23/12/21

Peut-on consommer des médicaments arrivés à expiration ?

drugs
Crédit image: pixabay.com

Lecture rapide

  • La prise d’antirétroviraux périmés a causé des effets secondaires inattendus en septembre 2021 au Gabon
  • Des études montrent que certains médicaments restent efficaces des années après leur date de péremption
  • Mais on déconseille la prise de médicaments périmés, les fabricants ne garantissant plus leur innocuité

Envoyer à un ami

Les coordonnées que vous indiquez sur cette page ne seront pas utilisées pour vous envoyer des emails non- sollicités et ne seront pas vendues à un tiers. Voir politique de confidentialité.

Dans un ras-le-bol au mois de septembre 2021, la présidente du Réseau gabonais des associations de personnes vivant avec le VIH/sida, Mariam Fatou Moussounda Nzamba, a ouvertement accusé les autorités gabonaises de distribuer des antirétroviraux périmés depuis le mois de juillet aux personnes atteintes du VIH/sida.

Selon cette dernière contactée par SciDev.Net, la directrice de la Santé publique leur avait demandé, son équipe et elle, d’apporter les preuves de leurs accusations. « On a apporté les preuves… », soutient-elle.

Réagissant à ces accusations, le ministre de la Santé gabonais avait condamné un acte « qui ne reflète pas l’éthique et la déontologie médicales » et annoncé des sanctions à l’encontre des personnes qui ont procédé à la prescription et à la distribution de ces produits périmés.

Les médicaments en question (Lamivudine, Nevirapine and Zidovudine) sont fabriqués par le laboratoire indien Strides Pharma Science Limited.

“L’établissement de la date de péremption s’appuie sur les preuves nécessaires que les médicaments répondent aux exigences prévues jusqu’à sa validité définie”

Pandurang Polawar, Strides Pharma Science Limited

Cette affaire qui a secoué le Gabon est loin d’être un cas isolé. Des associations camerounaises de lutte contre les hépatites avaient auparavant confié à SciDev.Net que la date de péremption de certains médicaments contre l’hépatite virale C prescrits et distribués en octobre 2020 avait déjà expiré.

Il s’agissait notamment de médicaments à base de Sofosbuvir + Velpatasvir 400/100 mg appartenant au N° lot 3091996.

Cette confidence faisait suite à un communiqué du ministre de la Santé, Malachie Manaouda, publié le 27 octobre 2020, annonçant une soudaine baisse de 75 % du coût de ce traitement qui était ainsi passé de 100 000 FCFA à 25 000 FCFA.

Pour ces organisations, c’est sans doute parce que le délai de consommation de ces médicaments était dépassé qu’il avait été  décidé de réduire le coût de leur acquisition.

D’ailleurs, le communiqué précisait « curieusement » que les patients adhérant à ce protocole devaient donner leur consentement écrit avant de recevoir le produit.

Pratique courante

Ces deux événements mettent en lumière une pratique courante en Afrique où certains médecins et pharmaciens n’hésitent pas à prescrire des médicaments dont la date de péremption est échue. Expliquant aux patients curieux que les médicaments peuvent être utilisés trois à six mois au-delà de leurs dates de péremption.

Une pratique dans laquelle ne se reconnaissent cependant par les fabricants de médicaments interrogés par SciDev.Net. Strides Pharma Science Limited par exemple déconseille l’utilisation de ses produits après leurs dates d’expiration.

Pour le cas précis des antirétroviraux distribués au Gabon, Pandurang Polawar, responsable de l’assurance qualité dans cette firme, indique que « la date de péremption est définie sur la base de l’étude de stabilité du produit ; et la durée de conservation des comprimés de Lamivudine, Névirapine et Zidovudine est de 36 mois à partir des données de fabrication et il est recommandé d’utiliser le produit avant la date de péremption définie ».Même son de cloche de la part Gilead Sciences, le laboratoire pharmaceutique américain qui produit les médicaments contre les hépatites à base de Sofosbuvir et Velpatasvir souvent commercialisés sous la marque Epclusa.

Bahar Turkoglu, directeur principal des affaires publiques au département des Solutions globales pour les patients dans cette firme, indique que « en ce qui concerne notre position sur les dates d’expiration, nous nous référons toujours à notre résumé des caractéristiques du produit qui dit ceci : ” N’utilisez pas ce médicament après la date de péremption indiquée sur le flacon et la boîte ».

Cette même source précise que la date de péremption en question fait référence au dernier jour du mois indiqué.

Anomalie

Sur la situation survenue au Cameroun au sujet d’un lot de médicaments contre l’hépatite C, Salihou Sadou, directeur de la Pharmacie, du médicament et des laboratoires au ministère de la Santé publique du Cameroun, déclare qu’il n’a aucun élément sous la main lui permettant de commenter ces informations.

« Ça peut être une anomalie liée à la chaîne d’approvisionnement, à la logistique, à une tension de stock, à une contrainte qui a fait en sorte que les malades utilisent des produits en voie de péremption ou qui ont déjà expiré pour des besoins d’urgence de santé publique…ce sont des choses que moi j’interroge », analyse néanmoins ce dernier.

A l’Organisation mondiale de la santé (OMS), on déconseille également l’utilisation des médicaments au-delà de leur date de péremption fixée par le fabricant.

Car à partir de cette date, celui-ci ne garantit plus ni son efficacité ni son innocuité, précise Ray Mankele, conseiller pharmaceutique pour l’Afrique centrale au bureau régional de l’OMS pour l’Afrique.

