25/10/21

COVID-19 : Le vaccin rendu insidieusement obligatoire en Afrique

"Yellow Fever in Darfur, Sudan" by UNAMID Photo is licensed under CC BY-NC-ND 2.0
Crédit image: "Yellow Fever in Darfur, Sudan" by UNAMID Photo (CC BY-NC-ND 2.0)

Lecture rapide

  • Un à un, les pays de la région rendent le vaccin obligatoire pour certains corps professionnels
  • Les syndicats se dressent à travers le continent et crient à la violation des lois et des droits humains
  • Ils proposent une sensibilisation accrue pour emmener le citoyen à une vaccination libre et volontaire

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Comme la maladie qui avait elle-même atteint les pays du continent les uns après les autres, le vaccin contre la COVID-19 tend à devenir insidieusement et progressivement obligatoire pour certaines composantes de la population en Afrique subsaharienne.

Le ton avait été donné par le Gabon au mois de mai 2021 quand le ministre de la Défense, Michael Moussa-Adamo déclarait : « Pour les forces de l’ordre, le choix du vaccin ne se pose pas, il est obligatoire ».

Dans la foulée, le ministre des Eaux et forêts, l’Anglais Lee White, conditionnait, dès le mois de juillet 2021, les missions de travail de ses agents à l’intérieur du pays à la présentation d’un passeport vaccinal contre la COVID-19.

Dans le même sens, l’entreprise Total, a imposé le pass vaccinal à son personnel pour l’accès à ses sites pétroliers.

“Il faut sensibiliser plutôt que contraindre, plutôt qu’obliger. Il faut, à nous-mêmes, faire connaître le vaccin de façon générale et une fois que les leaders syndicaux qui sont des partenaires sont rassurés, ils appelleront leurs camarades à la vaccination”

Narcisse Koffi, porte-parole national des syndicats du ministère de la Santé, Côte d’Ivoire

A peu près au même moment au Cameroun, le ministère de la Santé publique décidait le 12 juillet que la présentation de la preuve du vaccin anti-COVID-19 serait désormais la condition pour accéder à ses services.

Une démarche suivie récemment par le gouverneur de la région de l’Est qui, depuis le 7 octobre 2021, exige la vaccination à tous les fonctionnaires de cette province pour accéder à leurs postes de travail. Une condition fixée également dès le lendemain à l’attention du personnel de la présidence de la République elle-même.

En Guinée, c’est le 12 août que l’annonce avait été faite. En conférence de presse ce jour-là, l’épidémiologiste Sakoba Kéita, directeur général de l’Agence nationale de sécurité sanitaire, avait été formel : « même avec le carnet PCR, il faut que tu aies le pass vaccinal. Dès le 15 septembre, nous allons imposer le pass vaccinal pour tout déplacement en Guinée. »Dans ce pays, le carnet de vaccination est déjà une contrainte pour les citoyens qui désirent un service public. La décision ayant été prise en conseil interministériel le mardi 10 août 2021.

« Le président de la République a instruit le premier ministre d’exiger à tous les ministres et au personnel de toute l’administration de n’accéder à leurs postes de travail que munis de leur pass sanitaire. Il en est de même pour tous les visiteurs », précisait Rémy Lamah, alors ministre de de la Santé.

Obligation illégale et discriminatoire

De son côté, à travers un communiqué datant du 09 septembre 2021, le gouvernement togolais a compilé en 7 points les dispositions relatives aux mesures restrictives en vigueur contre la pandémie.

Et au point 2, l’accent est mis sur celles qui sont d’application stricte. Parmi elles, la présentation d’une preuve de vaccination pour accéder aux bâtiments administratifs.

En conséquence, plusieurs services ont publié des notes d’informations aussitôt. C’est le cas du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche où le ministre Ihou Watéba avait donné jusqu’au 15 septembre aux étudiants des deux universités publiques pour se faire vacciner. Faute de quoi ils ne seraient pas admis au sein des établissements.

En Côte d’Ivoire, « il est demandé à l’ensemble des usagers et du personnel du ministère de la Santé, de l’hygiène publique et de la couverture maladie universelle, de se faire vacciner et de porter obligatoirement un masque facial depuis le lundi 6 septembre 2021, sous peine de se voir refuser l’accès au cabinet », affirme Charles Koffi Aka, le directeur de cabinet du ministre de la Santé, de l’hygiène publique et de la couverture maladie universelle.

Un peu partout, les gouvernements et les autorités évoquent la virulence du variant Delta du coronavirus qui circule déjà dans les pays du continent pour expliquer l’adoption de ces mesures. Ce qui n’est pas convaincant du point de vue des syndicats et des défenseurs des droits de l’homme qui n’ont pas tardé à donner de la voix.

C’est notamment le cas au Gabon où le Syndicat national des professionnels des eaux et forêts (Synapef) juge cette obligation « illégale » et de portée « discriminatoire ». En conséquence, il a appelé l’ensemble de ses membres à ne pas s’y conformer.

Incohérences

Pour sa part, le Syndicat national des personnels de santé et assimilés (Synapsa), par la voix de Gustave Boukoumou lgassela, son président, soutient que « cette démarche est une violation flagrante du Pacte international des droits politiques et civils qui stipule qu’aucun traitement ne peut être administré à une personne sans son consentement ».

