01/03/17

Q&R : Science et cinéma en Afrique

Gaston Kaboré
Crédit image: Dominique Théron (BNF)

Lecture rapide

  • La présence de la science est faible dans le cinéma africain
  • Cette situation est due, entre autres, à la faiblesse de la recherche
  • Les chercheurs africains doivent s’impliquer davantage dans la production audiovisuelle

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Tout comme la littérature, le cinéma est, dans une certaine mesure, le reflet des réalités sociales. Les films d’action, si populaires aux Etats-Unis, sont le reflet de l’expression de la puissance militaire de l’Amérique ; et les productions de l’industrie cinématographique nigériane, à travers les thématiques qu’elles abordent, renvoient une certaine image de l’Afrique.
 
Il n’est donc pas exagéré, à cet égard, d’interroger la production cinématographique africaine, pour avoir une idée de l’ancrage de la culture scientifique dans les mœurs africaines.
 
Selon le cinéaste émérite burkinabé Gaston Kaboré, qui a remporté l’Etalon de Yénenga en 1997 et dirige l’Institut Imagine (1) à Ouagadougou, contrairement à leurs homologues des pays industrialisés, les cinéastes africains abordent peu la science dans leurs productions. Cette situation est liée, selon le réalisateur, à des facteurs qui tiennent aussi bien à la faiblesse de la recherche scientifique en Afrique qu’à l’absence de financements. SciDev.Net s’est entretenu avec lui, en marge du lancement, ce week-end, de la 25e édition du Festival Panafricain du Cinéma de Ougadougou (Fespaco).

Gaston Kaboré, dans les différentes thématiques abordées dans le cinéma africain, quelle place les réalisateurs donnent-ils à la science ?

Vu l’état de développement du cinéma africain, en général, il y a très peu de films à caractère scientifique, surtout dans la sphère francophone. Cependant, dans des pays avec un niveau de développement plus avancé, tels que l’Afrique du Sud, il doit en exister quelques-uns, de même qu’au Maroc. Mais de manière générale, la science n’est pas très présente comme thématique dominante de la production cinématographique africaine.
 

“Ce qui est sûr, c’est qu’il n’y a pas, chez les producteurs, une attitude réfractaire vis-à-vis de la science.”

Gaston Kaboré
Cinéaste burkinabé

Cela n’exclut pas que des références soient faites dans quelques films à certains métiers scientifiques ou à une expertise technique spécifique, avec des séquences qui nous conduisent au cœur d’une problématique scientifique. Il y a quelques films sur les énergies renouvelables ou le solaire ; il y a aussi et surtout en Afrique sub-saharienne, des problématiques relatives à la santé. Mais quand on parle de films scientifiques au sens où cela s’entend sur des chaînes spécialisées telles que National Geographic ou Doiscovery, il n’y en a sans doute pas beaucoup.
 
Tenez, en revanche, en 2017, il y a un film burkinabé en compétition, qui évoque l’environnement : "La forêt du Niolo", avec une trame qui évoque l’empoisonnement des eaux d’un lac, sur ordre d’un ministre, qui imputera cet empoisonnement à la présence d’un gaz dans le sous-sol, dans le but de convaincre le chef de village de faire évacuer la population, afin qu'il y fasse installer des infrastructures d'exploitation de gaz de schiste contenu dans le sous-sol. Certes, il ne s’agit pas d’un film scientifique en tant que tel, mais il n’en traite pas moins un sujet qui, bien que relevant de la fiction, est très plausible.
 

Pourquoi cette absence d'oeuvres à caractère scientifique dans la filmographie africaine ?

 
Ce n’est pas que les gens n’ont pas intérêt, mais il y a une forte probabilité que les centres de recherche ne soient pas nombreux.
J’ai moi-même réalisé un film documentaire, avec une grande séquence sur la recherche agronomique, notamment liée au coton, où j’ai laissé un chercheur expliquer de manière détaillée le processus de sélection de variétés de coton résistantes aux prédateurs naturels et qui présentent des qualités susceptibles d’être valorisées sur le marché international. Il s’agissait donc d’un film documentaire. Il y a eu d’autres films sur le travail des entomologistes, dans le cadre de la lutte contre la maladie du sommeil et la mouche tsé-tsé, mais il faut avouer qu’il n’y en a pas beaucoup.
 