« La fixation de cette date est consécutive à un certain nombre d’essais réalisés dans diverses conditions de température et d’humidité et montrant jusqu’à quelle durée le médicament reste stable… » Ajoute-t-il.

Efficacité

Pourtant, des études commandées dans les années 80-90 par l’armée américaine à la Food and Drug Administration, l’autorité américaine en charge de la sécurité sanitaire, montrent que certains médicaments, plusieurs années après leur date d’expiration, gardent 90% de leur efficacité au niveau de leur principe actif.

Par ailleurs, dans une plus récente étude publiée en 2012, des chercheurs soulignent que les médicaments périmés n’ont pas nécessairement perdu leur puissance et que la date de péremption n’est qu’une assurance que la puissance indiquée durera au moins jusqu’à ce moment-là.

“Des études en cours montrent que de nombreux médicaments conservent leur efficacité des années après leur date de péremption initialement indiquée”

Une étude

Plus concrètement, écrivent-ils, « des études en cours montrent que de nombreux médicaments conservent leur efficacité des années après leur date de péremption initialement indiquée »

« Des situations cliniques peuvent survenir dans lesquelles des médicaments périmés pourraient être envisagés en raison du manque d’alternatives viables ou de problèmes financiers », conclut cette étude parue dans la revue Jama International Medicine.

De fait, les événements survenus au Gabon et au Cameroun coïncidaient chaque fois avec des périodes de pénurie de médicaments contre les maladies en question.

Accusation

Au regard de tout cela, Robert H. Shmerling, médecin et professeur agrégé de médecine à la Harvard Medical School (Etats-Unis), va plus loin en pointant un doigt accusateur sur les fabricants de médicaments dans un article publié en 2018.

« Les sociétés pharmaceutiques établissent des dates de péremption pour nous encourager à remplacer nos anciens médicaments (même s’ils sont encore bons). Plus nous en jetons, plus nous devrons en acheter pour les remplacer », dit-il.

En réponse à cette accusation, Pandurang Polawar rappelle d’abord que « l’établissement de la date de s’appuie sur les preuves nécessaires que les médicaments répondent aux exigences prévues jusqu’à sa validité définie. »

“Le corps humain n’est pas un laboratoire. Il est préférable d’utiliser un médicament qui garantit 100% de son efficacité”

Jean-François Abena, pharmacien, Ayos

Avant de rassurer : « l’usage et les besoins en médicaments doivent être évalués périodiquement pour assurer la gestion des stocks suffisants de médicaments valables à la portée des patients, donc pour éviter que des médicaments soient jetés en raison de leur péremption ».

Pour sa part, Jean-François Abena, pharmacien en service dans la ville d’Ayos dans le centre du Cameroun martèle que la date de péremption est définie par extrapolation durant les études de stabilité, en laboratoire, du principe actif, avec ses excipients (conservateurs), dans un conditionnement précis, sous une forme particulière et dans les conditions de conservation prédéfinies.

Passé cette date, poursuit le pharmacien, « les conservateurs ne jouent plus leur rôle, le principe actif se dégrade peu à peu ; on ne saurait donc garantir le résultat si ce produit est administré à un patient », explique Jean-François Abena.

Prudence

Pandurang Polawar met dès lors en garde : « l’impact des actions thérapeutiques, l’efficacité par rapport à l’objectif visé et les effets secondaires possibles des médicaments qui ont été utilisés après la date de péremption ne sont pas connus et il est donc recommandé d’utiliser le produit avant sa date de péremption ».

Aussi Jean-François Abena préfère-t-il jouer la carte de la prudence : « le corps humain n’est pas un laboratoire. Il est préférable d’utiliser un médicament qui garantit 100% de son efficacité », dit-il.

Ce d’autant plus que les conditions de fabrication, les dispositions de stockage et les modes de conservation ne sont pas les mêmes en Afrique qu’ailleurs, observe Salihou Sadou.Pour autant, il peut arriver que les dates de péremption d’un médicament soient revues, souligne Ray Mankele.

« Mais cela est de la responsabilité du fabricant à la suite de nouvelles données scientifiques et après de nouveaux essais de stabilité. Le fabricant doit alors saisir l’autorité règlementaire pharmaceutique auprès de laquelle il avait obtenu son visa de mise sur le marché afin que ces informations soient mises à jour », précise-t-il.

Pour lui, par essence, le médicament étant un poison, toute perte de stabilité peut avoir des conséquences graves et même néfastes. Notamment « des intoxications, des empoisonnements, des surinfections … », énumère Jean-François Abena.

Désagrément

Mariam Fatou Moussounda Nzamba, la présidente du Réseau gabonais des associations des personnes vivant avec le VIH/sida, a d’ailleurs affirmé que la prise des antirétroviraux périmés a provoqué des effets tels que des démangeaisons, des troubles de sommeil, l’apparition de boutons, etc…

Pour éviter ces désagréments, l’OMS affirme qu’elle appuie les pays dans la mise en place des systèmes de pharmacovigilance qui permettent de suivre les effets des médicaments après leur consommation.

« Les informations recueillies peuvent aussi contribuer à revoir les données de sécurité des médicaments pendant leur période d’utilisation », justifie le Ray Mankele.

A en croire ce dernier, l’OMS recommande également aux systèmes d’approvisionnement au niveau national ou local, de tenir compte de la durée de vie des médicaments (période entre la fabrication et la péremption) dans leurs acquisitions afin de réduire au maximum la quantité de médicaments périmés dont la gestion est parfois plus compliquée.