14/09/17

Fièvre typhoïde : Une souche multi-résistante en RDC

Centre de sante RDC
Crédit image: Institut de Médecine tropicale d'Anvers

Lecture rapide

  • La nouvelle souche a été découverte dans un village du sud-ouest de la RDC
  • Selon les chercheurs, l'ampleur de la résistance exclut toute option de traitement
  • Ils renouvellent un appel pour une utilisation responsable des antibiotiques

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Une enquête sur une épidémie de fièvre typhoïde en République démocratique du Congo (RDC) a permis l'identification d'une souche multi-résistante de Salmonella Typhi, la bactérie responsable de la typhoïde.
 
Cette découverte suscite de l'inquiétude dans les milieux de la recherche.
 
Les résultats de l'étude ont été publiés dans la revue Clinical Infectious Diseases (7 août) (1). Selon les estimations les plus récentes datant de 2014, environ 21 millions de cas et 222.000 décès liés à la typhoïde sont enregistrés chaque année dans le monde (2).

“La combinaison de la résistance à ces différents antibiotiques exclut pratiquement les options pour un traitement approprié de la fièvre typhoïde en Afrique centrale et est très préoccupante.”

  Jan Jacobs
Institut de médecine tropicale d'Anvers

En octobre 2015, une équipe de chercheurs de l'Institut National de Recherche Biomédicale (INRB) de Kinshasa, s'est rendue dans la zone sanitaire de Panzi, dans la province de Kwango, dans le sud-ouest de la RDC, pour une enquête sur une possible épidémie de typhoïde.
 
Les investigations, menées par Marie-France Phoba et Octavie Lunguya, chercheuses à l'INRB, ont permis d'identifier une souche résistante de Salmonella Typhi dans le sang d'un jeune garçon de six ans.
 
Les résultats de cette enquête préliminaire ont ensuite été envoyés à l'Institut de médecine tropicale d'Anvers (IMT), en Belgique.
 
Les tests de sensibilité aux antibiotiques de la souche présentaient une résistance inhabituelle à plusieurs antibiotiques clés.
 
À la surprise des chercheurs, la souche a également produit des bêta-lactamases à spectre étendu (BLSE), une famille d'enzymes produites par certains microbes ou bactéries (y compris la ceftriaxone), que l'Organisation mondiale de la santé (OMS) identifie comme l'une des trois menaces les plus critiques en matière de résistance aux antibiotiques.
 
"La combinaison de la résistance à ces différents antibiotiques exclut pratiquement les options pour un traitement approprié de la fièvre typhoïde en Afrique centrale et est très préoccupante", a déclaré le professeur Jan Jacobs, chef du laboratoire de médecine tropicale de l'IMT d'Anvers.
 

Une première

 

IMT Researchers 2
Jan Jaobs, Octavie Lugunya et Sandra Van Puyvelde

"C'est la première fois que nous observons la production de BLSE dans les souches de Salmonella Typhi en Afrique centrale. Si cette souche se répand, elle pourrait avoir un impact mortel", a-t-il averti.
 
Pour comprendre le fond génétique de cette souche de Salmonella Typhi ultra-résistante, l'unité de bactériologie diagnostique de l'IMT a séquencé le génome de la souche et identifié les gènes responsables de la résistance observée.
 
L'analyse du génome a également révélé que le gène BSLE est porté par un élément génétique mobile, qui pourrait être acquis à partir d'autres espèces bactériennes.
 
"En comparant le génome de la souche avec 1.800 autres génomes de Salmonella Typhi du monde entier, nous avons montré que les plus proches parents de cette souche proviennent également de la RDC, ce qui suggère que la souche n'a pas été importée d'ailleurs", explique Sandra Van Puyvelde, qui a coordonné l'analyse du génome à l'Unité de bactériologie diagnostique.
 
La chercheuse explique que la souche est "probablement résistante par transfert de matériel génétique d'une autre bactérie, comme Klebsiella" et cette possibilité renforce les inquiétudes des chercheurs : un tel transfert peut se produire n'importe où et à tout moment, en particulier dans des environnements à forte résistance aux antibiotiques.
 
