25/06/15

Progrès et défis de l’agriculture biologique au Sénégal

Production de Chou à Diender
La production écologique du chou à Diender. Crédit image: SciDev.Net/Julien Chongwang

Lecture rapide

  • Dès les années 80, les agriculteurs ont intégré la protection de l’environnement
  • Le Sénégal occupe le 9ème rang africain en matière d’agriculture biologique
  • Malgré les difficultés, l’intérêt pour cette forme de production est croissant

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Divers acteurs agissent depuis plusieurs décennies pour promouvoir un mode de production qui respecte l’environnement.

En réponse aux changements climatiques qui sont devenus une source d’inquiétude majeure à l’échelle planétaire, de plus en plus d’agriculteurs et paysans sénégalais s’orientent vers une agriculture qui tienne compte de la préservation de l’environnement.

C’est-à-dire une agriculture qui exclut l’utilisation des produits chimiques de synthèse et des Organismes génétiquement modifiés (OGM).

Ici, cette technique culturale est généralement désignée par les expressions "agriculture saine et durable" (ASD), "agriculture écologique", ou encore "agroécologie".

"On ne l’appelle pas directement "agriculture biologique" tout simplement parce que cette dénomination implique une certification que les producteurs n’ont pas toujours, à cause de son processus long et cher ; bien qu’ils utilisent les mêmes modes de production qu’impose l’agriculture biologique", explique Laure Diallo, chargée du suivi-évaluation chez Enda-Pronat, une ONG qui est pionnière dans l’appui aux organisations paysannes impliquées dans l’agroécologie.

La prise de conscience au profit d’une agriculture plus saine remonte au début des années 1980 et son déclenchement est lié à un ensemble d’événements.

D’un côté, il y a eu en 1982 le début des activités d’Enda-Pronat dans le pays, avec notamment une multiplication des campagnes de sensibilisation portant sur les dégâts que causent les engrais chimiques et les pesticides sur l’environnement.

De l’autre côté, il y a eu cette série d’études réalisées en 1983 par Paul Germain et Abou Thiam, deux chercheurs qui ont mis en exergue les dangers que représentait l’utilisation des pesticides sur la santé humaine, surtout quand les populations en viennent à réutiliser dans les tâches ménagères les récipients qui ont préalablement contenu ces produits.

Il y a eu enfin les constats des paysans eux-mêmes dans les villages.

A Diender par exemple, localité située à près de 60 km de Dakar, les producteurs rapportent qu’ils avaient fait un ensemble de constats dans les années 1990.

"Nous avions enregistré certaines maladies graves auxquelles nous n’étions pas habitués et nous avions aussi remarqué la disparition des petits animaux sauvages qu’on rencontrait auparavant dans nos champs", se souvient Matar Ndoye, président de la Fédération des agropasteurs de Diender (FAPD)

"Ce n’est que plus tard que nous avions pu mettre en évidence le fait que ces incidents étaient au moins en partie liés à l’utilisation intensive que nous faisions des produits chimiques dans l’agriculture", ajoute-t-il.

A partir de ce moment, la recherche et l’utilisation de techniques culturales alternatives sont devenues impératives et se sont considérablement développées, avec le soutien de divers partenaires.

Aussi, pour fertiliser les sols par exemple, les quelque 3 000 membres de la FAPD ont-ils depuis longtemps tourné le dos aux engrais chimiques pour n’utiliser que les engrais organiques.

Ceux-ci sont notamment composés pour l’essentiel de déchets végétaux ; à l’instar des feuilles d’arbres mortes ou des coques d’arachide ; car, le Sénégal est l’un des principaux producteurs d’arachide au monde.

Ces coques sont alors souvent collectées auprès des usines qui décortiquent les arachides, à l’instar de celle de la ville de Kaolack.

Il y a aussi les déchets organiques, en l’occurrence la fiente des animaux élevés dans ce pays de pasteurs. Ces animaux sont entre autres les chevaux, les bœufs, les ânes, et la volaille.

"En nous servant de ces différents éléments, nous produisons du compost qui est utilisé pour fertiliser le sol", indique Gorgui Ndir, un paysan de la localité de Baya.


 
 

Biopesticides

 
 
SciDev.Net a d’ailleurs pu constater que dans nombre de champs de cette région située à une vingtaine de kilomètres de Rufisque, il a été aménagé de petites unités de compostage où l’on regroupe les différents ingrédients pour obtenir ce mélange fertilisant.

Une unité de compostage
Une unité de compostage à Diender.

Reste maintenant la question de la lutte contre les ravageurs, ces insectes nuisibles qui s’attaquent aux cultures et les détruisent.

A ce sujet, Laure Diallo soutient que "lorsque le sol est convenablement fertilisé avec de la matière organique, la plante qui en sort résiste spontanément aux attaques des insectes".