Pour ce dernier, « on ne peut obliger un personnel de santé de prendre ces vaccins. Nous estimons évidement que ces vaccins ne sont pas efficaces et nous prenons nos responsabilités pour le dire. »

« On ne doit pas dire à un citoyen que pour faire ceci ou pour faire cela, il faut obligatoirement prendre le vaccin. Non ! C’est une violation des libertés individuelles. Il faut permettre à chaque citoyen de jouir de son libre arbitre et de décider par lui-même de prendre le vaccin ou non », martèle le Guinéen Mamady Kaba, président de la Ligue pour le droit et la démocratie en Afrique.Même son de cloche au Togo où Godwin Etse, le directeur exécutif du Centre de documentation et de formation sur les droits de l’homme relève des « incohérences » et des « confusions » dans ces dispositions coercitives.

« Le gouvernement, à travers ses initiatives, démontre qu’il prend la situation sanitaire au sérieux. Mais celle-là sur la question des vaccins pose un problème d’ordre légal mais aussi d’ordre pratique » explique-t-il.

Sensibilisation

Il rappelle que lorsque la vaccination a débuté, le gouvernement a affirmé qu’elle n’était pas obligatoire ; mais que les populations étaient fortement encouragées à se faire vacciner.

« Si le gouvernement veut maintenant rendre les vaccins obligatoires, il faut le dire », fait remarquer Godwin Etse ; soulignant que si le gouvernement en venait à cela, la légalité de la mesure serait discutable.

Certes, l’article 66 de la loi portant code de la santé publique au Togo dit que dans certaines conditions on pourrait rendre un vaccin obligatoire. Toutefois, indique Godwin Etsè, « on pourrait poser la condition de l’efficacité dudit vaccin. Et là, il y a des débats »…

Selon lui, le problème d’ordre pratique de la décision trouve son sens dans l’insuffisance des doses pour vacciner tous les Togolais. D’où l’incohérence qu’il évoque.

Ainsi, les syndicats et les défenseurs des droits de l’homme estiment que la meilleure approche aurait consisté à renforcer la sensibilisation sur l’intérêt et l’importance de ce vaccin plutôt que de forcer les gens à le prendre.

D’autant plus que « si l’Etat oblige quelqu’un à prendre le vaccin et que les effets secondaires entrainent sa mort, alors, l’Etat est responsable de sa mort », met en garde Mamady Kaba.

Législation

Le gouvernement du Sénégal semble être l’un des rares sur le continent à comprendre la pertinence des arguments brandis par les adversaires de la vaccination forcée.

En effet, dans ce pays, certains employeurs dont l’activité ne permet pas de passer en mode télétravail, avaient décidé d’imposer la vaccination à leurs employés en subordonnant l’accès à leurs lieux de services à la vaccination contre la COVID-19.

Une démarche qui n’avait pas été appréciée du ministère du Travail et du dialogue social. « Etant donné qu’à l’état actuel de notre législation, aucune disposition ne rend obligatoire la vaccination, ces procédés sont discriminatoires et attentatoires aux droits des travailleurs, mais aussi sont dépourvus de fondement juridique », peut-on lire dans le communiqué qu’avait alors publié cette administration en guise de rappel à l’ordre.

Le même document précisant que le pouvoir d’organisation du travail de même que l’obligation de garantir la sécurité et la santé des travailleurs ne saurait conférer à l’employeur la possibilité de refuser l’accès de l’entreprise à un travailleur au motif qu’il ne s’est pas fait vacciner.

« Au Sénégal, il n’y a aucune disposition légale qui oblige le citoyen à se faire vacciner. Toute disposition qui tendrait à imposer la vaccination au travailleur serait donc illégale », insiste Mamadou Diallo Mbow, inspecteur du travail et de la sécurité sociale en service à l’Inspection régionale du travail et de la sécurité sociale de Dakar.

Voies de recours

Il rappelle au passage que tout travailleur confronté à une discrimination basée sur la vaccination ou non, dispose des voies de recours. « Tout travailleur confronté à une telle situation peut saisir l’inspection du travail qui se chargera de convoquer les 2 parties pour rappeler les dispositions légales en la matière », dit-il.

« En cas de récidive, l’employeur s’expose à une mise en demeure ou un procès-verbal de constat d’infraction. L’employé peut aussi s’adresser au tribunal du travail qui est le seul à avoir la prérogative de donner injonction à l’employeur de cesser sa pratique et le condamner à payer des dommages et intérêts à l’employé », affirme Mamadou Diallo Mbow.

En somme, « nous disons qu’il faut sensibiliser plutôt que contraindre, plutôt qu’obliger. Il faut à nous-mêmes faire connaître le vaccin de façon générale et une fois que les leaders syndicaux qui sont des partenaires sont rassurés, ils appelleront leurs camarades à la vaccination », soutient Narcisse Koffi, porte-parole national des syndicats du ministère de la Santé de Côte d’Ivoire.

C’est d’ailleurs ce qui s’est passé au Sénégal où le Syndicat des professionnels de l’information et de la communication du Sénégal (Synpics), en collaboration avec le ministère de la Santé, a installé un « vaccinodrome » à la maison de la presse afin de permettre aux professionnels des médias qui le désirent de se faire vacciner et de faire vacciner les membres de leurs familles.

« Sur les 3 jours qu’a duré l’opération, nous avons pu vacciner un peu plus de 400 personnes », confie Bamba Kassé, secrétaire général dudit syndicat.