Pour sa part, Marie-France Phoba, chercheuse à l'INRB de Kinshasa, a déclaré dans une interview à SciDev.Net qu'il n'y avait pas de "garanties que cette souche soit limitée au village de Tambu-Tseke, dans la zone de santé de Panzi."
 
"Les gènes de BLSE sont rarement observés chez Salmonella Typhi, mais sont fréquents dans d'autres Enterobacteriaceae comme Klebsiella pneumoniae et Escherichia coli", poursuit la chercheuse.
 
Un point de vue corroboré par Jan Jacobs, qui estime que "les facteurs d'une possible réapparition de la résistance sont en place." 

Il s'ensuit, estime-t-il, qu'une "surveillance active par le biais de laboratoires de microbiologie diagnostique est impérative. Salmonella Typhi est en outre une maladie liée à la pauvreté et la fourniture d'eau potable, ainsi qu'une gestion adéquate des déchets devraient réduire l'incidence de la maladie ("la fièvre typhoïde")."
 
De manière générale et au-delà de la découverte de cette souche multi-résistante, les experts insistent sur la nécessité de combattre la résistance aux antibiotiques dans l'ensemble des systèmes de santé, notamment dans les pays à faible revenu.
 
Pour Jan Jacobs, les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire sont – bien plus que les pays développés – affectés par la résistance aux antimicrobiens.
 
Pour le chercheur, "les causes profondes de la résistance aux antimicrobiens sont diverses et constituent un exemple typique du paradigme One Health" (3).
 
Dans les soins de santé, la sur-prescription et la surconsommation d'antibiotiques favorisent l'apparition de la résistance antimicrobienne.
 
Comme les laboratoires de microbiologie sont rares, les médecins ont tendance à prescrire trop d'antibiotiques (pour "couvrir" toute infection possible).
 
Fait plus grave encore, les patients – par manque d'information – réclament des antibiotiques et cherchent même à se les procurer sans ordonnance dans les pharmacies ou même les marchés publics.
 
"Dans les hôpitaux, il y a un manque de contrôle et une absence de prévention des infections qui, avec le surpeuplement, favorisent la propagation de bactéries résistantes", poursuit Jan Jacobs.
 
En dehors des hôpitaux, l'utilisation non réglementée d'antibiotiques a également cours dans l'agriculture, la pisciculture et la santé animale, soutient-il.
 
Enfin, explique le chercheur, "le monde des bactéries – tel qu'indiqué dans l'étude – est hautement interactif ; les bactéries ne font pas qu'échanger des marqueurs de résistance entre elles. Certaines effectuent des "sauts" en passant des animaux aux êtres humains et à l'environnement."
 
L'IMT dispose d'un groupe de travail interdisciplinaire (Infections bactériennes dans les tropiques) composé d'experts qui abordent les "3P" dans la résistance aux antimicrobiens : le pathogène, le patient et la population.
 
Ils s'efforcent de créer une synergie dans le domaine de la résistance aux antibiotiques, en collaborant intensément avec des collègues des pays du Sud, grâce à des projets de renforcement des capacités, qui visent à créer des instituts nationaux compétents pour résoudre le problème de la résistance aux antimicrobiens dans les pays tropicaux à revenu faible ou intermédiaire.

Références

(1) Salmonella enterica serovar Typhi Producing CTX-M-15 Extended Spectrum β-Lactamase in the Democratic Republic of the Congo
(2) Eléments de caractérisation de Salmonella Typhi par l'OMS 
(3) L'initiative One Health est un mouvement visant à forger des collaborations intégrales entre médecins, ostéopathes, vétérinaires, dentistes, infirmières et des spécialistes d'autres disciplines scientifiques sanitaires et environnementales. Plus de 900 scientifiques, médecins et vétérinaires du monde entier sont partie prenante à l'initiative.