07/06/22

Congo : Pointe-Noire face au phénomène de la hausse des températures

Pointe-Noire
Pointe-Noire : L'urbanisation a ses revers. Crédit image: jbdodane (CC BY-NC 2.0)

Lecture rapide

  • Les zones les plus chaudes de la ville correspondent aux endroits les plus urbanisés et les moins boisés
  • Les experts préconisent une architecture bioclimatique, utilisant des matériaux adaptés au climat local
  • Conservation de la mangrove, création de forêts urbaines et entretien des cours d’eau sont aussi prônés

Envoyer à un ami

Les coordonnées que vous indiquez sur cette page ne seront pas utilisées pour vous envoyer des emails non- sollicités et ne seront pas vendues à un tiers. Voir politique de confidentialité.

[POINTE-NOIRE, CONGO] Quels sont les facteurs humains qui influencent le réchauffement climatique dans la ville de Pointe-Noire au Congo ? Telle est la question centrale au cœur d’une étude dirigée par Legrand Souamy, doctorant en géographie à l’université Marien Ngouabi de Brazzaville et publiée en mars 2022 dans « Revue espace géographique et société marocaine ».

D’après les explications de son auteur principal, l’étude a pour objectif de faire découvrir aux responsables en charge de la ville de Pointe-Noire et aux Pontenegrin(es)s le phénomène d’ICU (îlot de chaleur urbain).

« Pointe-Noire, en tant que deuxième ville de la République du Congo, est sous l’influence de ce phénomène d’ICU qui consiste en la hausse des températures de surface, typique à toutes les villes. Ce phénomène, naturel à l’origine, est actuellement alimenté par les mutations de la ville en matière d’occupation du sol », explique Legrand Souamy.

“Nous conseillons l’utilisation de matériaux locaux tels que le bois, la terre, la paille… Et dans la conception architecturale, on devrait optimiser la ventilation transversale, les grandes ouvertures des baies, l’isolation”

Fortuné Mampassi, architecte à Brazzaville

Pour mesurer ce phénomène, les chercheurs ont exploité les données de températures de surface ainsi que les indices d’urbanisation et de végétation obtenues à partir d’images des satellites Landsat 8 Operational Land Imagers (OLI) et Thermal Infrared Sensor (TIRS).

« Les résultats obtenus à l’issue des analyses montrent une augmentation des températures de surface du centre de la ville, se généralisant sur l’ensemble de la ville en fonction de l’urbanisation et du recul de la végétation ; les zones à forte température correspondant à une forte concentration urbaine et à un recul du couvert végétal », explique Legrand Souamy.

En effet, l’urbanisation se présente comme le premier facteur du réchauffement climatique. L’étude établit que les températures les plus élevées (entre 27 et 31 degrés C) sont enregistrées dans les arrondissements du centre (Lumumba, Loandjili, Tie Tie et Mvou Mvou) et l’arrondissement du nord de la ville (Mongo Pokou). Dans ces zones, l’urbanisation est marquée avec « la forte densité de bâtis ».A l’observation, beaucoup d’immeubles du centre et du nord de la ville, avec leur masse de béton hérissée de climatiseurs et leurs façades de verre, ont fière allure. Mais tout cela, se désole Legrand Souamy, n’est pas pertinent pour inverser la courbe de la hausse des températures dans la ville.

« Tous les aménagements réalisés dans la ville depuis sa municipalisation ne tiennent pas compte des mesures de lutte et d’adaptation face à la hausse de températures. Nous aménageons pour rendre beau sans pourtant tenir compte de l’impact des matériaux utilisés sur l’environnement et le climat local », regrette le chercheur.

Architecture bioclimatique

Fortuné Mampassi qui dirige un cabinet d’architecture et d’urbanisme à Brazzaville insiste pourtant sur l’apport déterminant de l’architecture bioclimatique, une discipline encore peu explorée en République du Congo, dans la lutte contre le réchauffement climatique.

« L’architecture bioclimatique, explique-t-il à SciDev.Net, s’adapte au climat dans le choix des matériaux et la conception architecturale. Elle intègre aussi d’autres concepts comme le développement durable, l’environnement, la gestion des déchets, l’énergie… »

Pour le cas spécifique d’une ville au climat chaud et humide comme Pointe-Noire, Fortuné Mampassi conseille « l’utilisation de matériaux locaux tels que le bois, la terre, la paille… Et dans la conception architecturale, on devrait optimiser la ventilation transversale, les grandes ouvertures des baies, l’isolation ».

Dans le même temps, dit-il, il faudrait éviter au maximum les matériaux qui chauffent et transmettent la chaleur, ainsi que l’utilisation massive du vitrage sans proposer les moyens d’atténuation des rayons solaires…

Comparaison de la végétation, de l’urbanisation et des températures à Pointe-Noire en 2019. Source: Etude.

L’étude montre par ailleurs que les températures les plus faibles (entre 20 et 26 degrés) sont enregistrées dans l’arrondissement de Ngoyo (sud de la ville) où la densité des bâtiments est encore faible. L’explication tient au fait que cette partie de la ville conserve encore son couvert végétal, contrairement au centre et au nord de la ville où la densité de l’urbanisation s’accompagne de la destruction de la végétation. Conclusion de l’étude : « les zones de faible végétation correspondent aux arrondissements qui enregistrent les températures les plus élevées ».

La lutte contre cette hausse des températures préoccupe les responsables de la mairie centrale de Pointe-Noire, à commencer par Jean François Kando, le député-maire de la ville. Dans un entretien avec SciDev.Net, il vante le bilan d’une campagne baptisée « Opération verte » initiée en novembre 2020.

« Nous avons déjà planté, depuis novembre 2020, plus de 500 arbres et l’opération va se poursuivre. Dans le nouveau plan d’urbanisme en cours d’achèvement nous allons préserver les îlots de fraîcheur qui sont les marécages et nombreux cours d’eau traversant la ville… », dit-il.

« Nous comptons aussi faire l’inventaire des mangroves, restaurer celles qui sont endommagées, les protéger par la création d’un périmètre de sécurité, même s’il faut exproprier », poursuit Jean François Kando.Des promesses qui ne rassurent pas encore tous les observateurs. C’est le cas de Félix Koubouana, biologiste à l’université Marien Ngouabi de Brazzaville et membre du collège de l’étude d’impact environnemental sur la mise sur pied de l’aire marine protégée de Loango.

Ce dernier « regrette la disparition de la mangrove au large de Pointe-Noire et l’absence d’une politique de forêt urbaine. La capacité de séquestration du gaz carbonique par les arbres est très importante. Cela limite considérablement l’effet de serre et, par conséquent, la hausse des températures dans la ville »

Cela rejoint la pensée de Legrand Souamy qui préconise la création de parcs artificiels à l’image de la forêt de patte d’oie à Brazzaville et la plantation d’arbres de rue à couronne large le long des chaussées bitumées et à pavées afin de maintenir ces surfaces sous l’ombre et créer par conséquent des bouffées de fraîcheur.

« Mieux encore, les responsables en charge de la ville peuvent exploiter les zones marécageuses insalubres, ainsi que la multitude de petits cours d’eau qui entrecoupent le centre de la ville pour créer des couloirs de fraîcheur urbain », propose-t-il.

* Cet article a été mis à jour le 7 juin 2022 à 11:40 GMT pour remplacer la carte unique précédente par la série de trois cartes insérée à l’interieur du texte.