24/06/22

En quête de la «protéine parfaite» pour un vaccin ARNm contre le paludisme

Blood sampling
Un enfant et sa mère bénéficient d’un test de dépistage du paludisme au Mozambique. Les scientifiques effectuent des recherches sur la sûreté et l’efficacité des vaccins ARNm contre le paludisme. Crédit image: Avec la permission de Malaria Consortium.

Lecture rapide

  • Les essais cliniques sur le premier vaccin à ARNm contre le paludisme doivent débuter cette année
  • Un centre de technologie pour les vaccins ARNm devrait faciliter la production dans les pays du sud
  • Les experts sont optimistes concernant les résultats ; mais il est essentiel d’avoir des financements

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Avec le succès des vaccins à ARNm (acide ribonucléique messager) contre la COVID-19, les chercheurs sont prudemment optimistes concernant la possibilité d’employer la même technologie pour combattre d’autres maladies répandues telles que le paludisme.

La technologie est prometteuse, précisent ceux qui cherchent à mettre au point de nouveaux vaccins, mais son succès dépend des résultats des tests initiaux qui sont actuellement en cours.

Jusqu’à présent, il n’a pas été possible de produire un vaccin contre toutes les formes de paludisme, en raison de la complexité du parasite responsable de la maladie. Le paludisme reste une maladie négligée, et par conséquent, elle reste une préoccupation marginale pour la communauté scientifique.

“Nous sommes maintenant au stade où nous préparons cette formule pour la première phase des essais cliniques sur des humains”

Irene Soares, université de São Paulo, Brésil

« Les maladies négligées touchent les populations démunies » lance Carlos Zárate-Bladés, immunologue à l’université fédérale de Santa Catarina au Brésil qui ajoute dans un entretien avec SciDev.Net que « toute industrie dont un produit peut émerger va d’abord regarder le marché. Si le marché n’est pas prometteur d’un point de vue financier, on n’arrivera même pas au stade des tests. »

Le paludisme est transmis à travers les piqûres de moustiques du genre anophèle, vecteurs de parasites du genre Plasmodium. Selon l’OMS, environ 627 000 personnes sont mortes de la maladie dans le monde en 2020, et on a enregistré 241 million de cas.

Pour cette même année 2020, 96% des décès ont été enregistrés en Afrique. Les enfants de moins de cinq ans sont les plus durement touchés et représentent approximativement 80% de tous les décès dus au paludisme en Afrique.

Les symptômes du paludisme (parmi lesquels on compte la fièvre, les maux de tête et les frissons) apparaissent généralement entre dix et quinze jours après l’infection. En l’absence de traitement, la maladie peut s’aggraver et entraîner une insuffisance rénale, des convulsions, un coma, ou la mort.

Parmi les groupes à plus haut risque de tomber gravement malade, on compte les enfants de moins de cinq ans, les femmes enceintes, et les personnes qui vivent avec le VIH/SIDA. L’OMS estime que la malaria est « à la fois une conséquence et une cause de la pauvreté et de l’inégalité ».

Premier vaccin contre le paludisme

En octobre 2021, L’OMS a recommandé le premier vaccin antipaludique pour utilisation à grande échelle chez les enfants, un événement qualifié d’historique. Le Mosquirix (aussi appelé RTS,S), produit par GSK, protège contre le Plasmodium falciparum, le parasite très rependu en Afrique qui cause le paludisme.

Il n’est en revanche pas efficace contre d’autres types de Plasmodia, par exemple Plasmodium vivax, le parasite responsable de la plupart des cas de malaria en dehors de l’Afrique sub-Saharienne.

Au Brésil, des chercheurs réalisent des essais avec un vaccin à base de protéines recombinantes contre le P. vivax, à l’origine de 89% des cas de malaria dans le pays.Le principe de cette technologie d’immunisation consiste à prélever un fragment d’ADN du pathogène qui est ensuite introduit dans les cellules productrices.

À partir du virus (ou dans le cas du paludisme, le parasite), ces dernières sont alors en mesure de produire une protéine qui peut être employée dans le vaccin.

Cela fait deux décennies que Irene Soares, microbiologiste à l’université de São Paulo, effectue des recherches autour de ce vaccin potentiel. Son équipe se focalise sur une protéine de P. vivax avec une fonction similaire à celle qui a été employée dans le vaccin approuvé pour l’Afrique. Cette protéine attaque le parasite pour l’empêcher d’atteindre le sang et d’être à l’origine d’une maladie grave.

Des essais sur des animaux ont montré que ce vaccin est sûr et efficace. Irene Soares a confié à SciDev.Net que « nous sommes maintenant au stade où nous préparons cette formule pour la première phase des essais cliniques sur des humains. »

Recherches globales

 BioNTech, qui a développé un vaccin contre la COVID-19 en partenariat avec Pfizer, prévoit de débuter des essais cliniques du premier vaccin antipaludique à ARNm d’ici fin 2022. C’est ce que la société allemande a annoncé l’an dernier aux médias et à ses investisseurs. Elle a aussi l’intention d’établir des sites de production en Afrique.