L’on peut ainsi constater que pour la culture du chou par exemple, les producteurs de Diender versent une importante quantité de fumier ou de compost autour de chaque bouture ; le résultat étant que les bulbes qui se forment affichent plutôt fière allure.

En tout cas, pour parer à toute éventualité, les recherches menées par les institutions d’appui à l’agriculture biologique ont permis d’identifier des biopesticides qui remplacent "efficacement" les pesticides chimiques jusque-là utilisées.

"Ces produits de substitution sont par exemple les biofertilisants, des extraits de plantes, des parasitoïdes qui sont des insectes qui s’attaquent aux ravageurs, des champignons et surtout les neem, un mot wolof qui désigne une espèce végétale dont le nom scientifique est azadirachta indica ", énumère M. Makhfousse Sarr, coordonnateur national du projet GIPD (Gestion intégrée de la production et des déprédateurs) à la représentation sénégalaise de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).

Fertilisation d'un champs
La fertilisation d'un champ.

A cette liste, Enda-Pronat ajoute d’autres plantes comme l’ail et le piment qui sont à la base de la composition d’autres variétés de biopesticides utilisés à la place des pesticides chimiques.

Dans un rapport produit en janvier 2013 par le Bureau international du travail (BIT) sur l’agriculture biologique au Sénégal, l’on apprend même qu’il existe depuis 2009 une société dénommée "Neemland Ecosystem" spécialisée dans la production de différents intrants biologiques pour l’agriculture.

"Elle dispose d’une unité de production à Touba Toul près de Khombole où sont fabriqués différents produits destinés à l’agriculture. L’huile de neem est utilisée comme insecticide, le tourteau de neem pour l’amendement, la poudre d’amandes de neem est un nématicide ; et enfin, la poudre des feuilles sert de fongicide", peut-on lire dans ce document.

Le résultat de toutes ces pratiques est que l’agriculture biologique a fait d’énormes progrès dans le pays ces derniers temps, et concerne une large variété de cultures comme la banane, la mangue, le coton, le sésame, les céréales, les produits maraîchers, etc.

“Du fait de l’utilisation exclusive des intrants biologiques, nous observons depuis quelque temps maintenant le retour progressif des petits ruminants, des oiseaux, des crapauds et autres espèces qui avaient disparu pendant un certain temps.”

Matar, Ndoye, Président de la Fédération des agropasteurs de Diender (FAPD), Sénégal

Même si les statistiques restent rares, l’étude du BIT indique que "l’association des producteurs de la vallée du fleuve Gambie produit 4 500 tonnes de bananes biologiques par an" ; tandis que de son côté, "la société Les Plantations de Djibanar exporte environ 200 tonnes de banane biologique par an".

Mais, selon la même source, l’aliment biologique le plus exporté du Sénégal reste la mangue qui est la première production fruitière du pays avec un total de 90 000 tonnes par an.

En somme, "sur le plan de l’agriculture biologique certifiée, le Sénégal se situe au 9 ème rang des pays africains, avec une superficie consacrée aux produits biologiques certifiés estimée à 25 992 ha27", conclut le BIT dans son rapport.

Sur un tout autre chapitre, Matar Ndoye confie que "du fait de l’utilisation exclusive des intrants biologiques, nous observons depuis quelque temps maintenant le retour progressif des petits ruminants, des oiseaux, des crapauds et autres espèces qui avaient disparu pendant un certain temps".
 
 

Enormes défis

 
 
Pour autant, ce mode de production agricole reste confronté à d’énormes défis ; à commencer par la quantité insuffisante des intrants biologiques, aussi bien les semences que les fertilisants et les biopesticides.

Il se trouve que les quantités produites par les paysans eux-mêmes sont insuffisantes pour alimenter une grande production.

Cette rareté des intrants s’accompagne bien entendu de la cherté des quantités disponibles : " par exemple, une quantité de terreau nécessaire pour 45 jours coûte 100 000 FCFA", rapporte-t-on à la FAPD.

Un prix hors de la portée de la plupart des producteurs.

Lorsque néanmoins ces derniers parviennent à produire, ils se retrouvent aussitôt confrontés au problème de l’écoulement de leurs récoltes.

En effet, les produits issus de l’agriculture saine et durable ont la réputation de coûter un peu plus cher sur le marché que leurs homologues venant de l’agriculture conventionnelle.

"Cette cherté est due au temps plus long et aux efforts plus importants qu’il faut pour les produire", explique Aliou Ndiaye, un agriculteur de la région de Rufisque.

