16/03/23

Q&A : Rémi Quirion souligne les défis actuels du journalisme scientifique

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Rémi Quirion, scientifique en chef du Québec et président de l’INGSA. Crédit image: SDN/L.Wouassi

Lecture rapide

  • Le rôle du journaliste scientifique dans un monde en crises est celui d’un médiateur ou traducteur fiable
  • Chaque chercheur doit avoir un lien avec un journaliste scientifique pour pouvoir expliquer ses travaux
  • Nous voulons rendre le conseil scientifique incontournable lors de la prise de décisions dans les Etats

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Cet article a été produit avec le soutien de la Conférence mondiale des journalistes scientifiques.

[MONTREAL] Président de l’International Network for Government Science Advice[1] (INGSA) depuis 2021, Rémi Quirion, prendra part à Medellin en Colombie, à la conférence mondiale des journalistes scientifiques, du 27 au 31 mars prochain.

Dans cet entretien avec SciDev.Net, celui qui est aussi le scientifique en chef du Québec (Canada) donne un aperçu de de sa présentation à la conférence de Medellin, non sans repréciser l’intérêt du journalisme scientifique et du conseil scientifique dans un monde en crise et en mutation technologique.

Vous allez prendre part à la conférence mondiale des journalistes scientifiques du 27 au 31 mars prochain à Medellin en Colombie. Pouvons-nous avoir la primeur de votre intervention à cette rencontre ?

Je travaille encore sur mon intervention. J’ai pris la présidence de l’INGSA alors qu’on était en période de pandémie. Mais en plus de la pandémie, nous avons actuellement la guerre en Ukraine. Il y a un autre phénomène qui est plus récent, on parle de l’espionnage scientifique. Ce sont ces 3 volets que je vais aborder.

On avait l’impression depuis les années 80, qu’il y avait de moins en moins les frontières, car au cours des 45 dernières années, on ouvrait de plus en plus les portes, et là on recommence à les rebâtir. Et tout cela n’est pas bon pour la science.

“On commence à être mieux avec la pandémie et une guerre arrive, puis l’espionnage avec la Chine. C’est une crise après l’autre et on a besoin que les chercheurs soient présents sur la place publique, et les intermédiaires essentiels sont les journalistes scientifiques”

Rémi Quirion

Oui, il y a de l’espionnage scientifique, mais l’objectif n’est pas de voir des ennemis partout. La science doit être ouverte, elle doit collaborer à travers le monde, le Sud, le Nord. Cela démontre encore plus le rôle du journaliste scientifique. Il a un rôle encore plus important en état de crise, et nous sommes dans un état de crise importante à répétition.

On commence à être mieux avec la pandémie et une guerre arrive, puis l’espionnage avec la Chine. C’est une crise après l’autre et on a besoin que les chercheurs soient présents sur la place publique, et les intermédiaires essentiels sont les journalistes scientifiques.

Quel peut être la place du journaliste scientifique dans un tel écosystème ?

Je pense que le rôle du journaliste scientifique a toujours été celui de médiation ou de traducteur. Mais cela devient encore plus important et devient un rôle de médiateur fiable. Parce qu’avec les moyens plus modernes aujourd’hui comme les réseaux sociaux, on peut avoir toutes sortes d’informations qui sont mises en scène. Pourtant, ce sont souvent de fausses nouvelles.

Le rôle du journaliste scientifique, c’est d’expliquer à nos concitoyens, en des termes très simples, les informations qui sont produites par les équipes de chercheurs. Et cela fait également plusieurs années que c’est sous pression, car le journalisme scientifique n’est pas facile comme travail et parfois, les nouvelles de sciences ne sont pas toujours existantes. Ce qui rend, les emplois de journalistes scientifiques difficiles. Il y en a de moins en moins, en même temps que leur rôle est de plus en plus critique.

Il faut donc trouver une façon de rééquilibrer tout cela. Je n’ai pas de réponses magiques, mais lors de ma présentation, on va essayer d’apporter certaines solutions. Nous essayons avec les petits moyens que nous avons. Que ce soit avec le fonds de recherche du Québec ou avec INGSA, l’un des éléments c’est d’essayer d’aider les journalistes scientifiques à participer à des rencontres.

On veut dans le futur, parrainer de jeunes journalistes scientifiques, qu’ils puissent être présents dans les grandes conférences internationales, car cela permet de créer des liens et on espère qu’à terme, des emplois additionnels.

Comment journalistes scientifiques et scientifiques peuvent conjuguer leurs efforts pour l’atteinte de leurs objectifs respectifs ?

La pandémie a forcé plusieurs d’entre nous chercheurs à mieux s’expliquer sur la scène publique, à faire connaitre ce qu’on fait. Certains chercheurs sont bons à prendre la parole sur la place publique, à s’exprimer en des termes simples, mais je dirais que la majorité est moins bonne.

Donc, pour chaque scientifique dans son domaine, il s’agit d’avoir un lien avec un journaliste scientifique qui ait une carrière, une discipline, une expertise. C’est de travailler de concert avec ce dernier ; cela permet de mieux expliquer au public nos idées et les résultats que nous avons trouvés.

Quel est le rôle du conseil scientifique ?

Le conseil scientifique a pour rôle d’informer les élus, les gouvernements sur les données probantes, sur la science et la recherche, en espérant qu’elles les aident à prendre de meilleures décisions par rapport à la gouvernance.