L’OMS a récemment annoncé la création d’un centre global de transfert de la technologie ARNm, dont le but est d’aider les producteurs des pays à revenus faibles et intermédiaires à produire les vaccins eux-mêmes. Un consortium sud-africain a été choisi pour diriger le centre. Deux antennes régionales ont été établies au Brésil et en Argentine.

Au Brésil, l’Institut de la technologie immunobiologique (Bio-Manguinhos/Fiocruz) a été choisi en septembre 2021 par l’OMS pour mettre au point et produire des vaccins à ARNm.

La priorité sera la pandémie de COVID-19 mais cette initiative devrait aussi à l’avenir permettre la production et la distribution accélérée de nouveaux vaccins, dont un contre le paludisme.

Fiocruz, un institut de recherches sur la santé qui est le principal producteur de vaccins en Amérique latine était aussi en train de développer un prototype pour un vaccin contre le coronavirus avec une technologie similaire à l’ARNm, à savoir l’ARN « auto-amplifiant ».

Patrícia Neves, chercheuse à Bio-Manguinhos/Fiocruz a confié à SciDev.Net que « En plus des efforts que nous consentons pour mettre au point un vaccin [contre la COVID-19], nous sommes en train de préparer notre zone de production, notre contrôle qualité, et nous formons des professionnels. »

Recherche d’une cible

 Même quand on a affaire à une plateforme prometteuse comme l’ARNm, la clef, pour un vaccin contre le paludisme est de trouver la cible parfaite, à savoir la protéine qui sera présentée au système humanitaire humain.

Le parasite qui provoque le paludisme a un cycle de vie complexe, avec différentes formes et divers stades à l’intérieur de l’hôte. Il est par conséquent difficile de choisir une bonne cible pour un vaccin. Des études réalisées par le passé ont testé plusieurs protéines de plusieurs stades du parasite et la plupart d’entre elles se sont soldées par un échec.

De surcroît, le génome du parasite est plus complexe : les virus ont généralement des dizaines de gènes contre 5000 gènes environ pour les parasites du paludisme.

Comme Daniel Bargieri, immunologue et chercheur à l’université de São Paulo l’a expliqué à SciDev.Net « si, d’un côté, il y a un plus grand nombre de cibles possibles, de l’autre, il devient plus difficile de déterminer lesquelles d’entre elles sont les principales faiblesses du parasite. »

Il ajoute que « de plus, beaucoup de groupes de gènes remplissent la même fonction, donc si vous en attaquez un, cela n’affecte pas le parasite car il a d’autres protéines qui jouent le même rôle. »

Pire, les parasites peuvent muter et ont des mécanismes leur permettant de déjouer le système immunitaire.

ARNm contre le paludisme

Daniel Bargieri et son équipe cherchent de nouveaux antigènes (ou protéines) afin d’identifier une cible parmi ces 5 000 gènes. Ils explorent le potentiel de la technologie ARNm pour un éventuel vaccin.

Une protéine peut représenter une bonne cible pour un vaccin, mais elle est difficile à produire dans un laboratoire. Le vaccin ARNm permet de contourner ce problème, car c’est l’ARNm lui-même, produit dans un laboratoire, qui va expliquer aux cellules humaines comment produire la protéine (ou la partie de cette dernière) qui est à l’origine d’une réponse immunitaire.

Daniel Bargieri explique que « même s’il s’agit d’une nouvelle technologie, il est parfois plus facile de produire de l’ARNm qu’un antigène. » Il précise par ailleurs que son équipe vient de commencer ses essais et qu’il faudra attendre quelques années encore pour obtenir des résultats.

Les chercheurs attendent avec impatience les premières données sur les vaccins ARNm contre les parasites, protozoaires ou bactéries, qui ont des caractéristiques biologiques très différentes de celles des virus.

Selon Daniel Bargieri, les vaccins antipaludiques sont parmi les plus avancés, mais il faut attendre les résultats des essais pour savoir s’ils seront un jour disponibles et quand.Si un nouveau vaccin ARNm contre le paludisme fait un jour la preuve de son efficacité et de sa sûreté, la difficulté consistera à l’acheminer vers les régions les plus touchées : les pays en développement du sud.

Du fait de la pandémie, certaines régions sont maintenant mieux à même de relever ce défi. Dans certains pays, dont le Brésil, les institutions scientifiques ont obtenu le financement et la technologie nécessaires pour produire des vaccins contre la COVID-19. « Toute cette infrastructure qui a été mise en place va certainement nous aider à faire des progrès avec les autres vaccins », confirme Irene Soares.

Pour Carlos Zárate-Bladés, la seule chose qui manque aux instituts brésiliens de recherche est un meilleur financement : « Il n’y a pas un manque de connaissances ou de savoir-faire technique au Brésil. Ce qui nous manque, c’est le financement pour la recherche et le développement de produits. »

La version originale de cet article a été rédigée par l’édition mondiale de SciDev.Net dans le cadre de notre sur « Vaccins à ARN messager : La nouvelle frontière ».