25/12/17

Q&R: Interpol et la lutte inter-Etats contre les faux médicaments

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Interpol a mené en 2017 de nombreuses opérations d'interception de médicaments contrefaits - Crédit image: SDN

Lecture rapide

  • A travers des formations, Interpol incite les Etats à mener des opérations conjointes
  • Car, un réseau de trafic de faux médicaments se circonscrit rarement dans un seul pays
  • Le degré de vulnérabilité des pays est fonction de la porosité de leurs frontières

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Les réseaux criminels organisés inondent l'Afrique de nombreux produits médicaux sous standard, porteurs de risques majeurs pour la santé publique.
 
Avec l'aide des Etats, Interpol joue un rôle de premier plan dans la lutte contre la criminalité pharmaceutique, en établissant une liaison entre les différentes polices nationales.
 
L'organisation assure ainsi la coordination des opérations de terrain visant à déstabiliser les réseaux criminels transnationaux. Elle dispense aussi des formations afin de renforcer les compétences et les connaissances au sein de tous les organismes participant à la lutte contre la criminalité pharmaceutique.
 
Françoise Dorcier, coordinatrice du Programme Interpol sur les marchandises illicites et la santé mondiale, revient sur l'action de l’institution en matière de lutte contre les médicaments falsifiés.

Quels sont les principaux axes d’intervention d’Interpol en matière de lutte contre les médicaments falsifiés ?
 
Notre objectif c'est de faciliter la coopération internationale et d'apporter un soutien à nos pays membres dans plusieurs domaines relatifs à la criminalité, dont la criminalité pharmaceutique. Notre soutien aux pays se décline sous forme de renforcement des capacités, avec des actions de formation assez régulières, au niveau régional, pour que chaque pays ait une idée de ce qui se passe chez le voisin.
 
A qui s'adressent en particulier ces formations ?
 
Nos actions vont en particulier en direction des officiers de police, de douanes et des agents de régulation de santé et en faisant usage de l'ensemble de ces agences, puisque chacun a des compétences distinctes et peut intervenir suivant des pouvoirs bien encadrés que lui confère la loi. A l'occasion de ces formations, nous invitons des experts et Interpol apporte également son expertise, ainsi que des outils de partage de l'information, les procédures en matière d'alerte et j'en passe. On peut ajouter qu'en plus des actions de formation, nous organisons des opérations dans lesquelles nous proposons aux pays de réaliser des interventions conjointes.
 
Parlant d'opérations, quels sont les types de médicaments particulièrement visés par les réseaux de criminels ?
 
Ce qu'il faut régulièrement garder en mémoire, c'est que l'objectif des criminels, c'est de générer de l'argent, qu'ils réinvestissent dans d'autres activités criminelles, puisque malheureusement les peines sont encore assez ténues. En ce qui concerne les médicaments, en Afrique, on peut dire que tous les médicaments sont ciblés. On compte généralement les analgésiques, les antipaludiques, les médicaments de traitement de la dysfonction érectile, les anti-hémorroïdaires, les traitements gynécologiques, mais également tout ce qui est préservatif, etc. La palette est assez large et on s'aperçoit que n'importe quel médicament peut être ciblé et faire l'objet de trafic illicite.
 

Le problème actuel, c'est l'inadéquation des législations, ce qui rend difficile d'avoir une approche cohérente et générique au sein de la région.

Françoise Dorcier – Interpol

Et pour être clair, la plupart de ces médicaments n'ont aucun principe actif, n'est-ce pas ?

Cela dépend de plusieurs facteurs. Soit le principe actif est complètement absent – et dans ce cas, cela n'a aucun effet, si ce n'est que la personne qui prend ces médicaments croit être soignée alors que ce n'est pas le cas ; soit il y a des principes actifs ou des composants mal dosés qui peuvent poser un risque supplémentaire pour la personne qui est déjà malade et on ne le sait qu'après analyse des produits.
 
En termes de répartition géographique de la criminalité, quels sont les pays les plus vulnérables ?

