24/06/22

Optimisme prudent pour les essais d’un vaccin à ARNm contre le VIH/sida

HIV IAVI lab
Un chercheur travaillant dans le laboratoire de conception et de développement de l’Initiative internationale pour un vaccin contre le sida en 2011. Des essais cliniques pour un vaccin à ARNm contre le VIH ont commencé. Crédit image: AIDSVaccine, (CC BY-NC-ND 2.0).

Lecture rapide

  • Des essais cliniques pour un vaccin ARNm contre le VIH ont débuté aux États-Unis
  • Des essais à venir au Rwanda et en Afrique du Sud vont évaluer la suppression à long-terme du VIH
  • Mais le manque d’accès aux licences et de capacité de production peut entraver un déploiement en Afrique

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Les scientifiques encouragent les dirigeants africains à exiger que des licences soient accordées de façon équitable suite aux essais cliniques d’un candidat-vaccin contre le VIH.

Un des aspects remarquables de la pandémie de COVID-19 fut la vitesse à laquelle un vaccin a été développé pour combattre le virus. Un processus qui, normalement, s’étend sur une décennie ou plus (des dizaines d’essais cliniques, des négociations difficiles sur les brevets, des stratégies de déploiement complexes) a été réduit à moins d’un an.

L’ARNm (acide ribonucléique messager) qui provoque une réponse immunitaire des cellules avant de se dégrader, ont fourni une solution simple et sûre à un défi sanitaire global.

La technologie ARNm est en développement depuis les années 1960, mais son succès dans la lutte contre le coronavirus a amené un regain d’intérêt pour son emploi dans la lutte contre d’autres maladies.

Parmi elles, une autre pandémie qui a coûté la vie à quelque 36 millions de personnes depuis qu’elle a été identifiée en 1981, le virus de l’immunodéficience humaine ou VIH.

“Même si nous obtenons effectivement un vaccin contre le VIH, il faudra faire mieux qu’avec la COVID-19 en termes d’accès et d’égalité”

Mitchell Warren, directeur exécutif de AVAC

Aux États-Unis, l’Institut national des allergies et des maladies infectieuses (NIAID) a annoncé au mois de Mars le lancement d’un essai clinique de phase I évaluant trois vaccins expérimentaux contre le VIH basés sur une plateforme ARNm.

Anthony Fauci, le directeur du NIAID a déclaré que si la recherche d’un vaccin contre le VIH a représenté « un défi scientifique de taille », nous avons maintenant « une excellente opportunité de voir si la technologie ARNm peut obtenir des résultats similaires contre l’infection par VIH. »

Toujours aux États-Unis, le premier essai sur des sujets humains d’un vaccin à ARNm contre le VIH a débuté en janvier dernier. Le candidat vaccin, mis au point avec la compagnie pharmaceutique Moderna, doit être administré à 56 adultes séronégatifs à Washington, Atlanta, Seattle et San Antonio.

Le VIH représente une cible bien plus complexe pour les ARNm, explique Dagna Laufer, vice-présidente du développement d’essais cliniques à l’Initiative internationale pour un vaccin contre le sida (IAVI), l’organisme qui parraine les essais connus sous le nom de IAVI G002.Dagna Laufer précise que « si les vaccins candidats font preuve d’un profil sûreté acceptable et sont capables de produire la réponse immunitaire désirée, ils pourraient représenter le premier élément d’un régime de vaccins à multiples étapes ».

Elle ajoute que « cependant, il nous faudra réaliser de multiples essais pour atteindre cet objectif et ces essais seront réalisés sur une période d’au moins cinq à dix ans ».

Le VIH est une maladie particulièrement difficile à combattre car il s’agit d’un rétrovirus, autrement dit, il reste dans le corps en permanence en copiant son génome et en l’insérant dans les cellules de l’hôte.

Il se distingue ainsi de la COVID-19 qui est un virus ARN dont le corps se débarrasse après quelques semaines. Pour offrir une protection contre le HIV, le vaccin ARNm ne doit pas seulement provoquer une réponse immunitaire temporaire. Il doit aussi encourager le corps à produire un type particulier de cellules B (des anticorps a effet neutralisant général) capables d’inhiber le VIH à long terme.

Il est extrêmement difficile d’atteindre cet objectif. L’un des problèmes est que l’on n’a pas encore catégoriquement identifié une protéine messagère capable de remplir ce rôle. Par ailleurs, les vaccins contre le VIH qui n’emploient pas la technique ARNm peinent aussi à prendre leur envol.

Des essais pour un vaccin développé par l’entreprise pharmaceutique Johnson & Johnson ont ainsi été abandonnés en 2021 lorsqu’il a été constaté que le candidat vaccin n’offrait une protection qu’a 25% (un niveau trop faible pour qu’il soit considéré comme étant efficace).

Reste que IAVI et Moderna se préparent à réussir. En 2021, un autre essai clinique sur des macaques a démontré que leur candidat vaccin contre le VIH communiquait un message qui amenait les singes à produire des anticorps capables de neutraliser une infection par le VIH.

