23/12/09

Mettre la génétique à contribution dans la lutte contre la malnutrition

Le défi posé par la nécessité d’améliorer la nutrition dans le monde en développement est aussi celui de réduire de la pauvreté dans le monde Crédit image: U.S. Department of Energy's Joint Genome Institute, Walnut Creek, CA, http://www.jgi.doe.gov

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Jim Kaput explique pourquoi les efforts de lutte contre la malnutrition devraient prendre en compte la nutrigénomique – l’étude de l’interaction entre les aliments et la constitution génétique d’un être humain.

Les personnes qui souffrent de faim n’ont pas uniquement besoin d’aliments. Il leur faut aussi des nutriments adéquats pour préserver un bon état de santé. L’aide alimentaire peut contribuer à la prévention de la faim, mais si elle n’est pas équilibrée sur le plan nutritionnel, elle peut également contribuer à l’apparition de maladies chroniques et à des décès prématurés.

La fourniture de nutriments essentiels, sous la forme d’aliments complets, d’aliments enrichis ou de suppléments alimentaires, joue un rôle crucial dans les pays en développement où, chaque année, la malnutrition est responsable d’environ 60 pour cent des décès chez les enfants âgés de moins de cinq ans, selon Médecins Sans Frontières.

Mais quelles sont les quantités de nutriments qu’il faut consommer pour rester en bonne santé et prévenir les maladies ? Pour répondre à cette question, il nous faut tourner vers la nutrigénomique, l’étude de l’interaction entre les nutriments et les gènes pour modifier le métabolisme.

Les variations génétiques

L’assimilation et l’utilisation des nutriments par le corps sont fonction de la constitution génétique d’un être humain. Parce que tout être humain est unique sur le plan génétique, les quantités et les types de nutriments nécessaires pour rester en bonne santé peuvent varier d’un individu à l’autre.

Ils peuvent aussi être différents pour des groupes de populations séparées sur le plan historique, qui se sont génétiquement adaptés pour surmonter les difficultés liées à différents environnements locaux.

La couleur de peau est la différence la plus perceptible qui découle de cette adaptation. L’évolution de la couleur rose vers le marron aide non seulement à protéger la peau contre les coups de soleil mais elle permet également à des quantités appropriées de rayons de soleil de la pénétrer pour créer la vitamine D3 à partir des précurseurs inactifs.

La persistance de la lactase est une autre forme, moins évidente, d’adaptation génétique. Elle renvoie à la production ininterrompue jusqu’à l’âge adulte de la lactase, une enzyme qui métabolise le lactose, le sucre contenu dans le lait. La plupart des mammifères arrêtent de produire la lactase après le sevrage, mais parmi les êtres humains, ceux qui consommaient de lait accédaient aux protéines, au calcium et à l’eau, et donc pouvaient survivre aux conditions climatiques difficiles du Nord de l’Europe.

Leurs descendants ont donc pu survivre en plus grand nombre, portant le gène mutant de la lactase. Beaucoup de personnes originaires du Nord de l’Europe et de l’Afrique centrale ont conservé cette capacité à boire du lait, alors que 70 pour cent de la population mondiale souffre de l’intolérance au lactose.

Les différences génétiques entre les populations peuvent aussi venir de carences ou d’excès historiques de nutriments contenus dans les sols, les plantes et les animaux. Ainsi, l’absence de fer, de sélénium ou d’autres micronutriments dans l’alimentation aurait favorisé l’apparition de gènes qui contribuent à l’assimilation, le stockage et l’utilisation de ces nutriments essentiels.

Des forces similaires ont agi sur les plantes et animaux domestiqués. Le riz cultivé dans la région du delta de l’Arkansas est par exemple chimiquement et nutritionnellement différent du riz cultivé en Inde parce que les sols, la pluviométrie, la température et d’autres conditions locales affectent la croissance de la plante, sa maturation et sa constitution chimique.

Trouver le meilleur équilibre

La principale conséquence de ces variations génétiques dans le monde en développement est qu’il ne suffit pas simplement de mettre des aliments à la disposition des populations. Le mauvais choix de l’aliment peut avoir autant d’effets néfastes sur la santé que le manque d’aliments.

Prenons par exemple l’épidémie d’obésité et de maladies chroniques qui touche non seulement les pays en sécurité alimentaire mais également les zones urbaines dans les pays en développement – comme en Chine, où une personne sur six (soit 215 millions d’individus) souffre de la surcharge pondérale, telle que définie par l’OMS.

Un apport excessif en calories et en lipides contribue sans aucun doute à cette épidémie. Mais une autre cause tient au fait que de nombreux aliments manufacturés ou transformés ne sont pas équilibrés sur le plan nutritionnel. Les pays industrialisés font face à des crises sanitaires et financières en raison de ce manque d’équilibre nutritionnel et les pays en développement doivent subir le double poids de la sous-nutrition dans les zones rurales et la surnutrition dans les centres urbains.

Paradoxalement, ces deux formes de malnutrition peuvent agir à travers un processus moléculaire similaire de modification de l’ADN, dénommé épigénétique, pour conduire à des variations stables mais non transmissibles de la façon dont les gènes sont utilisés. La sous-nutrition et la surnutrition, particulièrement pendant la grossesse, peuvent tous deux pousser ces programmes épigénétiques à créer une inadéquation entre l’environnement nutritionnel ‘attendu’ et l’environnement réel.

Il est nécessaire de fournir des quantités suffisantes de calories aux femmes en âge de procréer et à leurs enfants, mais cela ne suffit pas à optimiser la programmation épigénétique ; l’équilibre optimal de micronutriments étant essentiel pour la santé, à la fois à court et à long terme.

Naturellement, il ne suffit pas non plus d’assurer une bonne alimentation des jeunes femmes. Fournir suffisamment de nutriments à leur progéniture est tout aussi crucial pour créer un environnement nutritionnel qui préserve une santé optimale jusqu’à l’âge adulte. Ces principes bien connus devraient être pris en compte dans les politiques publiques et les programmes d’enrichissement d’aliments.

Adapter la nutrition à la génétique

La nutrigénomique est une science jeune, et on ne sait que très peu de choses sur l’adaptation des interventions nutritionnelles en fonction de la génétique de la population ciblée.

Les progrès dans ce domaine sont lents parce que plusieurs études ont mis l’accent sur des populations locales, relativement homogènes, en utilisant des modèles expérimentaux différents. Mais un groupe international de spécialistes de nutrigénomique, baptisé Projet de génomique des micronutriments (Micronutrient Genomics Project) s’est lancé dans la coordination de l’élaboration de protocoles et de bases de données afin de comparer la réaction aux aliments d’individus issus de populations géographiquement et culturellement différentes.

Ces efforts sont essentiels pour faire émerger les connaissances nécessaires aux experts en politique alimentaire et aux organismes nationaux et internationaux, pour la résolution du problème de la malnutrition dans le monde en développement.

L’étude des interactions entre les gènes et les nutriments est lancée, mais elle nécessite davantage d’investissements dans la recherche fondamentale et appliquée sur des populations génétiquement et culturellement variées. De telles études, si elles sont bien conçues, peuvent rapidement traduire la science fondamentale en actions d’amélioration de la sécurité nutritionnelle.

Jim Kaput est le Chef de la Division de la nutrition personnalisée et médecine à l’Agence pour les Aliments et les Médicaments (Food and Drug Administration, ou FDA), des Etats-Unis.

Les points de vue exprimés dans cet article sont ceux de l’auteur et ne reflètent pas la politique officielle de la FDA.