qu’un dosage fractionné peut être utilisé en période de pénurie pendant une épidémie. Cela est important pour la riposte aux flambées car les vaccins doivent être accessibles de toute urgence ».Francine Ntoumi se félicite de ce que « ces études aient été conduites en Afrique subsaharienne, où il y a beaucoup plus d’épidémies récurrentes de fièvre jaune, et donc dans la population qui a le plus besoin de ce vaccin », ajoute-t-elle.

Mais, la chercheure ne manque pas de relever les améliorations qui devraient y être apportées, ouvrant la voie à d’autres travaux de recherche.

« Il faudrait évaluer cette dose fractionnée dans d’autres populations, par exemple des gens ayant des comorbidités comme le VIH/sida, la tuberculose… L’étude a ciblé les adultes ; mais, que se passe-t-il chez les enfants et dans d’autres groupes vulnérables comme les femmes enceintes ? » Analyse Francine Ntoumi qui affirme qu’il y a encore des réponses à apporter pour avoir une vue plus complète sur l’efficacité de ce dosage fractionné.

« Les doses fractionnées sont une toute nouvelle stratégie, nous devrons donc attendre pour accumuler toutes les preuves nécessaires. Pour l’instant, les doses fractionnées sont destinées à la riposte aux épidémies lorsque les doses sont insuffisantes pour protéger la population à risque », précise Rebecca F. Grais.

Lutte antivectorielle

Cette dernière indique au passage que dans une précédente étude menée au Brésil, on avait enregistré la protection conférée par des doses plus faibles 8 ans après la vaccination contre la fièvre jaune.

Aussi les auteurs de ces travaux espèrent-ils que ses résultats vont permettre à l’OMS d’étendre à tous les vaccins préqualifiés sa politique sur les doses fractionnées de vaccins contre la fièvre jaune en cas de pénurie lors d’une épidémie.

Francine Ntoumi estime que l’utilisation de ces doses fractionnées doit s’accompagner d’une communication « appropriée » pour éviter qu’elle ne fasse l’objet de fake news ; tandis qu’Ayola Akim Adegnika appelle à ne pas négliger les autres moyens de lutte contre la maladie, en l’occurrence la lutte antivectorielle.

Maladie virale transmise par piqûre de moustique, la fièvre jaune sévit de manière endémique dans 44 pays dont 34 en Afrique, provoquant quelque 30 000 décès par an.

Il n’existe pour le moment aucun médicament spécifique contre la maladie, d’où l’accent qui est mis sur la prévention. Seulement, il faut environ 12 mois pour produire ce vaccin et il est difficile d’estimer les quantités nécessaires chaque année.

Références

[1] Ces vaccins sont dérivés de plusieurs souches du virus : 17DD (Bio-Manguinhos/Fiocruz, Brésil), 17D-213 (Institut de la poliomyélite et des encéphalites virales, Entreprise unitaire fédérale de l’État de Chumakov, Russie), 17D-204 (Institut Pasteur de Dakar, Sénégal) et 17D-204 (Sanofi Pasteur, France).