07/06/23

L’usage d’antibiotiques dans l’élevage affaiblit l’immunité humaine

A magnified image of E.coli.
Image agrandie de la bactérie E.coli : L’utilisation de la colistine, a fait émerger des souches résistantes à la première ligne de défense de l’organisme. Crédit image: ZEISS Microscopy, (CC BY-NC-ND 2.0)

Lecture rapide

  • L'usage abusif d’antibiotiques chez les animaux donne naissance à des bactéries résistantes chez l'homme
  • Un médicament utilisé dans l’élevage rend ainsi la bactérie E.coli résistante aux défenses de l’organisme
  • Les chercheurs appellent à l'interdiction de la colistine, très utilisée dans les pays pauvres

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[NEW DELHI] L’usage excessif d’antibiotiques en agriculture peut mener à l’émergence de bactéries résistantes à l’immunité humaine naturelle, selon une étude dirigée par l’Université d’Oxford.

Ces recherches ont démontré qu’il est très probable qu’un antimicrobien, la colistine, très utilisée comme activateur de croissance chez les animaux d’élevage, comme le porc et le poulet, ait eu pour conséquence de faire émerger des souches de bactérie E.coli qui peuvent résister aux défenses immunitaires de l’homme.

Craig MacLean, un des auteurs de cette étude, professeur d’évolution et de microbiologie à l’Université d’Oxford, au Royaume-Uni, a déclaré à Scidev.Net que « L’utilisation de la colistine comme activateur de croissance est interdite dans de nombreux pays, mais elle est toujours très utilisée dans certains pays, en particulier dans les pays à revenu faible ou moyen (PRFM) ».

« Par conséquent, on peut penser que c’est dans les PRFM que le risque posé pour la santé humaine par les souches d’E.coli résistantes à la colistine, sera le plus élevé. »

“Ce qu’il y a de nouveau dans ces conclusions, c’est qu’elles démontrent comment l’utilisation d’antimicrobiens dans l’élevage des animaux peut avoir une incidence directe sur l’évolution de la résistance bactérienne”

George Varghese, Christian Medical College, Inde

La colistine est un antibiotique de dernier recours, également appelé peptide antimicrobien, ou PAM, utilisé dans le traitement des infections bactériennes résistantes à plusieurs médicaments, comme Escherichia coli (E. coli), qui peut causer par exemple des diarrhées et des infections urinaires.

L’utilisation répandue de la colistine dans l’élevage d’animaux depuis 1980 a fait émerger des souches d’E.coli, qui présente des gènes de Résistance mobile à la colistine (RMC).

Les souches d’E.coli résistantes à la colistine représentent une nouvelle menace pour la santé publique mondiale, et on l’observe principalement dans les pays à revenu faible et intermédiaire.

Elles apparaissent à un moment où la résistance aux antimicrobiens (RAM) est en pleine expansion : elle cause 700 000 décès par an dans le monde, selon un rapport des agences de l’ONU.

Si l’on ne prend pas de mesures, ce nombre devrait atteindre les 10 millions par an d’ici 2050. La RAM pourrait aussi faire passer à 24 millions le nombre de personnes vivant dans l’extrême pauvreté d’ici 2030, selon ce rapport.

Mutations génétiques

On parle de RAM quand des microbes ou des bactéries subissent des mutations génétiques en raison de l’utilisation excessive et abusive d’antibiotiques. En conséquence, ils sont capables de résister à l’action des antimicrobiens, rendant les traitements médicaux inefficaces.

Les PAM jouent un rôle crucial dans la lutte contre ce phénomène. Les PAM, présents naturellement dans les organismes vivants, ont une place importante dans l’immunité naturelle.

Ce sont des peptides (substances organiques, notamment constitutives des protéines) aux fonctions multiples. Notamment, ils éliminent les micro-organismes pathogènes, par exemple des bactéries, virus et autres champignons.

Certains PAM sont utilisés chez les animaux d’élevage pour lutter contre les infections et comme stimulant de croissance. Cette dernière utilisation, selon l’étude, peut donner naissance à des souches de bactéries « à résistance croisée », qui peuvent résister à la réponse immunitaire naturelle chez l’être humain.

La réponse immunitaire naturelle est la première ligne de défense contre un microbe pathogène. L’émergence de telles bactéries « à résistance croisée » est « très probable », selon les chercheurs.

« Notre étude met en évidence combien il est important de ne pas utiliser en agriculture des antimicrobiens qui sont utilisés pour traiter certaines infections chez les êtres humains », a expliqué Craig MacLean.

Il estime que l’utilisation de la colistine comme activateur de croissance devrait être interdite. Il appelle aussi à la prudence dans le cadre de l’élaboration de nouveaux PAM.

« Un grand nombre de peptides antimicrobiens sont en cours d’élaboration comme médicaments potentiels pour traiter les infections humaines », a-t-il ajouté.

« Nous devons tester l’impact de la résistance à ces PAM sur l’immunité humaine avant qu’ils puissent être utilisés de manière thérapeutique. »

Dans le cadre de cette étude, des souches d’E.coli possédant un type de gène RMC appelé RMC-1 ont été exposées à des PAM qui contribuent à l’immunité naturelle chez le porc, le poulet et l’homme.

La réaction de ces bactéries à un sérum humain comprenant un cocktail antimicrobien a été également étudiée.Les chercheurs ont découvert que les souches d’E.coli porteuses du gène MCR-1 présentaient une résistance aux PAM humains supérieure de 62 %.

Ces souches étaient au moins deux fois moins “susceptibles d’être éliminées” par le sérum humain.

« Cette étude est la première qui ait testé de façon systématique l’impact du MCR-1 sur la résistance aux peptides antimicrobiens chez les animaux d’élevage et chez l’être humain », a ajouté Craig MacLean.

George Varghese, professeur au département des maladies infectieuses du Christian Medical College, une école de médecine privée à Vellore, en Inde, et qui n’a pas participé à cette étude, a déclaré que « Ce qu’il y a de nouveau dans ces conclusions, c’est qu’elles démontrent comment l’utilisation d’antimicrobiens dans l’élevage des animaux peut avoir une incidence directe sur l’évolution de la résistance bactérienne. »

« Ceci a des implications importantes sur la manière dont nous appréhendons la relation entre l’utilisation d’antimicrobiens, l’évolution bactérienne et l’émergence de maladies infectieuses. », dit-il.

George Varghese a ajouté qu’au vu de ces conclusions, les décideurs et les praticiens devront peut-être revoir la façon dont ils réglementent et contrôlent l’utilisation des antimicrobiens dans l’élevage.

« Il faudra éventuellement renforcer les réglementations sur l’utilisation des antimicrobiens dans les aliments pour animaux, mettre en place des programmes de surveillance pour suivre la prévalence de la résistance aux antibiotiques chez les animaux, et mettre au point des stratégies alternatives pour lutter contre les maladies chez les animaux qui sont élevés sans traitement antimicrobien », a-t-il ajouté.

La version originale de cet article a été produite par l’édition mondiale de SciDev.Net.