"Pendant ce temps, les acteurs de l’agriculture conventionnelle utilisent les produits chimiques parfois distribués gratuitement pour accroître les quantités et accélérer la cadence de production. Ils peuvent dès lors vendre leurs récoltes à n’importe quel prix", ajoute-t-il pour indiquer la nuance.

En fin de compte, ce ne sont pas toutes les couches de la population qui peuvent s’offrir les fruits, légumes et autres venant de l’agroécologie.

Et selon toute vraisemblance, la tendance ne s’inversera pas de sitôt, compte tenu des facteurs qui favorisent encore l’agriculture conventionnelle et des résistances qui s’opposent au développement de l’agriculture saine et durable.

Parmi ces facteurs, Makhfousse Sarr insiste sur le faible niveau d’éducation de la plupart des petits paysans qui constituent l’essentiel des producteurs :

"Les petits producteurs ont un niveau d’instruction faible et il est nécessaire de les sensibiliser et de les former sur les processus biologiques et écologiques susceptibles d’améliorer la production tout en préservant l’environnement", indique-t-il.

Au chapitre des résistances, il y a l’entêtement des firmes de productions d’intrants chimiques qui continuent de faire du lobbying à l’échelle mondiale pour maintenir le modèle d’agriculture chimique.

"Ces firmes cherchent également à prendre le contrôle de toute la filière agroalimentaire, notamment en poussant les Etats à mettre en place des législations pour empêcher le libre échange des semences paysannes et imposer des semences hybrides ou des OGM non reproductibles appelé semences Terminator", dénonce Laure Diallo.

Pour autant, les acteurs de l’agriculture biologique au Sénégal ne restent pas les bras croisés face à ces différents défis et contraintes.

Pour s’attaquer par exemple au problème relatif à l’insuffisance des produits fertilisants, les producteurs envisagent de promouvoir "à très court terme" une association élevage – agriculture.

Matar Ndoye croit savoir que cette approche permettra à chaque agriculteur de se servir directement du fumier constitué des déjections des animaux qu’il élève parallèlement.

  

"Champs – paysans – écoles"

 

Et pour améliorer l’écoulement de leurs récoltes, les associations de producteurs expérimentent des points de ventes spéciaux dans la ville de Dakar et bientôt dans ses environs.

"L’évolution des ventes de fruits et légumes sains sur les marchés hebdomadaires que nous avons mis en place avec nos partenaires paysans suscite beaucoup d’espoir", indique Laure Diallo.

Ce d’autant plus que les organisations paysannes ayant adopté les techniques d’agriculture saine et durable dans leurs modes de production sont de plus en plus nombreuses dans le pays.

Tant et si bien qu’elles se sont regroupées au sein de la Fédération nationale des agriculteurs biologiques (FENAB) qui rassemble plus d’une vingtaine d’associations totalisant plusieurs dizaines de milliers de membres.

Ces associations peuvent compter sur le soutien d’un certain nombre d’acteurs institutionnels à l’instar de la FAO, des ONG comme Enda-Pronat ou encore du gouvernement sénégalais.

De telles structures d’appui interviennent la plupart du temps dans le cadre d’un renforcement des capacités.

Elles encouragent aussi la mise en place de ces organisations paysannes structurées au sein desquelles elles procèdent plus aisément à l’éducation des jeunes aux enjeux de la protection de l’environnement, et font la promotion de la bonne gouvernance des ressources naturelles par les populations locales.

C’est ainsi que pour faire comprendre les enjeux de la protection de l’environnement dans les pratiques agricoles des paysans sous-scolarisés, la FAO a dû développer un concept dénommé "champs-paysans-écoles".

"Ils permettent aux petits producteurs d’apprendre par la pratique, d’identifier les produits susceptibles de perturber l’équilibre environnemental et les risques qu’ils présentent ; ensuite, de trouver des produits alternatifs", explique Makhfousse Sarr.

Selon les statistiques de cette organisation, ce programme participatif qui a été introduit au Sénégal au début des années 2000 a déjà permis la formation de plus de 25 000 agriculteurs sur les cultures maraichères, la riziculture et la culture du coton.

Le gouvernement sénégalais pour sa part avait expérimenté en 2008 un appui aux cultivateurs dans l’acquisition des fertilisants naturels qui se vendaient alors à seulement 70 FCFA le kilogramme ; une initiative que les producteurs agricoles voudraient bien voir relancer.

L’enjeu est tel que depuis quelques années, des cycles de formation en agriculture biologique voient le jour dans les établissements d’enseignement supérieur du pays.

Tandis que des entités spécialisées dans la transformation ou dans la commercialisation des produits issus de l’agriculture saine et durable font peu à peu leur apparition.

Toutes choses qui dégagent l’horizon et expliquent l’optimisme de tous les acteurs quant à l’avenir de l’agriculture biologique au pays de la Teranga.