Comment le conseil scientifique contribue-t-il à la prise des décisions dans les pays francophones ?

Dans les pays francophones, cela reste encore inhabituel. Bien sûr, nous avons des académies de science qui conseillent les gouvernements, mais ce n’est pas véritablement du conseil scientifique, c’est plus des rapports assez étoffés.

Lorsque l’on parle de conseil scientifique, c’est souvent à plus court terme, et pour répondre à des questions plus aigües d’actualité. Le meilleur exemple c’est la pandémie de la COVID-19.

Pendant cette période, on devait faire des recommandations aux gouvernements, à l’exemple du port ou non du masque, du recours au vaccin… C’est cela le conseil scientifique dans l’urgence.

C’est mieux organisé dans les pays anglo-saxons. Le conseil scientifique est un modèle britannique dans les pays du Commonwealth comme le Canada et l’Australie. Il en existe également aux Etats-Unis, mais beaucoup moins dans le monde francophone.

Par exemple, si on parle de francophonie, je serai le seul dans le monde à avoir un titre de scientifique en chef, dans un milieu très francophone. On s’est rendu compte avec la pandémie que cela manquait, et c’est difficile de bâtir ce genre de structure en état d’urgence.

Il faut vraiment avoir une structure en temps normal, et lorsqu’il arrive des crises, qu’on ait une base et qu’on soit capable de réagir plus rapidement.

C’est pour cela qu’on a décidé de créer le réseau international francophone du conseil scientifique pour augmenter les capacités dans le monde francophone et les collaborations entre pays.

Quel est le profil des personnes que l’on trouve au sein du conseil scientifique ?

Historiquement, on va dire des scientifiques dans les sciences les plus dures comme les mathématiques, la médecine, la santé, et aujourd’hui on parle d’intelligence artificielle. C’est en effet, le profil le plus habituel, mais on se rend compte qu’on doit avoir également des experts qui sont plus du côté des sciences sociales ou sciences humaines.

Plusieurs défis de nos sociétés ont, certes, des aspects technologiques, de génie ou de mathématiques, mais beaucoup ont des aspects de sciences sociales. On peut avoir l’exemple du changement climatique.

Je pense que la majorité des gens croient au changement climatique, au réchauffement de la planète, mais on n’agit pas assez rapidement, car on n’a pas le même sentiment d’urgence qu’on peut avoir senti pendant la pandémie.

D’avoir des expertises en science sociale est de plus en plus important, si on veut avoir un conseil scientifique plus global. Et si on ne veut pas seulement cibler les disciplines les plus pointues.

Comment se passe le déploiement des activités du conseil scientifique en Afrique subsaharienne ?

Le rôle premier de l’INGSA c’est d’augmenter les capacités en conseil scientifique un peu partout dans le monde. Pour toutes sortes de raisons, on a commencé par l’Afrique, l’Amérique Latine et l’Asie du Sud-Est. Le chapitre africain de INGSA c’est le premier et se porte assez bien.

L’un des défis que l’on a, c’est de bâtir une cohorte de jeunes, qui vont avoir des formations en conseil scientifique. Mais, en raison des difficultés à avoir un travail à plus long terme, on les perd, car ils vont aller faire autre chose. Nous sommes obligés de recommencer après quelques années.

Aujourd’hui, on essaye de faire différemment, de garder le volet Afrique, et d’y avoir un site de formation en conseil scientifique. Nous sommes en train de bâtir tout cela avec l’université de Kigali au Rwanda. Quatre professeurs de l’université du Rwanda ont été détachés de l’université pour démarrer la formation en conseil scientifique pour les différents jeunes sur le continent.

Il s’agit de prendre une formation là-bas, de « réseauter » avec les autres à travers le monde. On essaye d’avoir une structure un peu pérenne. Le président du Rwanda Paul Kagamé est très intéressé, quelques pays limitrophes également, et aussi l’organisation Future Africa avec qui on travaille, pour essayer de bâtir quelques choses de plus durable.

Quels sont vos défis futurs ?

Le défi le plus important, c’est la durabilité et la pérennité de nos actions, ainsi qu’un financement pérenne. Le deuxième point très important, c’est qu’on devienne indispensables au niveau des gouvernements, que cela soit au niveau des politiques publiques ou au niveau des élus dans différents pays. Qu’ils sachent qu’ils devraient interagir avec un membre d’INGSA, peut-être ça va aider à prendre de meilleures décisions.

Nous souhaitons être reconnus comme incontournables, en termes de prise de décision gouvernementale, à travers le monde et francophone en particulier. En troisième point, je dirais de ne pas évoluer en silo. On a différents chapitres à travers le monde et il faudrait apprendre l’un de l’autre. Les différents experts des régions du monde peuvent échanger et apprendre les uns des autres. Un scientifique à Kigali peut apprendre d’un autre qui est à Oxford, et inversement. Donc, il s’agit d’un échange de culture, de façons de faire et tout le monde sera assez occupé. Car, on a tendance à rester dans notre petit monde, sans interagir à l’échelle planétaire.

La Conférence mondiale des journalistes scientifiques se déroule à Medellin en Colombie du 27 au 31 mars 2023.

Références

[1] Réseau international pour le conseil scientifique aux gouvernements