Dagna Laufer a confié à SciDev.Net que le prochain essai financé par IAVI, IAVI G003, doit débuter au plus tard au milieu de l’année 2022. Il sera conduit dans des centres de recherche clinique au Rwanda et en Afrique du Sud. Le principe qui sous-tend l’étude de phase I est que les chercheurs africains doivent jouer un « rôle moteur » aussi bien dans la conduite de l’étude que dans l’analyse des données recueillies.*

Production dans les pays du Sud

Le déplacement des essais vers l’Afrique contribuera peut-être dans une certaine mesure à résoudre un autre des problèmes majeurs des essais cliniques sur le VIH, notamment le manque de participation de ceux qui sont les plus touchés par le virus.

Selon l’Organisation mondiale de la santé, plus des deux tiers des 25 millions de personnes vivant avec le VIH se trouvent en Afrique, où le risque de mourir de la maladie est aussi le plus élevé.

Il y a plusieurs raisons à cela : le manque d’accès à des services de santé de qualité, le coût du traitement antirétroviral, et la stigmatisation liée au VIH. Ensemble, ces facteurs font que l’Afrique est une cible moins intéressante pour les compagnies pharmaceutiques.

La pandémie de COVID-19 l’a bien montré. D’après l’OMS, seulement 375 millions de doses de vaccins ont été administrées en Afrique, pour une population totale de 1,3 milliard d’habitants.

Par conséquent, ceux qui suivent le développement de vaccins traditionnels et ARNm contre le VIH s’inquiètent de plus en plus de la question de l’accès aux immunisations.

On ne sait pas si, en cas de succès, un vaccin ARNm contre le VIH sera mis à la disposition de ceux qui en ont le plus besoin.

« Même si nous obtenons effectivement un vaccin contre le VIH, il faudra faire mieux qu’avec la COVID-19 en termes d’accès et d’égalité » lance Mitchell Warren, directeur exécutif de AVAC, une organisation mondiale qui fait campagne pour la prévention du VIH.

Dans un entretien avec SciDev.Net, il a affirmé que la conduite d’essais cliniques en Afrique est une première étape positive, mais a ajouté qu’une véritable collaboration doit s’ensuivre.

« L’Afrique n’est pas seulement un site d’essais cliniques, c’est un continent de [plus de ] 50 pays avec des chercheurs de premier plan, une capacité de fabrication de vaccins, et une expertise réglementaire croissante , a-t-il dit.

Selon Mitchell Warren, « si les partenaires africains accueillent des essais cliniques, ils devraient aussi exiger que le produit final soit immédiatement homologué et accessible. Nous ne voulons pas que les recherches soient effectuées ici pour qu’une licence soit obtenue ailleurs. »

Brevets

Dagna Laufer précise que les essais IAVI G002 ne sont « pas pour le moment sur une voie menant au développement d’un produit ». Cependant, la COVID-19 a souligné l’importance de la question de savoir qui est autorisé à produire le vaccin en cas de succès. Moderna n’a pas partagé la formule de son vaccin contre la COVID-19 mais la société s’est engagée à ne pas agir pour faire respecter ses brevets dans le cas de sociétés fabriquant des vaccins contre la COVID-19 pour 92 pays à revenus faibles et intermédiaires.

D’autres développeurs de vaccins tels que Pfizer ou encore AstraZeneca ont aussi évité de partager les informations brevetées concernant le mode de production de leurs vaccins. Face à cette situation, l’OMS et un consortium sud-africain ont créé un centre de transfert de technologie ARNm pour mettre au point leurs propres vaccins.

Pour Monica Gandhi, directrice du Centre pour la recherche sur le sida de l’université de Californie à San Francisco (Etats-Unis), « à ce jour, Moderna ne s’est pas montré particulièrement généreux lorsqu’il s’est agi de partager le brevet ou rendre leur vaccin à ARNm contre la COVID-19 disponible dans les pays en voie de développement. »

Elle ajoute que « il faut donc qu’une pression des gouvernements et des communautés s’exerce sur la société afin qu’elle partage sa technologie avec le reste du monde, vu que l’incidence du VIH est la plus élevée dans les pays en développement. »Moderna n’a pas répondu à SciDev.Net lorsque nous leur avons demandé leur point de vue. L’entreprise a toutefois révélé en mars son intention d’ouvrir un centre de production de vaccins à ARNm au Kenya qui fabriquera entre autres le vaccin contre la COVID-19.

L’entreprise investira initialement US$ 500 millions dans cet établissement mais n’a pas indiqué si une partie de cette somme sera consacrée au travail réalisé sur un vaccin contre le VIH.

Mitchell Warren estime que l’annonce de Moderna est une bonne nouvelle car, dit-il, cela augmentera la capacité de production dans les pays du Sud et diversifiera la fabrication de vaccins.

Le fait qu’un produit sera manufacturé dans la région pourrait aussi contribuer à atténuer la réticence vaccinale en Afrique où on signale une certaine hésitation à se faire vacciner contre la COVID-19 en raison d’une méfiance vis-à-vis des entreprises multinationales.

Pour Mitchell Warren, « tout contrôle centralisé des plateformes ARNm par des sociétés accroît en fait l’inégalité ». Il ajoute que « il nous faut une manufacture décentralisée. Quand on a affaire à une pandémie globale, on ne peut pas être dépendant d’un seul fabricant. »

La version originale de cet article a été rédigée par l’édition mondiale de SciDev.Net dans le cadre de notre sur «Vaccins à ARN messager : La nouvelle frontière ».