En ce qui concerne votre propre film documentaire sur le coton, quel accueil lui a été réservé ?

 
J’ai réalisé un film pour parler du coton, sans parti pris. Il faut savoir que le sujet est assez polémique pour une kyrielle de raisons liées à l’utilisation de pesticides qui peuvent contaminer les nappes phréatiques. C’est la première activité industrielle dans un pays comme le Burkina Faso, qui assure des revenus confortables à un certain nombre de paysans avec un statut de producteurs de coton. Bref, j’ai voulu montrer l’impact économique de la culture du coton, les techniques culturales adoptées, tout en mettant en relief tous les problèmes connexes posés à long terme. Cela m’a pris une année et demie de montage, parce que j’avais quand même 128 heures de tournage dont je devais extraire quatre épisodes.
J’ai été amené à l’occasion du tournage, à parler à des scientifiques pour comprendre certains phénomènes.

Et qu’en est-il, finalement, de la réaction du public ?

 
Oh, ce film n’a pas connu une grande diffusion. Il a été diffusé à la télévision nationale et je l’avais réalisé avec la Société Nationale des Fibres textiles du Burkina. Certes, il n’a pas été commandé, je l’ai initié moi-même, mais il aura fallu le soutien financier, logistique et technique de cette société, qui n’a cependant pas interféré dans sa réalisation. Ceci est juste pour souligner aussi l’importance du parrainage dans la réalisation de ce type de documentaires à caractère scientifique.
 

On comprend à travers vos développements qu’il y a une véritable absence de la culture scientifique dans la production cinématographique africaine. D’après vous, à quoi est-ce dû ?

 
Cela n’a rien à voir avec une attitude culturelle. Cet état de fait est lié à mon avis à une absence de financements et à l’absence d’une culture de la recherche en Afrique. Il s’ensuit probablement qu’il y a peu à dire sur le sujet. Pour que ce genre de films existent en nombre significatif, il faut déjà que la recherche elle-même soit financée et que de l’argent soit mis à disposition pour réaliser des films sur la recherche. Quant aux chercheurs qui feraient des films pour illustrer leurs travaux, là aussi, il y a des limitations, en ce sens que les laboratoires sont rarement équipés de moyens audiovisuels. Mais je crois que cette situation va changer progressivement, parce que le télé-enseignement commence à prendre corps. Il y a ici une école d’ingénieurs, qui forme des hydrauliciens, des spécialistes de la construction de barrages et tout ce monde commence à s’intéresser aux moyens modernes de transmettre le savoir. Ils se sont rendu compte que l’audiovisuel est un moyen de choix. Ils sont donc venus nous voir à l’école des métiers des arts du cinéma, pour s’enquérir de la possibilité pour eux d’acquérir la formation idoine en vue de produire du matériel didactique à partir de l’audiovisuel. Evidemment, nous avons déjà formé au niveau de l’Institut Imagine, des dizaines de cinéastes, de monteurs, cadreurs et de preneurs de son, entre autres. J’ai donc organisé une réunion où ils ont rencontré de jeunes professionnels et exprimé leur intérêt pour une implication accrue des gens du cinéma et de l’audiovisuel dans la production d’outils didactiques sur la construction d’un barrage, par exemple, ou d’un pont. Donc les choses sont en train de bouger, mais elles bougent à la mesure des moyens disponibles – je parle ici à la fois des moyens technologiques, financiers et humains.
 

Le tableau que vous venez de peindre et qui concerne pour l’essentiel l’Afrique francophone vaut-il également pour l’Afrique anglophone ?

 
Pour ce que j’en sais, il y a probablement plus de films scientifiques en Afrique du Sud et au Kenya, des pays qui ont une culture de la recherche bien établie et des structures de financement qui marchent. Mais le documentaire étant un genre plus développé en général dans les pays anglophones, peut-être bien qu’il y a effectivement des pays où il y a plus d’intérêt et de moyens pour réaliser des films. Mais ce n’est pas une fatalité pour l’Afrique francophone. Ce qui est sûr, c’est qu’il n’y a pas, chez les producteurs, une attitude réfractaire vis-à-vis de la science. Loin de là. Tout revient aux conditions des systèmes éducatifs et à l’état de la recherche.