18/03/24

Les médias africains face au dilemme de l’intelligence artificielle

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Malgré les opportunités qu'elle offre, l'intelligence artificielle suscite encore de la mefiance dans les médias d'Afrique. Crédit image: Solomon203 (CC BY-SA 4.0)

Lecture rapide

  • On estime que 90% des contenus sur internet seront générés par l’intelligence artificielle (IA) d’ici 2026
  • Avec ses présentateurs virtuels de programmes à la télé, l’IA peut optimiser les tâches de la rédaction
  • L’Afrique doit encadrer l’utilisation de l’IA et l’introduire en amont dans la formation des journalistes

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[YAOUNDE] Du sommet sur l’intelligence artificielle (IA) qui s’est tenu du 4 au 6 mars 2024 à Yaoundé (Cameroun), il ressort qu’il ne s’agit plus de savoir s’il faut utiliser l’IA dans les médias en Afrique, mais plutôt de créer un cadre éthique et juridique pour encadrer son utilisation.

Cette prescription fait partie des recommandations adoptées à la suite des échanges au cours desquels les experts ont soutenu que les médias africains devraient adopter l’IA comme c’est déjà le cas dans certains médias occidentaux.

Pour Victoria Budanova, chef du département Afrique du média russe, Sputnik, l’IA comporte de nombreux avantages. A commencer par le gain de temps dans la réalisation d’un grand volume de travail.

“Dans nos studios aujourd’hui, les cadreurs n’existent plus. A leur place, nous avons des caméras robots. Mais la présence humaine est encore très forte pour la production, le montage, etc. Pourtant, ce sont des secteurs qui sont pris en main de nos jours par l’intelligence artificielle”

Fausséni Dembélé, radiotélévision ivoirienne

« Dans notre cas par exemple, nous avons créé douze présentateurs virtuels qui présentent nos informations en plusieurs langues y compris en swahili. Après la collecte de l’information, nous donnons juste le script au présentateur virtuel et en une minute tout est prêt, y compris le maquillage, l’habillement et la voix », confie Victoria Budanova à SciDev.Net

En plus de cette rapidité qu’offre l’IA comme avantage dans le traitement de l’information dans les médias, William Heutchou, ingénieur en génie des télécommunications et réseaux, soutient que « elle est moins coûteuse et permet de traiter des données volumineuses et complexes ».

A en croire Éric Voli Bi, représentant de l’UNESCO au Gabon et auprès de la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (CEEAC), « 90% des contenus sur internet d’ici 2026 seront générés par l’intelligence artificielle ». D’où l’urgence pour les médias africains de s’arrimer à cette nouvelle technologie.

Pour souligner cette nécessité, les termes de référence du sommet font remarquer que même en l’absence d’adoption de l’IA, les médias africains sont déjà confrontés aux menaces posées par l’utilisation inappropriée de l’IA, notamment pour la production et la distribution de deepfakes (vidéos truquées) à des fins de manipulation.

Sur le Continent, quelques médias commencent à comprendre l’importance de l’IA et envisagent de plus en plus son utilisation. C’est le cas de la radiotélévision ivoirienne (RTI).

« On va dire que nous sommes encore au stade embryonnaire. Si vous allez dans nos studios aujourd’hui, vous verrez que les cadreurs n’existent plus. A leur place, nous avons des caméras robots. Mais la présence humaine est encore très forte dans nos médias pour la production, le montage, etc. Pourtant, ce sont des secteurs qui sont pris en main de nos jours par l’intelligence artificielle », affirme Fausséni Dembélé, directeur général de la RTI.

Données

Toutefois la plupart des médias africains demeurent méfiants quant à l’utilisation de l’IA. Sur Africa 24 par exemple, il est encore strictement interdit aux journalistes d’utiliser l’IA pour produire du contenu.

« Nous produisons tous les jours 90 vidéos pour nos différents supports sans IA. Il est interdit à nos journalistes de l’utiliser, sauf pour vérifier certains faits », avoue Constant Némalé, le PDG de cette télévision panafricaine basée dans la capitale française.

« J’ai deux chaines de télévision qui couvrent toute l’Afrique, fonctionnent 24h sur 24 et émettent en anglais, français, wolof et je n’emploie pas plus de 50 journalistes. Je n’utilise pas encore l’IA et je ne pense pas être en retard. Je pense qu’il faut encadrer, anticiper, former et surtout clarifier la question des données », déclare Mactar Silla, président-directeur général de Label Média +, un groupe de presse basé au Sénégal.

A en croire Laurence Ndong, ministre de la Communication et des médias du Gabon, cette question des données est essentielle, car « les médias peuvent construire la paix, comme ils peuvent la détruire ». D’où la nécessité pour les Africains, dit-elle, de « produire et contrôler leurs propres données ».

Il y a aussi ceux qui redoutent la montée du chômage dans les rangs des professionnels des médias avec l’utilisation de l’IA. Mais l’agence de presse russe Sputnik assure avoir gardé tous ses journalistes malgré l’introduction de l’IA dans sa rédaction.

« Nous n’avons pas diminué le nombre de nos journalistes. Nous les avons tous formés à l’utilisation de l’IA à travers des applications dédiées et cela nous permet de produire plus de contenus », confie Victoria Budanova.

Parmi les autres résolutions de ce sommet qui était organisé par l’Union africaine de radiodiffusion (UAR), il est question que les médias du continent s’organisent pour avoir une stratégie africaine concernant cette nouveauté informatique.

En amont, il est également recommandé l’introduction de l’utilisation de l’IA comme module de formation dans les écoles de journalisme.