Il n'y a pas de pays plus vulnérables que d'autres. La vulnérabilité est liée à la porosité des frontières, à la qualité des contrôles. L'essentiel des médicaments falsifiés provient d'Asie, notamment de Chine ou d'Inde. La plupart pénètrent dans les ports et sont distribués à l'intérieur des pays, grâce à des réseaux bien structurés. C'est notamment le cas au Niger et au Mali.
 
La plupart de ces médicaments ne sont donc pas falsifiés en Afrique-même…

L'essentiel des médicaments vient effectivement d'Asie, mais on s'aperçoit de manière croissante que pour les médicaments comme pour d'autres produits, dans la mesure où il y a des profits qui sont générés, des sites de production sont installés in situ. D'après ce qu'on a constaté, suite à l'opération Heera [1], trois unités de fabrication ont été démantelées en Côte d'Ivoire.
 
Sur le continent, quels sont les pays qui ont fait l'objet des plus grosses saisies de médicaments de la part d'Interpol ?

Tout récemment, c'est la Côte d'Ivoire.
 
Un autre pôle d'activités se trouve être l'Internet. Comment lutter efficacement contre la vente de médicaments falsifiés en ligne ?

Nous avons une opération qui s'appelle opération Pangea [2], que nous coordonnons au niveau d'Interpol. Nous en étions à la dixième édition au mois de septembre 2017 et cette opération vise à effectuer des saisies de sites web qui vendent des médicaments falsifiés en ligne et aussi à sensibiliser la population sur les risques associés à l'achat de médicaments en ligne. Notre action, ici aussi, consiste à renforcer les capacités des services locaux en matière d'ouverture d'enquête sur des opérations sur Internet, pour savoir qui est propriétaire d'un site illicite, qui se livre à des opérations de vente illicite de médicaments, etc. Cela demande des compétences précises et nous apportons un appui aux Etats en la matière.
  
En matière de politiques publiques, quels sont les domaines où des efforts supplémentaires restent à faire au niveau des Etats africains ?
 
Le problème actuel, c'est l'inadéquation des législations, ce qui rend difficile d'avoir une approche cohérente et générique au sein de la région. Ensuite, les peines sont assez limitées et ne dissuadent pas suffisamment les criminels. Il y a aussi une insuffisance de coopération entre les Etats, une disparité des systèmes de législation et notre objectif à Interpol, c'est de faciliter cette coopération internationale. Il est rare qu'un dossier concerne un seul pays ; tout a une ramification au niveau sous-régional.
Notre objectif est de faciliter cette coopération internationale et d'encourager les pays à partager l'information et à coopérer pour identifier les réseaux de criminels qui tirent les ficelles dans l'ombre et non pas se contenter de saisies aux frontières ou dans les ports.
 
Et quelles actions menez-vous concrètement, en matière de prévention ?
 
La prévention passe par les actions en direction de la presse et du public. On encourage les pays, à l'aide des résultats des opérations, à relayer l'information par le biais des médias locaux et à faire de la sensibilisation auprès de la population.
 
Et je dois dire que cela marche très bien en Afrique, nos actions de communication sont assez bien relayées auprès des médias, pour alerter sur les dangers que pose le phénomène. Puisque, en toute bonne foi, en allant acheter des médicaments falsifiés, les gens croient vraiment qu'ils vont se soigner et ce n'est pas le cas, malheureusement. Parfois, cela peut aboutir à des conséquences désastreuses.

Cet article fait partie du dossier de SciDev.Net Afrique sur les médicaments contrefaits en Afrique.

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Références

(1) Heera : L’Opération Heera vise à protéger le public de produits pouvant être dangereux pour la santé et à démanteler des réseaux clandestins qui sont souvent liés à d'autres formes de crimes graves.
(2) Pangea : En 2008, INTERPOL et le Permanent Forum on International Pharmaceutical Crime ont lancé l’opération Pangea, une action menée à l’échelle internationale pour lutter contre la vente en ligne de médicaments illicites et de contrefaçon et sensibiliser aux dangers de l’achat de médicaments en ligne.