14/12/23

La frustration des experts francophones à la CPHIA 2023

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Le Mulungushi Conference Center de Lusaka (Zambie) a abrité la CPHIA 2023. Crédit image: SDN / F. Mbonihankuye

Lecture rapide

  • La participation des scientifiques francophones a été limitée par l’usage exclusif de la langue anglaise
  • Cette situation a constitué un important obstacle à la qualité et à la portée des échanges
  • Les organisateurs devraient considérer la diversité linguistique du continent lors des prochains forums

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[LUSAKA] Participant à la 3e Conférence sur la santé publique en Afrique (CPHIA) du 27 au 30 novembre 2023 à Lusaka, en Zambie, j’ai constaté qu’un déséquilibre linguistique a entaché cette rencontre, jetant une ombre sur l’inclusion au sein de ce forum international.

Lorsque Wilfried Mutombo Kalonji, un chercheur congolais de la République démocratique du Congo (RDC), et Yves Jacket Nsavyimana, un médecin Burundais, sont arrivés au Mulungushi Conference Center de Lusaka où se tenait la conférence, ils étaient excités de participer à une rencontre aussi prestigieuse.

Cependant, les deux participants francophones ont vu leurs attentes chuter à mesure que la conférence progressait et l’ambiance joyeuse des cérémonies d’ouverture a rapidement cédé la place à une réalité déconcertante : toutes les présentations étaient en anglais.

“Il est temps de reconnaître que toutes les langues ont une valeur égale dans la recherche et la santé publique”

Yves Jacket Nsavyimana, médecin, Burundi

Pour ces derniers, les sessions techniques, les discussions animées et les opportunités de réseautage ont été ternies par le sentiment persistant d’être en marge en raison de la barrière linguistique.

Wilfried Mutombo Kalonji, chercheur dans le domaine des maladies tropicales négligées, a partagé son expérience avec un mélange de frustration et de déception.

« Je m’attendais à une célébration de la diversité de la santé publique en Afrique, mais la barrière linguistique a rapidement éclipsé mon enthousiasme. Je me suis senti exclu dès le départ », a-t-il déclaré, soulignant la nécessité d’une représentation équitable des langues.

Des panélistes à la CPHIA 2023. Crédit photo: SDN/F. Mbonihankuye

Yves Jacket Nsavyimana qui a présenté ses travaux sur la lutte contre le paludisme a également exprimé son désarroi face à la situation.

« Comment pouvons-nous collaborer efficacement si la communication est entravée par une langue qui n’est pas la nôtre? Nous sommes tous ici pour partager et apprendre, mais cela devient difficile lorsque la compréhension est compromise », a-t-il regretté.

Wilfried Mutombo Kalonji a souligné son dépit face au manque de services de traduction. « La diversité linguistique est notre force, mais elle est sous-exploitée ici. Nous devons nous assurer que tous les participants, qu’ils parlent français, anglais ou une autre langue, puissent pleinement contribuer », a-t-il insisté.

Sa frustration était d’autant plus profonde que le modérateur lui ont même refusé le droit de répondre en français à une question qui lui avait été posée dans cette langue.

Inclusion et de diversité linguistiques

Certes, l’anglais s’est imposé au fil des ans comme langue prédominante dans les conférences scientifiques internationales, y compris la CPHIA 2023 ; offrant une plateforme commune où les chercheurs de divers horizons linguistiques peuvent partager leurs découvertes et interagir au-delà des frontières nationales.

Mais, je pense qu’il est essentiel de reconnaître les défis que cette situation pose en termes d’inclusion et de diversité linguistiques. En effet, la prédominance de l’anglais marginalise par ricochet les chercheurs qui parlent une autre langue et ne maîtrisent pas l’anglais.

Créant ainsi des obstacles à une participation équitable et à une représentation globale des connaissances scientifiques. Surtout dans un contexte comme celui de l’Afrique où plusieurs langues internationalement sont parlées sur le continent.

« Je comprends l’importance de l’anglais comme langue internationale et de la recherche scientifique, mais cela ne doit pas se faire au détriment de la diversité linguistique. Il est temps de reconnaître que toutes les langues ont une valeur égale dans la recherche et la santé publique », analyse Yves Jacket Nsavyimana.

Ce dernier ajoute que les barrières linguistiques, en particulier lorsque l’anglais est privilégié de manière exclusive, représentent des obstacles majeurs à une participation équitable.

A la conférence de Lusaka, cela a créé un fossé entre les experts francophones et le reste de la communauté, entravant ainsi la diffusion des connaissances et la compréhension mutuelle. Les organisateurs d’événements scientifiques doivent reconnaître que chaque langue est une voix précieuse dans le concert mondial des idées.

Ces témoignages poignants soulignent l’impact réel du déséquilibre linguistique sur l’expérience des participants francophones à la CPHIA 2023. Ils appellent dès lors à une réflexion sérieuse sur l’inclusion linguistique et mettent en lumière la nécessité d’adopter des pratiques qui reflètent la diversité linguistique du continent et garantissent une participation équitable pour tous lors des prochains forums.

Chaque langue apporte avec elle un ensemble unique d’idées, de cultures et de façons de comprendre le monde. Il est essentiel de rappeler que le français est l’une des langues officielles de nombreuses organisations internationales et l’une des langues les plus parlées en Afrique.

Par conséquent, l’exclure d’une conférence comme la CPHIA 2023, c’est priver la communauté de sa contributions, limitant de facto la qualité et la portée des échanges d’idées.