04/05/22

Paludisme : La trithérapie envisagée pour freiner la résistance aux médicaments

Malaria testing
La réalisation d'un test de dépistage du paludisme. Crédit image: DFAT photo library (CC BY 2.0)

Lecture rapide

  • Associer l’artémisinine, l’amodiaquine et la luméfantrine semble être la solution la plus appropriée
  • Des études menées en Asie et en Afrique pour évaluer cette approche ont des résultats prometteurs
  • Déjà enregistrée dans des pays d’Afrique, cette résistance à l’artémisinine rallonge la durée du traitement

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[DOUALA] En attendant la mise sur pied de nouveaux médicaments, deux stratégies sont sur la table des chercheurs pour faire face à la résistance du plasmodium falciparum, le microbe responsable du paludisme, aux médicaments à base d’artémisinine (ACT[1]), utilisés aujourd’hui en première intention un peu partout contre la maladie.

Il s’agit, d’une part, de la trithérapie et, d’autre part, du changement fréquent du médicament de première intention.

Les ACT sont actuellement constitués de deux molécules : l’artémisinine associée à un autre produit qui est soit l’amodiaquine, soit la luméfantrine.

“La trithérapie est une approche assez classique que l’on utilise contre les maladies infectieuses. Car, les parasites sont ciblés sous différents angles et n’arrivent pas à échapper aux traitements”

Philippe Guérin, directeur IDDO

Selon les explications de Matthew Coldiron, chercheur chez Epicentre, la section de Médecins sans frontières (MSF) dédiée à la recherche médicale, l’idée de la trithérapie est donc d’y ajouter une troisième molécule et d’utiliser ainsi à la fois l’artémisinine, l’amodiaquine et la luméfantrine dans un seul et même traitement.

Philippe Guérin, directeur de l’Infectious Diseases Data Observatory (IDDO – Observatoire des données sur les maladies infectieuses) renchérit en affirmant qu’il existe une autre combinaison envisagée constituée de l’artémisinine, de la méfloquine et de la pipéraquine.

« Donc, c’est toujours un dérivé de l’artémisinine, associée à deux médicaments partenaires », dit-il.

« C’est une approche assez classique que l’on utilise contre les maladies infectieuses. Car, les parasites sont ciblés sous différents angles et n’arrivent pas à échapper aux traitements », affirme Philippe Guérin.Les deux experts indiquent qu’on est bien fondés à mettre en œuvre cette stratégie, puisque cela marche déjà pour le VIH/sida avec la trithérapie et pour la tuberculose avec le quadrithérapie.

A les en croire, des essais cliniques ont d’ailleurs été faits en Asie du sud-est et sont en cours sur plusieurs sites en Afrique avec des résultats partiels qui montrent que cette approche marche « plutôt bien » et ne pose pas de problème de toxicité.

Matthew Coldiron explique que l’autre stratégie qui est le changement du médicament de première intention consisterait à alterner, tous les deux ans par exemple, la combinaison à administrer dans un pays donné.

« Par exemple, pour 2022 et 2023, on peut adopter l’artémisinine associée à la luméfantrine ; puis, pour 2024 et 2025, on passe à l’artémisinine associée à l’amodiaquine etc. C’est pour changer un peu le médicament partenaire », décrit-il.

Le chercheur fait cependant savoir que cette deuxième méthode ne s’appuie pas nécessairement sur des évidences scientifiques, mais plutôt sur l’expérience de certains pays d’Asie qui ont été amenés à adopter cette alternance suite aux défaillances des traitements.

La résistance des germes aux ACT a été enregistrée pour la première fois en Asie du sud-est. Mais, ces derniers temps, elle a également été mise en évidence en Afrique où les ACT sont utilisés depuis 2003.

Elisabeth Juma, spécialiste du paludisme à l’OMS Afrique confie à SciDev.Net que ces cas de résistance ont notamment été enregistrés dans des pays comme le Rwanda, l’Ouganda, l’Erythrée, le Mali et le Burkina Faso.

Cette dernière précise cependant qu’il s’agit d’une résistance partielle dans la mesure où elle s’applique à l’artémisinine et non aux médicaments partenaires. Pour elle, il serait dès lors plus approprié de parler de résistance à l’artémisinine plutôt que de résistance aux ACT.

« L’artémisinine est un bon médicament parce qu’elle tue le parasite à tous les stades de son développement. La résistance partielle dont il est question maintenant tient au fait que le médicament ne tue plus les plus jeunes parasites ; mais quand ils deviennent plus grands, ils sont tués »

Conséquence

Matthew Coldiron précise que « avec les ACT, normalement, on ne trouve plus de parasites dans le sang de la plupart des patients après 24 H de traitement. Les premiers signes de cette résistance étaient que cette disparition des parasites n’apparaissait plus qu’après 36 H, voire 48 H. Et cela avait été constaté chez 15% des patients dans le nord de l’Ouganda ».

« En conséquence, le traitement prendra un peu plus de temps qu’à l’accoutumée, mais le patient guérira de la maladie », rassure Elisabeth Juma. Car, martèlent les chercheurs, « on n’a pas encore assisté à des échecs thérapeutiques en Afrique ».

La particularité de cette résistance aux antipaludiques en Afrique est que pour la première fois, elle est apparue sur le continent. Par le passé, les résistances avaient été enregistrées en Asie et se sont par la suite propagées sur le sol africain.

Pour les chercheurs, le Rwanda, l’Ouganda et les autres pays touchés ont eu la capacité de détecter cette émergence ; mais il est possible qu’elle existe ailleurs sur le continent et n’ait simplement pas encore été détectée

« Il est donc important de renforcer la surveillance de la résistance aux antipaludiques pour savoir quelle est l’ampleur du problème aujourd’hui en Afrique », analyse Philippe Guérin.

En plus de cette surveillance, Elisabeth Juma pense que la maîtrise de cette situation passe aussi par des conseils à prodiguer aux patients pour qu’ils aient un bon comportement.« Ne vous contentez pas d’aller acheter un antipaludique à la pharmacie quand vous avez mal à la tête. Il est important de faire le test. Parce que quand vous faites un test qui se révèle positif, vous êtes motivés à terminer votre traitement », justifie-t-elle.

« Or, poursuit-elle, si vous ne faites pas le test et que vous vous sentez mieux, vous arrêtez de prendre le traitement. A considérer que vous n’aviez pas de paludisme, si durant la nuit d’après, un moustique vous pique, vous seriez en train d’exposer ainsi le parasite à une faible dose du médicament. Ce qui favorise les résistances ».

En effet, outre les efforts naturels du parasite lui-même pour échapper aux traitements et au système immunitaire, tout le monde s’accorde sur le fait que les autres facteurs qui favorisent l’apparition de cette résistance sont l’exposition du parasite à de faibles doses du médicament, les faux médicaments ou l’utilisation d’infusions d’artemisia, la plante dont est issue l’artémisinine

Références

[1] Artemisinin-based Combination Therapy (combinaison thérapeutique à base d’artémisinine)